Tribune : “Non, on n'avorte toujours pas librement en France !”

Par Le Planning Familial
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À le voir célébré comme un droit inébranlable veillé par Simone, on en oublierait presque une chose essentielle : nous ne sommes certainement pas toutes égales face à la liberté d'avorter. Oui, même ici, en France, rappelait le Planning Familial dans une tribune toujours d'actualité à Marie Claire.

Fort heureusement dans notre pays, en 2019, l’avortement est inscrit dans la loi. Il est remboursé par la Sécurité sociale grâce à Yvette Roudy depuis 1982. Pris en charge à 100%, acte et examens complémentaires compris, depuis le 1er avril 2016. L’avortement médicamenteux peut même être pratiqué par les sages-femmes, et on espère que cette possibilité sera bientôt étendue à l’avortement instrumental. Les délais ont été allongés, l’entretien obligatoire supprimé, le délai de réflexion, la notion de "détresse" également, levant ainsi l’obligation de se justifier. Ca y est, on y est : c’est le choix des femmes qui compte !

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Sauf que… En pratique, c'est une autre affaire. Des médecins refusent de pratiquer des IVG, sans le dire directement mais en multipliant les rendez-vous ou les actes médicaux pourtant optionnels. Tout cela sans réorienter vers un.e professionnel.le compétent.e, comme la loi le prévoit. À force de ne pas répondre à la demande des femmes dans les temps, les délais sont parfois trop courts. Elles sont loin les années 70, pourtant aujourd’hui encore, des femmes se rendent aux Pays-Bas, en Angleterre ou en Espagne pour avorter. En cause : des délais d’attente trop longs, une découverte tardive de leur grossesse. Parfois encore elles ne peuvent pas avoir recours à l'interruption médicale de grossesse, ou subissent des violences conjugales à compter de l'annonce d’une grossesse pourtant désirée au départ.

Dans le Loiret, des femmes devront aller avorter dans un autre département cet été. Un hôpital en Ardèche en sous-effectif a dû mettre en veille les IVG pendant plusieurs mois.

Les inégalités d’accès à l’avortement sont encore énormes en France : inégalités territoriales, inégalités sociales, inégalités économiques. Sur le numéro vert national géré par le Planning ou dans les lieux d’accueil, on entend encore trop de femmes nous raconter les questions intrusives ou jugeantes au moment de leur demande d’IVG : "Vous ne pouvez pas assurer cette grossesse ?" ; "Avez déjà fait une IVG ?" ; "Vous aviez une contraception ?"  Elles nous parlent trop souvent du soi-disant "petit coeur qui bat" qu’on leur fait écouter, sans leur demander leur avis, au moment d’une échographie. Il arrive aussi régulièrement que des structures refusent de prendre en charge des femmes sans papier ou étrangères, et qu’on leur demande de payer en amont l’IVG – pourtant, elle est considérée comme un "soin urgent".

Nous recevons aussi des femmes à qui l’on a dit que l’IVG médicamenteuse ne fonctionnerait pas en raison de leur poids, ou qu’elles doivent revenir avec leur conjoint… Il s’agirait d’un choix à faire à deux ! Les jeunes filles mineures nous disent parfois que leur anonymat n’a pas pu être préservé car une facture est arrivée à la maison, ou que leur avortement avait été conditionné à la pause d’un implant pendant l’intervention.

Pendant l’été, la continuité du service public n’est pas toujours assurée en raison du manque de professionnel.le.s. Cela amène des femmes sur certains territoires notamment en zones rurales, à parcourir de longues distances pour avorter. Dans le Loiret, des femmes devront aller avorter dans un autre département cet été. Un hôpital en Ardèche en sous-effectif a dû mettre en veille les IVG pendant plusieurs mois. Par mesure d’économies, la restructuration de services conduit à ce que des centres IVG dédiés, avec des professionnel.le.s. formé.e.s et volontaires pour accueillir les femmes dans de bonnes conditions, se voient obligés de se regrouper avec d’autres services (de chirurgie ou ambulatoires ou de maternités).

L’avortement est un acte courant de la vie des femmes : une sur trois y aura recours au cours de sa vie.

D’autres freins à l’accès à l’IVG viennent des anti-choix : la première source d’information est Internet, et ceux-ci sont très présents pour délivrer de fausses informations, sous couvert de sites se faisant passer pour “officiels” : les femmes qui les ont eus au téléphone se disent choquées de leurs propos, et de leur manière de leur imposer de changer d’avis sur l’avortement. Il faut lutter tous les jours contre cette désinformation et mieux faire connaître les sites pro-choix (notamment le site gouvernemental ivg.gouv.fr et le numéro vert 0800 08 11 11), et s’appuyer sur le nouveau délit d’entrave à l’IVG étendu à Internet.

L’avortement est un acte courant de la vie des femmes : une sur trois y aura recours au cours de sa vie. Alors oui, on a encore à se mobiliser en France pour que l’avortement devienne réellement un droit effectif pour toutes les femmes, quelle que soit leur situation sociale et économique, pour que l’avortement soit vraiment considéré comme une priorité de service public, au même titre que d’autres soins, pour que l’information soit accessible partout et facilement. Nous exigeons que le droit fragile des femmes à disposer de leur corps soit effectivement appliqué pour toutes.

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