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IRAN

Eau boueuse ou robinets à sec : le sud de l’Iran n’a plus rien à boire

Des habitants de Khorramchahr font la queue pour obtenir de l'eau utilisable, le 30 juin 2018.
Des habitants de Khorramchahr font la queue pour obtenir de l'eau utilisable, le 30 juin 2018.
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Plusieurs villes du Khuzestân ont connu d’importantes manifestations le 30 juin et le 1er juillet, particulièrement à Khorramchahr et Abadan, deux grandes villes de cette province du sud de l’Iran, frontalière de l’Irak. Alors que les températures peuvent en ce moment atteindre les 50 degrés, des habitants s’insurgent contre des problèmes d’accès à l’eau courante : quand il n’y a pas pénurie, l’eau disponible est devenue ces dernières semaines inutilisable, même après filtrage.

Selon le gouverneur du Khuzestân, une importante canalisation fournissant les deux villes s’est cassée faute d’entretien le 26 juin. Par ailleurs, il y a eu une intrusion saline, c’est-à-dire que l’eau de mer est remontée dans la rivière Karkheh, un phénomène naturel qui peut conduire à la contamination des eaux non salées. Or, la rivière Karkheh est la principale source d’approvisionnement en eau de Khorramchahr et Abadan.

Le gouverneur a également mis en cause les nombreuses usines de production de sucre de la région, qui consommeraient trop d’eau – faute d’adaptation technologique moderne -, participant également à la baisse du niveau de la rivière.

À Khorramchahr, c’est la minorité arabe qui a lancé les manifestations, notamment avec des danses traditionnelles effectuées avec des seaux d’eau vides à la main.

Dans la nuit du samedi 30 juin au dimanche 1er juillet, la contestation a changé de visage, des protestataires décidant de brûler en partie des espaces verts dans la ville. Certains, munis d’armes à feu, ont essuyé des tirs de la police en représailles. Plusieurs médias rapportent qu’une personne a été tuée, mais selon la police les affrontements n’ont fait que cinq blessés.

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"Quand elle coule, l’eau pue et elle est littéralement boueuse"

Hossein, 40 ans, est commerçant à Khorramchahr :

Aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des problèmes avec l’eau ici et dans la région. Ça fait des années qu’on doit acheter de l’eau potable pour boire. Chez nous, nous avons installé des purificateurs pour laver la vaisselle ou prendre une douche. Même les plus démunis se débrouillent pour en avoir un, c’est essentiel.

Mais depuis début mai, nous ne pouvons même plus utiliser l’eau pour une douche : elle pue et elle est littéralement boueuse. Notre purificateur d’eau ne fonctionne plus avec cette eau.

Nous devons donc désormais acheter de l’eau non seulement pour boire, mais pour tous les autres besoins : il faut se rendre à des points de distribution et faire la queue parfois pendant une heure pour obtenir un bidon de 20 litres. Les doses fournies par les autorités sont insuffisantes et de petites entreprises ont fait de ces bidons d’eau minérale un business. Les prix ont sensiblement augmenté : avant on avait 20 litres pour 1 500 tomans (0,15 euro), désormais c’est 10 000 tomans (1 euro).

Dans certaines parties de la ville, depuis quinze jours, les gens n’ont carrément plus d’eau. Quand ils ouvrent les robinets, rien ne sort, pas même cette eau boueuse.

Alors évidemment, avec des températures qui atteignent 50 degrés, vous imaginez que nous avons toutes les raisons d’être en colère.

Après la guerre [Khorramchahr a été occupée pendant deux ans (1980-1982) au cours de la guerre qui a opposé l’Iran et l’Irak de 1980 à 1988, NDLR] notre ville était dévastée, elle était semblable à ce que vous voyez aujourd’hui en Syrie. Nous avons reconstruit, mais franchement on a l’impression de toujours vivre dans une ville en guerre tant il est difficile d’avoir accès aux choses basiques et ça fait 30 ans que ça dure.

"Les gens veulent juste de l’eau fraîche, et on nous répond avec la violence"

Le taux de chômage est élevé [25 % au Khuzestân, contre 12,6 % en moyenne en Iran, NDLR], il y a de la pauvreté, des problèmes de pollution de l’air, et puis cette eau potable que nous devons acheter : cette situation n’est pas tolérable.

Depuis les violences de dimanche, la police s’est déployée et la ville est calme. Les gens veulent juste de l’eau fraîche, et on nous répond avec la violence.

La mairie a assuré que la canalisation avait été réparée et que l’eau serait à nouveau utilisable et disponible avant ce vendredi. Je ne suis pas aussi optimiste qu’eux.

Ce n’est pas qu’une question de boire de l’eau fraîche. L’eau disponible est très, très salée. Elle sert à l’irrigation des terres agricoles, et permet notamment aux palmiers, importants pour l’économie locale, de pousser. C’est donc aussi notre économie qui est menacée.

Face aux difficultés, le gouvernement provincial du Khuzestân a rendu l’eau du robinet gratuite depuis le 22 mai.

"Cela fait quarante ans qu’il y a une mauvaise gestion des ressources hydrauliques"

L'Iran fait face à ds épisodes de sécheresse de plus en plus réguliers.  Pour Nasser Karami, un spécialiste de l’environnement qui vit à Londres mais est originaire du Khuzestân, cette crise de l’eau est de la responsabilité des autorités.

Au Khuzestân, 70 % de l’eau vient des fleuves et des rivières, la rivière la plus importante étant le Karkheh. Sur cette image tirée de mes recherches, on voit que son débit s’est réduit de 80 % par rapport à ce qu’il était il y a vingt ans. Et c’est la même situation pour les autres cours d’eau de la région.

Il y a deux raisons à cela : la première relève du changement climatique : l’Iran connaît des problèmes de sécheresse depuis une vingtaine d’années. La seconde, c’est que les gouvernements successifs n’ont rien fait pour changer ça. Et nous atteignons maintenant le paroxysme de cette mauvaise gestion avec cette eau inutilisable. En Iran, on a tendance à rediriger l’eau vers le Nord pour irriguer les terres agricoles, alors que ce n’est pas rentable dans certaines régions. Ça fait quarante ans que ça dure et les conséquences sont là.

Le gouvernement doit, selon moi, mettre fin immédiatement à ce surplus de consommation dans les territoires plus au Nord. Il faudrait aussi mettre en place une vraie politique d’investissement dans les infrastructures de traitement des eaux. Enfin, il faut trouver de nouvelles ressources hydrauliques pour le Khuzestân et pour cela, mettre en place des mécanismes de désalinisation de l’eau de mer me semble être une piste sérieuse à suivre.

Selon le World Ressources Institute, les tensions liées à l’accès à l’eau ne vont faire qu’augmenter au Moyen-Orient dans les années à venir.

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