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Nature

Plan biodiversité : des bonnes intentions sans actes concrets, déplorent les ONG écologistes

Dévoilé en grande pompe au Muséum national d’histoire naturelle de Paris ce mercredi 4 juillet, le plan biodiversité cher à Nicolas Hulot promet notamment de mettre fin à l’artificialisation des sols. Mais à un horizon indéterminé et sans remettre en cause des projets actuels de bétonage. Les ONG écologistes ont réagi par la déception au Plan.

« Sur la planète, une espèce disparait toutes les vingt minutes », annonce d’une voix solennelle le Premier ministre, venu en personne présenter le « plan biodiversité » porté par son gouvernement. Sous le regard vide des girafes, hippopotames et autres fauves empaillés du Muséum national d’histoire naturelle, il reprend le cri du cœur poussé par Nicolas Hulot à l’Assemblée nationale en mars dernier. Car, non, affirme le Premier ministre, contrairement à ce que disait son ministre d’État, « la biodiversité, tout le monde ne s’en fiche pas ».

C’est pour porter cette thématique à la hauteur de celle du climat, dont les enjeux sont plus médiatisés, que ce texte a été conçu. Mais avec quels moyens ? « Seulement 600 millions d’euros ? » questionne une journaliste. Réponse cinglante du Premier ministre : « Plutôt que de faire du fétichisme du chiffre, je préfèrerais que l’on s’intéresse à l’efficacité des mesures. »

Mercredi 4 juillet, au Muséum national d’histoire naturelle.

Le Plan compte une centaine de mesures. Elles sont articulées autour de la préservation de la biodiversité et de la restauration des milieux naturels, de l’éducation de la société à ces questions environnementales, et de la reconnaissance de cet enjeu à l’échelle européenne et internationale. Trois axes sont mis en avant par le gouvernement : la fin de l’artificialisation des sols, la lutte contre la pollution des plastiques, et le soutien à la préservation de la biodiversité dans le domaine agricole.

Le lendemain, jeudi 5 juillet, les ONG concernées n’ayant pas été invitées à la cérémonie se réunissaient pour présenter à leur tour leurs impressions sur le fond du texte. Bilan : « 1/3 de concret, 1/3 de recyclé et 1/3 de peu engageant », selon la formule de France Nature Environnement. Elles soulignent les délais serrés dans lesquels a été réalisé le plan, dénoncent le manque d’ambition de certaines mesures et le flou de dizaines d’autres.

La fin de l’étalement urbain : des promesses démenties par les actes

Une bitumeuse.

L’un des principaux enjeux de ce plan biodiversité est la lutte contre l’étalement urbain. Une « menace très sérieuse, selon le Premier ministre, contre laquelle il est très dur de lutter tant la demande est grande », du fait des nécessités économiques et du modèle de vie périurbaine qui prévaut sur le territoire. Entre 2006 et 2015, l’artificialisation des sols a grignoté 660.000 ha d’espaces naturels, soit une surface équivalente au département du Pas-de-Calais. Mais n’y a-t-il pas contradiction entre les intentions affichées et la réalité des actes : le gouvernement a dernièrement fait appel de l’annulation par le tribunal administratif du projet dévoreur de terres Europacity, et s’est prononcé en faveur du Grand contournement ouest de Strasbourg, qui va lui aussi bétonner des dizaines d’hectares. C’est la question qu’a posée Reporterre. Réponse d’Edouard Philippe : « Nous n’allons pas cesser demain matin de construire et d’artificialiser certains sols. Personne ne le souhaite d’ailleurs, parce qu’il y a des projets commerciaux, des projets routiers, des projets d’infrastructures… Notre objectif est de nous dire que nous n’aggravons pas la situation. Cela passe, à certains endroits, par une “désartificialisation” des sols. »

La réponse d’Édouard Philippe sur l’artificialisation des sols.

