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Course contre la mort en Thaïlande

Quatre garçons sont sortis en vie de la grotte dans laquelle ils étaient coincés depuis 15 jours. Dix-huit plongeurs sont partis plus tôt dimanche pour tenter de secourir les douze enfants et leur entraîneur de football qui y sont bloqués. L'évacuation pourrait durer plusieurs jours, alors que les pluies menacent de revenir

Une ambulance emmène les premiers garçons évacués de la grotte dans laquelle ils étaient coincés depuis quinze jours. — © LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP PHOTO
Une ambulance emmène les premiers garçons évacués de la grotte dans laquelle ils étaient coincés depuis quinze jours. — © LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP PHOTO

Mise à jour dimanche 8 juillet, 15h25

Quatre des treize jeunes coincés dans une grotte en Thaïlande ont d'ores et déjà été secourus et dévacués sans danger, a annoncé dimanche un responsable du ministère de la Défense. «Quatre d'entre eux sont sortis», a déclaré ce responsable, sous couvert de l'anonymat.

Deux d'entre eux, dont l'un sous proche surveillance médicale, étaient en route vers l'hôpital Prachanukroh à Chiangrai dimanche entre 14h30 et 15h.

Il semble qu'ils aient été évacués par les plongeurs dépêchés sur place, mais aucune confirmation officielle n'a été formulée pour l'heure.

Les autres enfants restant sous terre, ainsi que leur entraîneur de football, suivent dans un goutte-à-goutte éprouvant pour les familles. Ils pourraient sortir dans la nuit de dimanche à lundi, et mettre ainsi un terme à cette opération qui se sera déroulée plus rapidement qu'initialement annoncée.

Ci-dessous, notre reportage effectué à Mae Sai samedi 7 juillet.

Les pluies de mousson qui se sont abattues depuis samedi soir sur les pitons rocheux couverts de forêts de la frontière birmano-thaïlandaise ont précipité le déclenchement de l’opération d’évacuation des douze enfants âgés entre 11 et 16 ans et de leur entraineur de football âgé de 25 ans bloqués depuis le 23 juin dans une profonde grotte dans l’extrême de la Thaïlande, dans la province de Chiang Rai. «C’est aujourd’hui le jour J», a déclaré dimanche matin Narongsak Ossothanakorn, gouverneur de la province et coordinateur de l’opération, après avoir ordonné aux journalistes de quitter le camp de commandement, un vaste espace boueux à l’entrée de la grotte de Tham Luang planté d’auvents et où étaient postées les centaines de journalistes et de secouristes volontaires. «Le niveau d’eau a baissé de 30% dans la grotte, mais les pluies ont repris. C’est le moment propice pour lancer l’opération d’évacuation», a-t-il précisé. Les journalistes sont désormais confinés à un bâtiment administratif situé à environ un kilomètre de la grotte et ne peuvent plus voir directement le déroulement des opérations.

© PONGMANAT TASIRI / EPA
© PONGMANAT TASIRI / EPA

Dix-huit plongeurs participaient dimanche à l’opération d’évacuation: 13 experts étrangers, spécialisés en plongée dans les grottes, et cinq commandos de la marine thaïlandaise. Chaque enfant et l’entraineur sont assistés pour le périlleux trajet par deux plongeurs, mais dans certains goulets étroits et inondés, les enfants devront plonger guidés seulement par une corde et sans visibilité. Tous sont équipés d’un masque et de bouteilles ; dans les passages les plus étroits la bouteille sera détachée et portée par un autre plongeur. La stratégie adoptée est risquée, mais le début des pluies de la mousson n’a guère laissé de choix. Samedi soir, Narongsak lui-même reconnaissait que, dans les prochains jours, les enfants «pourraient se retrouver confinés dans un espace d’une dizaine de mètres carrés».

Deux kilomètres sous la montagne

Pour comprendre la complexité de cette opération de secours, il faut d’abord décrire le profil géologique de la grotte de Tham Luang, longue d’une dizaine de kilomètres et située à une profondeur entre 800 mètres et deux kilomètres sous la chaîne montagneuse de Nang Non qui chevauche la frontière.

Cette grotte calcaire s’articule en deux principales galeries, avec certains passages d’une largeur entre un mètre et quarante centimètres, qui relient trois salles dominées par d’impressionnantes stalactites. Lorsqu’ils sont entrés dans la grotte pour ce qui devait être une excursion de quelques heures, les enfants et leur entraineur ont dépassé de 400 mètres une section de la grotte particulièrement spectaculaire, appelée « Pattaya Beach » selon une célèbre station balnéaire de l’est thaïlandais. Ils se trouvent à 1 700 mètres de l’entrée.

