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Ai WeiWei au Mucem, ça passe ou ça casse

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Publié le , mis à jour le
Ai WeiWei débarque à Marseille et installe son passé artistique déjà illustre au cœur du Mucem. Il y présente une œuvre inédite et dialogue avec les collections du musée pour semer le parcours de clins d’œil aux relations franco-chinoises. Entre les deux pays, on aborde le racisme, l’immigration, les régimes totalitaires et l’industrialisation. Mais son discours moralisateur titille et certaines œuvres indiffèrent. Décryptage de l’exposition Fan-Tan.

Ai Weiwei Colored House 2015 et Savon avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et avec la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791, 2018 © Francois Deladerriere, Mucem

C’est son éternel boomerang, son passeport vers la France. Le père d’Ai WeiWei, le célèbre poète Ai Qing, s’amarra à Marseille en 1929 pour découvrir une ville « terrible », un « pays de brigands ». Aujourd’hui, son fils le célèbre à nouveau, après avoir retrouvé la maquette du bateau à bord duquel il voyagea. Parmi les objets du passé exhibés, on trouve également le journal de bord du capitaine et un briquet Douglass, empreinte de l’époque où le poète amoureux de peinture travaillait la laque pour une fabrique locale. À côté, un masque mortuaire du paternel réalisé sur ordre de l’artiste saisit d’émotion. Le bronze pourrait se confondre à la peau, ridée sur les tempes, lisses sur les paupières endormies.

Durant son séjour à New York dans les années 80, Ai WeiWei découvre Marcel Duchamp et le concept de ready-made. Bien que présentés comme tels, les objets qu’il expose au Muceum ne sont résolument pas « tout faits » ni dépourvus de tout attachement esthétique ou matériel à la sauce duchampienne. L’artiste détourne des produits usuels en les transformant à son gré, connectant simplement deux idées. Deux chaussures cousues aux talons, un violon associé à un manche d’outil, un manteau percé d’un préservatif. Bref, on passe son chemin.

France-Chine, 0–1

Ai Weiwei, Circle of Animals [Cercle d’animaux], 2012 – (Gold) Bronze doré, 12 pièces, dimensions variables
© Image courtesy Ai Weiwei Studio

À Marseille, ce sont deux blocs de savon carrés qui trônent à l’entrée de l’exposition. L’odeur embaume la pièce et achève de nous persuader de leur authenticité. Jusque-là, rien de nouveau sous le soleil. Mais en se rapprochant de quelques pas, la déclaration des droits de l’homme sur l’un puis ceux des droits de la femme sur l’autre apparaissent en empreinte sur la matière. Un frottement, une goutte d’eau, et tout peut s’effacer… Si le sermonneur Ai WeiWei sait nous rappeler la fragilité de nos textes fondamentaux, il sait aussi repositionner le statut d’œuvre d’art. Ici, l’interdiction de toucher se révèle enfin utile et équivoque !

En éternel dénonciateur, Ai WeiWei donne à voir le passé tumultueux des relations franco-chinoises. Dans un long couloir de vitrines, des objets soufflent le désir de justice et de reconnaissance, à commencer par une pipe à opium provenant du fond de dotation Jean-Jacques Lebel. Cette étrange composition fut réalisée par la Chinese Labour Corps, les travailleurs chinois qui constituèrent durant la Première Guerre mondiale une force ouvrière pour la France et le Royaume-Uni. Ancien obus détourné, c’est un magnifique exemple de l’art des tranchées. Plus encore pour Ai WeiWei, c’est l’occasion de s’indigner contre la France oublieuse de ce secours, et d’en tirer l’objet du titre de l’exposition. Fan-Tan ou le char d’assaut offert par un homme d’affaire chinois pendant la Première Guerre mondiale. Mais, comme tout a un double sens avec Ai WeiWei, Fan-Tan désigne également un jeu de roulette.

Pour témoigner d’un racisme historique de la partie française, rien de tel que les cartes-réclames dont le Mucem dispose à foison. Humiliation publique, torture ou meurtre pendant la guerre de Chine habillent ces vignettes colorées imprimées sur carton que les grands magasins distribuaient à volonté.

Disposées en demi-cercle, douze sculptures de têtes animales illustrent les signes du zodiaque chinois. En bronze doré, leur esthétique fascine. Mais sur le cartel, l’anecdote exaspère tant elle fait de l’œuvre un simple rappel historique à l’humeur irritée. Cette dernière fait donc référence à la fontaine-horloge dessinée par deux prêtres jésuites français pour une résidence de l’empereur chinois. En 1860, lors du sac du Palais d’été, les Occidentaux s’emparèrent des têtes. Récemment, elles appartenaient encore à Pierre Bergé qui les mit en vente après la mort de son illustre compagnon. L’affaire devenue scandale, c’est grâce au généreux François-Henri Pinault que les sculptures furent restituées à la Chine. Encore une leçon du maître Ai WeiWei, parce que donner c’est donner, reprendre c’est voler.

Chine-Chine, 0–0

Ai Weiwei, Illumination, 2009 – Tirage Lambda contrecollé sur aluminium – 126 × 168 cm
© Image courtesy Ai Weiwei Studio

Dans le processus d’une entrée en guerre, le temps et les générations sacrifiées préparent la révolte. Chez Ai WeiWei, c’est l’histoire de son père qui fit naître son indignation et son parcours de dénonciateur. Exclu en camp de concentration, déporté dans une ferme de Mandchourie, Ai Qing transmit son amour et sa lutte pour la liberté d’expression autant que son goût pour l’art à son fils.

L’exposition reprend les œuvres phares d’un provocateur né. Un pavillon de chasse chinois du XVIIe siècle repeint de couleurs criardes. Des restes d’ossements humains en céramique provenant d’un camp de travail de Mao Zedong. Le porte-bouteilles de Duchamp soutenant des lustres en écho au fleurissement d’hôtels luxueux en Chine.

Puis plus récemment, ce fameux selfie de l’artiste en prison diffusé sur les réseaux sociaux. Et une caméra de surveillance en marbre comme celles qui entouraient son studio. La surveillance, à cause de ses doigts d’honneur tendus vers les bâtiments emblématiques. La prison, suite à son désir de reconnaissance des victimes du séisme de Sichuan en 2008.

Nouveau combat, celui des migrants. Avec son film Human Flow, l’artiste livre un reportage dramatique sur l’immigration. L’exposition soumet le visionnage d’un extrait filmé en France, celui de la jungle de Calais. Mais le sujet ne fait pas tout, et on attend d’un film d’artiste davantage qu’une caméra vacillante qui vient s’immiscer dans les dialogues entre migrants ou entre policiers sans jamais s’interposer. Derrière l’extrait, des bombes lacrymogènes recouvertes de peinture blanche. Plus loin, des bouées en marbre.

Il y a, chez Ai WeiWei, un désir excessivement sobre d’exposer l’histoire qui le révolte. Un art de l’indignation qui, dans cette exposition, sait peu de fois mettre les formes. « Beaucoup, pourquoi, déjà vu », telles sont nos impressions au fil du parcours. « Plus loin, plus fort, plus sensible », telles sont nos attentes lorsque le discours, le combat et l’acte importent tant.

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