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Migrants : des associations s'alarment du sort réservé aux enfants et adolescents

Nombre d'enfants placés en centre de rétention en hausse drastique, mineurs non reconnus comme tels de façon «arbitraire» voire refoulés à la frontière italienne avant d'avoir pu exercer leurs droits... Des associations dénoncent le traitement des enfants migrants en France.
par Kim Hullot-Guiot
publié le 5 juillet 2018 à 6h05

Huit associations intervenant auprès des exilés s'alarment ces jours-ci du traitement réservé aux migrants mineurs, qu'ils soient ou non reconnus comme tels et qu'ils soient ou non accompagnés, en France. Mardi, six organisations, dont la Cimade, le groupe SOS et France terre d'asile, ont publié leur rapport annuel sur les centres de rétention administratifs (CRA), où ils ont constaté une hausse drastique de mineurs enfermés. Ce mercredi, Human Rights Watch, avec Médecins sans frontières, s'est à son tour indigné du traitement des mineurs isolés à Paris, dans un rapport que Libération a également consulté.

La rétention utilisée comme outil pratique

La France ne sépare certes pas les enfants de leurs parents, mais elle les enferme avec eux. Et de plus en plus, selon six associations (Assfam-Groupe SOS, Forum réfugiés-Cosi, France terre d'asile, Cimade, Ordre de Malte, Solidarité Mayotte) : 304 enfants ont été placés en rétention en France métropolitaine, et 2 493 à Mayotte, parfois «rattachés arbitrairement à des adultes», l'année dernière, «soit une augmentation de 70% par rapport à 2016, et ce malgré cinq condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme sur l'enfermement des enfants la même année. Il s'agissait pourtant essentiellement de placements évitables, visant à faciliter l'organisation logistique d'un éloignement souvent prévu au lendemain du placement en CRA. Cette procédure est régulièrement sanctionnée par les juges quand les familles ont la possibilité de les saisir», ont-elles dénoncé mardi.

Ces organisations accusent les services de l'Etat d'utiliser la rétention comme un outil pratique – il est plus simple de mettre plusieurs personnes soumises à une obligation de quitter le territoire (OQTF) au même endroit qu'aller les chercher chacune à domicile – plus que comme un outil à n'utiliser qu'en cas de réelle nécessité. En théorie, le placement en rétention doit n'avoir lieu que si l'étranger sous OQTF est considéré comme risquant de disparaître. Jusqu'ici, peu de préfectures décidaient du placement en rétention de familles avec enfants. Mais, pointent les associations, si «la Moselle (17 %), le Doubs (16 %), le Bas-Rhin (14 %) Paris (13 %) ou encore la Meurthe-et-Moselle (9 %) figurent en tête des préfectures à l'origine du placement, ces placements ne sont toutefois plus le fait de préfectures isolées. Ainsi le nombre de préfectures à l'origine du placement a doublé, passant de 17 à 33 entre 2016 et 2017».

Mi-juin, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan, qui jugeait déjà «très alarmant» que «depuis 2013, le nombre de mineurs étrangers enfermés avec leurs familles dans les centres de rétention administrative n'a[it] cessé de croître», dénonçait, elle aussi, cette méthode contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant. Elle pointait en outre les conséquences délicates d'un tel séjour, non pas dans une prison mais dans un lieu très proche de l'univers carcéral, sur les enfants.

Considérés comme non isolés et refoulés à la frontière

Début juin, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté rendait public son rapport sur une visite à la police aux frontières de Menton, à l'orée de l'Italie, cet automne. Elle confirmait ce que dénonçaient depuis longtemps des associations : à la frontière, il ne fait pas bon être un enfant.

«Les mineurs voyageant à plusieurs ou accompagnés d'adultes de la même nationalité ou parlant la même langue sont considérés comme "faisant famille".» Et donc pas comme des mineurs isolés, lisait-on dans le rapport. En conséquence, ces adolescents ne sont pas pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, mais refoulés avec les personnes arrivées en même temps qu'eux : «Les contrôleurs ont relevé que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été réadmis vers l'Italie alors qu'ils ne peuvent en aucun cas faire l'objet d'une mesure d'éloignement.» Seulement 27 mineurs, soit 0,3 % des mineurs interpellés à Menton, ont été confiés aux services sociaux qui ont leur charge, indiquait aussi la CGLPL.

«Privés de la protection et des soins dont ils ont besoin»

Autre difficulté pour les mineurs étrangers en France : se faire reconnaître comme tels. Or, les moyens employés par les services de l'Etat ou les associations en ayant la délégation, sont discutables. Les tests osseux, qui doivent selon la loi n'être utilisés qu'en dernier recours, servent souvent de base à la détermination de l'âge. Or, ils reposent sur des valeurs de référence datant des années 50, et ne prennent pas en compte le fait que «la maturation d'un individu diffère suivant son sexe, son origine ethnique ou géographique.», comme l'avait rappelé en 2015 le Haut Conseil de la santé publique.

«Après avoir enduré des parcours migratoires incroyablement difficiles à dangereux, ces enfants se retrouvent privés de la protection et des soins dont ils ont besoin. En raison de procédures profondément déficientes, des enfants sont refoulés de façon arbitraire à la porte du dispositif d'évaluation, se voient refuser toute protection à l'issue d'un bref entretien, ou se retrouvent pris dans des procédures judiciaires compliquées, les plongeant dans l'incertitude pendant des mois», a dénoncé mercredi Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch (HRW).

En fait, explique HRW dans son rapport qui se concentre sur Paris, c'est la Croix-Rouge française qui est mandatée dans le département 75 pour évaluer l'âge des personnes se présentant comme mineurs. Elle le fait dans le cadre du dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie). Or, HRW, qui a interrogé 49 mineurs, explique que non seulement certains ne se voient pas accorder plus de cinq minutes, voire se voient refuser l'accès au Demie – c'est le principe du «refus guichet» que le Défenseur des droits avait déjà dénoncé en 2016 –, mais qu'en sus, les raisons pour refuser de les considérer mineurs sont abracadabrantesques : «Un récit trop détaillé qui serait un signe de maturité», «des comptes rendus considérés comme imprécis [à cause] d'erreurs mineures sur les dates», «le fait de travailler ou d'avoir travaillé, même si le travail des adolescents est courant», «le fait de voyager seul»…

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«Tout jeune se présentant au Demie est reçu de façon inconditionnelle dans le cadre d'une évaluation, qui fait l'objet d'un référentiel précis et d'une notification systématique depuis le mois de mai dernier, répond la mairie de Paris, qui n'est pas directement responsable du Demie mais tient à soutenir la Croix-Rouge. Nous contestons les allégations de procédure arbitraire d'évaluation de l'âge, d'entretien flash, de refus arbitraire etc. Tout jeune en attente de la décision d'évaluation est mis à l'abri dans le cadre du dispositif dédié.»

Dans tous les cas, les conséquences de prises en charge tardives ou inexistantes sont nombreuses : stress, angoisse, difficulté à se reconstruire et perte de confiance, accès compliqué aux soins médicaux, quasi impossibilité d'obtenir un logement ou une formation… En outre, cela affecte «leur éligibilité à un permis de séjour et à la citoyenneté française», pointe le rapport de HRW, puisqu'un enfant pris en charge avant l'âge de 15 ans peut demander la nationalité française à 18 ans, alors qu'un enfant pris en charge après 16 ans ne pourra demander qu'un permis de travail ou d'étudier, sans certitude de le voir renouveler. Sans certitude, non plus, que ses efforts pour s'intégrer finissent par payer.

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