Lire aussi: Depuis leur grotte, les enfants écrivent à leurs parents

Les disparus ont été retrouvés le 2 juillet après dix jours de recherches par des dizaines de plongeurs et de spéléologues. Le trajet en partie immergé de la troisième chambre, transformée en centre de commandement de l’opération de secours, à l’endroit où se trouvent les enfants prend six heures pour l’aller, et cinq heures pour le retour pour des spéléologues confirmés. Ce n’est donc que tard dans la soirée de dimanche que pourrait émerger le premier enfant si l’opération de sauvetage se déroule sans accrocs. L’opération de secours se poursuivra sur les deux prochains jours.

Personne ne sait nager

Depuis qu’ils ont été retrouvés, les enfants ont reçu des aliments à haute valeur énergétique et ont été initiés à la plongée par des experts et des commandos de la marine. Mais aucun d’entre eux ne savait nager il y a encore dix jours. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux, ainsi que l’entraineur de football, Ekapol Chanthawong, se sont mal remis du jeûne forcé de dix jours et restent fortement affaiblis. Il est donc clair que l’option choisie d’une «évacuation horizontale» par un tel réseau de galeries est risquée.

La mort jeudi par noyade, dans l’une des galeries immergées, de Saman Kunan, un secouriste chevronné âgé de 38 ans, pratiquant du triathlon et ancien commando de marine en est un tragique témoignage. Cet accident a envoyé une onde de choc à travers le royaume, chacun prenant mieux mesure des risques encourus. Se sentant responsable de la suite néfaste d’événements, Ekapol a fait parvenir vendredi une lettre aux parents des enfants. «Je promets de m’occuper des enfants le mieux possible. Je m’excuse pour tout ce qui s’est pass », a-t-il griffonné sur une feuille ramenée par les secouristes. Le 23 juin dernier, il avait emmené les enfants dans la grotte après un entrainement, sans tenir compte du fait que celle-ci est fréquemment inondée lors de la saison des pluies qui commence en juin.

Chasseurs de nids

Depuis maintenant plus de deux semaines, les secouristes ont tenté de trouver d’autres possibilités, moins périlleuses, pour évacuer les enfants et leur entraineur. Des centaines de militaires et de volontaires, assistés par des drones, ont découvert plusieurs dizaines de puits dans la chaîne montagneuse qui couvre la grotte. Les plus prometteurs, dont l’un de 400 mètres de profondeur, ont été explorés par des spéléologues ainsi que des «chasseurs de nids d’oiseaux», ces Thaïlandais du sud qui grimpent dans les cavernes pour collecter des nids d’hirondelles, une denrée précieuse en Asie.  Nous avons trouvé une cheminée profonde de plusieurs centaines de mètres. Nous allons y dormir cette nuit pour continuer à l’explorer», indiquait vendredi un spéléologue traversant le camp de commandement. Certains de ces puits ont été élargis avec des foreuses pour évaluer la possibilité de les utiliser pour une évacuation.

© LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP PHOTO
© LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP PHOTO

Mais, les secouristes se sont vite rendus compte que la chance que l’une de ces cheminées communique directement avec la partie de la galerie où se trouvent les enfants et leur entraineur est infime. «Il faut bien comprendre qu’on est dans un réseau où on n’a qu’une galerie et que celle-ci n’est pas d’un très gros gabarit. Donc si on fore un peu au hasard, en utilisant simplement la précision de la cartographie, on a toutes les chances de tomber à côté», a indiqué dans un entretien avec Radio France Internationale Bernard Tourte, président de la commission secours au sein de la Fédération française de spéléologie.

Au-delà des stratégies techniques, certains Thaïlandais, dont beaucoup mêlent bouddhisme et pratiques superstitieuses, se sont aussi tournés vers des moyens tenant du surnaturel. Vendredi soir, au pied de la pente boueuse menant à la grotte, un bonze venu d’un temple voisin psalmodiait des mantras après avoir déployé un diagramme magico-bouddhique sur une table. «J’ouvre la forêt. Des fantômes et des esprits protègent la forêt. Peut être que ces enfants ont commis un impair. J’invoque ces esprits pour implorer leur salut», explique-t-il.