Pour le gouvernement, « zéro artificialisation nette » ne signifie pas pour autant la fin, « irréaliste », de l’étalement urbain. Cet objectif s’accompagne en fait d’un système de compensation. Pour chaque surface artificialisée, il s’engage - à un horizon indéterminé - à « désartificialiser » (ou « renaturaliser ») un espace d’une surface équivalente. Une démarche « faisable, notamment avec des outils comme le plan local d’urbanisme (PLU) », explique la SNPN (Société nationale de protection de la nature), mais qui reste compliquée à mettre en place. « D’où sortent-ils cet objectif ? Et comment comptent-ils le tenir ? se demande Jean-David Abel de France Nature Environnement. On sait que la nature est capable de reconstruire, mais où va-t-on trouver par milliers des espaces compensables ? »

Autre nuance dans le texte du gouvernement : la « désartificialisation » englobe également le « construire autrement ». Édouard Philippe cite l’exemple de parkings qui pourraient être construits tout en luttant contre l’imperméabilisation des sols afin de « réduire considérablement l’inconvénient sur le milieu ». Une définition qui laisse les ONG dubitatives. La marche à suivre, selon elles, c’est « éviter » d’abord, puis « compenser » ensuite ce qui n’a pas pu être « évitable ». Reste encore à s’entendre sur la définition de ce mot.

Plus de plastique (non recyclable) dans l’océan en 2025

Le second thème majeur du plan biodiversité, c’est la lutte contre les déchets plastiques, thème sur lequel la France a « beaucoup de retard », selon Nicolas Hulot.

La « lutte féroce » que souhaite engager le ministre de la Transition écologique débute avec un objectif ambitieux : Ne plus jeter un seul plastique dans les océans d’ici 2025. Il propose pour cela « d’éliminer progressivement un certain nombre d’objets de la vie courante comme les couverts en plastique, les pailles, les cotons-tiges ». Une intention « louable » mais insuffisante selon l’ONG Surfrider. Celle-ci craint notamment qu’ils ne soient remplacés par d’autres objets biodégradables, toujours à usage unique. « Si on ne s’attaque pas au plastique à usage unique biodégradable, on ne parviendra pas à tenir l’objectif de 2025, indique sa porte-parole, Antidia Citores. Biodégradable ou non, le plastique reste un prédateur pour la biodiversité marine. » L’ONG souligne également certaines lacunes du texte. « On nous parle des microbilles interdites dans les cosmétiques, mais il y en a toujours dans les détergents et aucune réglementation n’est en vigueur de ce côté. » De plus, ces mesures ne sont, pour elles, qu’un « calque » des exigences de la Commission européenne : la France pourrait aller plus loin.

Le ministre souhaite aussi « apprendre à recycler tous les plastiques », notamment en ne produisant plus que du plastique recyclé. Autre mesure, proposée par la secrétaire d’État Brune Poirson : le retour de la consigne. Mais l’action ne sera mise en place, dans un premier temps, qu’à l’échelle des îles françaises. À nouveau, les ONG déplorent un discours qui « met en opposition le principe de substitution en face du principe de recyclage ». À nouveau, le texte ne va pas assez loin et n’apporte rien de fondamentalement nouveau.

Un soutien aux agriculteurs (au détriment des agences de l’eau)

Un paysage de la réserve naturelle régionale de la haute vallée de la Vézère, en Nouvelle Aquitaine.

Le plan biodiversité annonce, enfin, un certain nombre de mesures à destination de l’agriculture. En commençant par l’intensification de sa lutte contre les pesticides. Une mesure très bien accueillie par les ONG. L’État réitère son ambition d’une première sortie du glyphosate (pour les principaux usages) d’ici trois ans et d’une sortie intégrale d’ici cinq ans. De plus, le texte annonce l’extension de l’interdiction des néonicotinoïdes à tous les produits neurotoxiques. Une première étape saluée par Bernard Chevassus-au-Louis, de l’association Humanité et biodiversité, mais qui ne crie pas victoire pour autant. « La lutte sera longue », prévoit-t-il : qui dit interdiction des néonicotinoïdes dit usage croissant d’alternatives contenant des molécules néfastes pour la biodiversité.

