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ReportageMonde

Marche des migrants : « Je suis venue pour leur dire, Vous n’êtes pas seuls ! »

Partie le 30 avril dernier de Vintimille, à la frontière franco-italienne, la Marche des migrants rejoindra Londres le 8 juillet après 1.473 kilomètres et 60 étapes à travers la France. Elle est organisée par l’association calaisienne L’Auberge des migrants en lien avec La Roya citoyenne, originaire de la vallée du même nom dans les Alpes-Maritimes.

  • Grande-Synthe (Nord), reportage

Les marcheurs ont fait halte à Grande-Synthe le jeudi 5 juillet et ont été accueillis par une multitude d’associations réunies au sein du collectif Migrants de Dunkerque. Cette marche citoyenne et solidaire porte deux revendications essentielles : « Laissez-les passer ! » et « Accueillons-les ! ». La liberté de circulation et d’établissement, en Europe et en France, des migrants est ainsi réclamée. Ceux-ci doivent pouvoir choisir librement le pays dont ils souhaitent obtenir la protection. L’Auberge des Migrants et La Roya citoyenne demandent également l’ouverture des centres d’accueil inconditionnel et l’abandon du « délit de solidarité ».

Une chaude ambiance régnait dans les locaux d’Emmaüs Dunkerque, implantés à la périphérie de la ville de Grande-Synthe, le long de l’A16. Des tables recevant boissons fraîches et petits gâteaux étaient dressées à l’ombre des arbres, en attente de l’arrivée des marcheurs provenant, sous un soleil radieux, d’Hazebrouck, distante d’un peu plus de 30 kilomètres. Un peu à l’écart, les Clowns sans frontières répétaient le spectacle qu’ils offriraient, en fin d’après-midi, dans le centre-ville de Grande-Synthe. Un modeste voilier, transporté jusque-là, symbolisant les frêles embarcations sur lesquelles naviguent en Méditerranée les migrants, leur servirait d’accessoire.

Les clowns sur leur modeste embarcation.

Un esprit festif, appuyé sur de solides convictions politiques clairement affichées, animait l’ensemble des compagnons d’Emmaüs arborant fièrement le tee-shirt « Treize ». Ils réclamaient ainsi l’application de l’Article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme relatif à la libre circulation des personnes.

L’Article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Sylvie Desjonquères, directrice d’Emmaüs Dunkerque, lut à voix haute les propos récemment tenus par Emmanuel Macron lors de l’hommage rendu à Simone Veil : « Nous les avons inscrits sur quelques banderoles afin de montrer l’incohérence et l’hypocrisie de la politique migratoire française. Chacun appréciera », dit-elle, en citant le Président de La République : « C’était le temps où des solidarités souterraines maintenaient la fraternité française. » Ou encore : « Contre les préjugés, l’isolement, contre les démons de la résignation ou de l’indifférence. » Sylvie Desjonquères a imaginé alors une prochaine manifestation en faveur des migrants au cours de laquelle ces banderoles pourraient être dressées face aux forces de l’ordre.

« Mettre fin à la rhétorique de la peur développée par le ministre de l’Intérieur » 

Solidement appuyée sur sa canne, Gillette, 86 ans, membre de Salam (Soutenons, aidons, luttons, agissons pour les migrants et les pays en difficulté) et du Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), était venue à pied de chez elle pour apporter son soutien aux marcheurs. « J’en ai marre de voir des gens mener une vie indigne, déclare-t-elle. J’ai l’impression de revivre une partie de mon enfance, durant la guerre à Lyon, quand nous étions obligés de nous cacher. Je suis là parce que l’humain, c’est ce qui m’intéresse ! »

Catherine et Florence, venues de Bruxelles, ont rejoint les marcheurs à Lille. Les pieds endoloris par de nombreuses ampoules, Catherine n’en avait pas pour autant perdu son sourire et sa détermination. Elle appartient à une plateforme citoyenne regroupant 43.000 bénévoles acceptant d’offrir l’hospitalité aux migrants réunis quotidiennement dans le parc Maximilien de Bruxelles. « Il n’y a pas encore en Belgique de “délit de solidarité”, cela encourage les initiatives citoyennes, se rassure-t-elle. En France, ce délit bloque tout. Je suis venue à la marche pour vivre ce que les migrants vivent sur ces routes et leur dire “Vous n’êtes pas seuls !” . » Malgré ses douleurs, Catherine reprendra la route les 6 et 7 juillet en direction de Gravelines puis de Calais.

Catherine, venue de Bruxelles.

Son amie Florence est politiquement plus impliquée. Elle lutte contre la politique migratoire européenne et veut « secouer », dit-elle, nos politiques, constituer un réseau de villes européennes hospitalières afin que se mette en place une chaîne humanitaire. Elle précise : « Il faut nous laisser faire car nous faisons ce que le gouvernement français ne fait pas ! »

Florence.

Préparant un master humanitaire à Chambéry (Savoie), Émilien a pu réaliser un stage au sein de L’Auberge des migrants. Il a coorganisé la marche entre Marseille et Lyon avec François Guennoc, vice-président de l’association calaisienne. Arrivé un peu plus tôt à Grande-Synthe, il a préparé la partie finale de la marche depuis le site Emmaüs jusqu’au centre-ville : « Depuis Vintimille, je pense à Gandhi et à son message de paix qu’il n’a cessé de diffuser. Il y a en France le mouvement En Marche. Mais, à y réfléchir, qui est en marche vraiment ? » À Paris, le collectif « Sans papiers » les a rejoints de sorte que selon lui, le mouvement a pris de l’ampleur et près de 19 nationalités sont désormais représentées parmi les marcheurs. « Chaque soir, nous avons rencontré un accueil chaleureux, c’est incroyable ! » ajoute-t-il. Une fois la marche terminée, il se mettra au vert pour rédiger son mémoire, qui doit être terminé pour le 31 août.