Autre action à souligner : la hausse de la redevance sur les pollutions diffuses pour financer l’agriculture biologique, seule « vraie ressource nouvelle », selon Bernard Chevassus-au-Louis. Le texte prévoit 200 millions d’euros sur 4 ans, soit 50 millions par an.

Mais la mesure phare du plan biodiversité en matière d’agriculture, c’est la mise en place d’une rétribution aux agriculteurs pour « services environnementaux » rendus. Elle concerne « tout ce qui est relatif à la préservation des prairies, des zones humides, à la plantation de haies, à la couverture des sols, à la restauration des mares… autant de zones refuges pour la biodiversité qui sont essentielle à la préservation des populations d’insectes et d’oiseaux », annonçait mercredi Édouard Philippe. D’ici 2021, 150 millions d’euros provenant du 11e programme des agences de l’eau y seront consacrés. Deux points noirs cependant.

D’une part, les ONG demandent que tous les acteurs puissent y être éligibles (forestiers, collectivités territoriales, etc.). D’autre part, le mode de financement est préoccupant, selon elles. « Si ces agences de l’eau sont plafonnées, cet argent sera pris sur autre chose. Déjà l’an dernier, on a transféré le financement des parcs nationaux, et le financement de l’Office national de la chasse sur les agences de l’eau. Au bout d’un moment, on se demande si l’État ne va pas transférer tout ce qui lui pose problème sur les crédits. »

Globalement, ces acteurs de la biodiversité reconnaissent le « bon diagnostic » du gouvernement. Mais à cette étape, le Plan — qui est destiné à évoluer — est largement insuffisant. Il restera symbolique sans une augmentation des moyens qui lui sont alloués, et sans une précision des mesures qui y sont inscrites. Et surtout, sans une cohérence entre l’annonce et les faits. Ce qui est loin d’être gagné.


LETAIL DU PLAN BIODIVERSITÉ

  • Le texte intégral du Plan biodiversité est téléchargeable ici. Nous en présentons ci-dessous les principales dispositions.
  • Ou sinon ici :
    Plan biodiversité-publié le 4 juillet 2018

Collectivités territoriales

Le premier axe du plan biodiversité se concentre sur la reconquête de la biodiversité dans les territoires. Plusieurs mesures sont proposées, dont ces deux actions, saluées par les ONG :
-   Accompagner 1.000 collectivités territoriales vers un label « Territoires engagés pour la nature » d’ici à 2022. La future Agence nationale de la cohésion des territoires, qui verra le jour à l’été 2018, comportera désormais un volet nature (CPER, contrats de ruralité, contrats de réciprocité avec les métropoles, etc.).
-   Développer la résilience des territoires en expérimentant des solutions innovantes d’adaptation au changement climatique sur 20 territoires pilotes, d’ici à 2025. L’objectif ? Tester sur le terrain et à grande échelle des solutions fondées sur la nature pour améliorer cette résilience, notamment face aux inondations.

Pollution lumineuse

La pollution lumineuse, qui émane notamment de l’éclairage public, exerce une pression importante sur les écosystèmes nocturnes et concerne tout le territoire français. Rarement mentionnée dans les textes législatifs, son inscription dans le plan le hisse au même niveau que les pollutions chimiques et plastiques. Deux mesures sont proposées :
-   Élaborer une réglementation concernant les horaires d’allumage ou d’extinction des éclairages ainsi que leurs caractéristiques techniques.
-   Définir un indicateur unique qui permettrait d’évaluer la pollution lumineuse en France. Cet indicateur serait établi à partir des recommandations de la mission d’inspection du Conseil général de l’environnement.

Biodiversité et Santé

Le texte souhaite intégrer les enjeux de biodiversité dans les politiques de santé humaine, animale et végétale, en reconnaissant toutes les sources d’exposition. Aujourd’hui, les réglementations sur les médicaments vétérinaires, les biocides et les produits phytosanitaires fonctionnent séparément, « et ont même parfois des limites de résidus distinctes », explique l’écologue Bernard Chevassus-au-Louis. Pour y remédier, le plan suggère notamment de :
-   Développer les travaux de recherche sur ces thèmes, notamment sur l’utilisation de la biodiversité végétale comme alternative à l’utilisation de produits phytosanitaires.
-   Limiter la vente en libre-service des produits biocides les plus préoccupants pour l’environnement et assurer une bonne information sur les risques liés à leur utilisation.

Aires protégées

La préservation de la biodiversité française et de ses 18.000 espèces endémiques passe inévitablement par la protection des espaces naturels et l’extension des aires protégées. Ces dernières représentent 20 % de la totalité du territoire français, à terre comme en mer. Pour poursuivre cet objectif, le plan biodiversité ambitionne de :
-   Créer ou étendre 20 réserves naturelles nationales, dont au moins deux en outre-mer, territoire souvent oublié ; ainsi que l’extension du domaine protégé du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres d’au moins 10.000 ha d’ici 2022.
-   Protéger 100 % des récifs coralliens français d’ici 2025 (75 % d’ici 2021).
-   Restaurer les continuités écologiques en supprimant les obstacles qui les obstruent (infrastructures routières ou ferroviaires, barrages, conurbations…).

Espèces en danger

Deux enjeux pour le gouvernement : protéger les espèces en danger et limiter l’impact des espèces invasives qui nuisent aux espèces autochtones. Selon le texte du plan biodiversité, les chantiers prioritaires sont les suivants :
-   Réintroduire deux ourses dans les Pyrénées-Atlantiques, et mettre en place en parallèle des mesures à destination de l’élevage qui pourrait subir des dégâts dus aux grands prédateurs.
-   Élaborer dès cette année un plan d’action pour protéger les cétacés des différentes menaces qui pèsent sur eux (échouage, captures accidentelles dans les filets de pêche, proximité et collision avec les bateaux, pollution sonore...) Un accord avec les partenaires européens ainsi que le Canada est d’ailleurs évoqué pour créer, en Méditerranée, une zone maritime particulièrement vulnérable (ZMPV).
-   Interdire d’ici 2020 l’utilisation de plantes invasives dans l’aménagement public.

Préservation des océans

Depuis un an, la France est absente de tous les grands forums internationaux qui concernent les océans, selon Antidia Citores, porte-parole de l’ONG Surfrider. Le gouvernement prévoit :
-   D’appuyer la création d’une aire marine protégée dans les eaux internationales d’ici 2022 et la création d’aires protégées en Antarctique.
-   D’encadrer la pêche de loisir en mer (sans plus de détails).
-   De soutenir les Organisations régionales de gestion des pêches (ORGP), des organismes intergouvernementaux qui s’occupent de la gestion de la pêche en haute mer, en envoyant notamment des scientifiques français en appui.

Éducation et formation

L’objectif est de rendre accessible à tous la connaissance des enjeux liés à la biodiversité et à l’importance de sa préservation. Le gouvernement mise notamment sur :
-   600 nouveaux atlas de la biodiversité communale (ABC) consultables en ligne en Open data.
-   Des « séjours nature » de 2 jours consécutifs mis en place au collège via un partenariat avec le ministère de l’Éducation et le ministère de la Transition écologique.
-   Des applications numériques, comme un PokemonGo de la biodiversité et un Shazam permettant d’identifier les espèces.

Droit de l’environnement

Le dernier chapitre du Plan biodiversité est consacré à l’amélioration de l’efficacité des politiques de biodiversité, tant sur la plan national qu’international. Ce volet comporte, entre autres choses :
-   Le renforcement les effectifs et les pouvoirs de la police de l’environnement et de la ruralité (15 agents par département).
-   L’inscription de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique à l’article 1er de la Constitution.
-   La volonté de faire adopter, à l’international, un Pacte mondial pour l’environnement afin de renforcer le poids du droit international de l’environnement.

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