Émilien.

Olala, olélé, solidarité avec les sans-papiers,
Olala, olélé, c’est pas les sans-papiers, c’est pas les immigrés,
C’est la loi qu’il faut changer !

Ce chant est repris en chœur par l’ensemble des marcheurs arrivés vers 17 h 30 sur le site d’Emmaüs. Damien Carême, maire de Grande-Synthe, les a accompagnés symboliquement durant quelques kilomètres. Se rafraîchissant, il accepte de réagir avant de rejoindre la Maison communale : « Cette marche est chargée de symboles. C’est ce mouvement de solidarité, cet accueil que je voudrais que l’on retienne. Il est indispensable de mettre fin à la rhétorique de la peur développée par le ministre de l’Intérieur, qui parle de “tsunami migratoire”, de “raz de marée”, d’“appel d’air”. Il faut casser ce discours sécuritaire. Quand on est en contact avec la population, quand on lui parle, quand on lui explique les données du problème migratoire, c’est la solidarité qui s’éveille en elle. Je suis intimement persuadé que les Français, dans leur grande majorité, veulent accueillir les migrants ! »

Damien Carême, le maire de Grande-Synthe.

« Il est possible de réveiller l’esprit citoyen » 

Lætitia, professeur de lettres au lycée du Noordover de Grande-Synthe, est venue marcher malgré la forte chaleur. « Les propos de Gérard Collomb me font peur, l’époque me fait peur. Je voulais être là car je suis attachée à l’idée de rendre visible la question migratoire de manière positive. Il fallait une vraie mobilisation populaire face à toute cette violence. Le délit de solidarité est un véritable oxymore. C’est proprement scandaleux, c’est une absurdité, une aberration. Nous devrions obliger les États à prendre leur part et je suis convaincue que nous pouvons accueillir une partie de la misère du monde, selon nos moyens », déclare-t-elle.

Bénévole à Terre d’errance, Anne Sophie est venue avec ses deux enfants, dont le plus jeune est transporté dans une poussette. Initialement, elle ne souhaitait rester qu’une journée, l’étape Steenwerk-Hazebrouck. Mais étant donné « la superbe ambiance qui régnait sur la marche », elle a décidé de prolonger son parcours et de rejoindre Calais en famille. Sa fille aînée de 8 ans avait accepté de marcher pendant huit kilomètres ce 5 juillet. « Les frontières doivent s’ouvrir, dit-elle, et pas simplement pour laisser passer les marchandises ! »

Lætitia.

François Guennoc est en tête de cortège. Le vice-président de l’Auberge des migrants tient à préciser son statut de bénévole. Malgré sa grande satisfaction de participer à cette marche, il n’est pas mécontent de la voir arriver à son terme en raison de la lourdeur des questions logistiques. Parti lui aussi de Vintimille, il estime que plus de 3.000 personnes ont marché à travers la France. « J’ai découvert, déclare-t-il, la diversité de l’aide apportée aux migrants tout au long du parcours. Il est possible de réveiller l’esprit citoyen et ainsi de revitaliser l’ensemble du territoire afin d’accueillir davantage de migrants. La France solidaire existe, je l’ai rencontrée et je peux dire que Damien Carême n’est pas seul ! Beaucoup d’élus agissent à visage découvert mais certains d’entre eux s’engagent à l’abri du regard de leurs électeurs. Ils ne veulent pas les décevoir, disent-ils, et demeurent dans l’ombre. »

François Gennoc, vice-président de l’Auberge des migrants.

La fanfare Seveso a accueilli chaleureusement, sur le parvis de la Maison communale de Grande-Synthe, les marcheurs, lesquels ont encore trouvé l’énergie pour danser et chanter. Ils ont été invités à prendre part à une réception organisée en leur honneur à l’intérieur de cette mairie. À la suite de Damien Carême et des représentants de quelques associations humanitaires, François Guennoc, visiblement très ému, a pris la parole pour dire tout l’espoir qu’il avait de voir les pouvoirs publics prendre en considération cette marche citoyenne et solidaire. Le cortège s’est ensuite dirigé vers le gymnase du Moulin, où cette belle journée s’est terminée, comme elle avait commencé, de manière festive.

Maya se rendra à Londres le 8 juillet en compagnie d’une cinquantaine de marcheurs. Ils seront attendus à Marble Arch par Help Refugees et Samir, exilé en Angleterre, dont l’association apporte le soutien aux nouveaux migrants, arrivés sur le territoire britannique. Maya souligne le fait que 30 marcheurs, candidats à l’exil vers le Royaume-Uni, mais demeurés en France, seront fictivement présents à Londres grâce à leurs photos apportées par les marcheurs autorisés à réaliser la traversée. « Nous serons leur corps, affirme-t-elle, mais par leur âme ! » Cette présence dans la capitale britannique devrait consolider les liens de solidarité entre les associations françaises et anglaises qui œuvrent, de part et d’autre du Channel, en faveur des migrants et de leur liberté de circuler.

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