Saint Barthélémy, les véritables causes du massacre

Dans la nuit du 24 août 1572, 30 000 protestants sont massacrés par les ligueurs catholiques dans les rues de la capitale. Voici le récit de l’enchaînement tragique des faits qui constituent le point d’orgue des guerres de Religion.

De Jean-Joël Brégeon
Isabelle Adjani interprète Marguerite de Valois dans la "Reine Margot", film de Patrice Chéreau sorti en ...
Isabelle Adjani interprète Marguerite de Valois dans la "Reine Margot", film de Patrice Chéreau sorti en 1994.
PHOTOGRAPHIE DE Renn Productions, France 2 Cinéma

Les guerres de Religion ont endeuillé le royaume de France de 1559 à 1598 stricto sensu, car les premiers signes remontent en réalité à 1524 et, suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685, la question protestante ne sera réglée qu’un siècle plus tard par l’édit de tolé­rance de 1787.

Les massacres de la Saint-Barthélemy, perpétrés à Paris dans la nuit du 23 au 24 août 1572, sont l’épisode le plus sanglant de cet affrontement entre catholiques et protestants. Le nombre de victimes oscille entre 15 000 et 30 000.

Cette Saint-Barthélemy procède d’un cheminement complexe, qui conclut les démar­ches tortueuses de la famille royale, des Grands, des deux clergés, des notables provinciaux… Il s’insère aussi dans le jeu euro­péen des puissances. La France peine à trouver sa place entre une Espagne hégémonique, victorieuse des Turcs à Lépante en 1571 et se préparant à châtier « ses » Pays-Bas rebelles, l’« hérétique » Élisabeth Ire ­d’Angleterre et un Empire germanique déchiré par les affron­tements confessionnels. Cela sous l’œil des papes Pie V puis Grégoire XIII, élu le 14 mai 1572, qui la croient toujours son bras armé contre l’hérésie.

Le jeune roi de France Charles IX a 22 ans. Maladif, d’un caractère peu affirmé, il est sous la tutelle de sa mère, Catherine de Médicis, personnage d’une autre trempe. Le cercle fami­lial – ses frères, François et Henri, sa sœur Marguerite, les « cousins » Bourbon, Guise, Montmorency – constitue un environnement instable, clivé par des clientèles engagées les unes dans la foi réformée, ­calviniste pour l’essentiel, les autres dans le catholicisme le plus strict.

Le groupe dit des « Politiques », qui cherche à déconfessionnaliser la pratique politique, est de plus en plus isolé, tel Michel de L’Hospital, chancelier de France depuis 1560. Dans le camp réformé, la figure dominante est désormais Gaspard de ­Coligny, un Montmorency, bon chef de guerre, qui associe sa foi à des vues européennes. De leur côté, Catherine et son fils sont à la recherche d’une voie médiane. C’est tout l’esprit des édits de 1562 et 1563. Le premier, rédigé par Michel de L’Hospital, admet pour la première fois en Occident la coexistence de deux religions au sein de l’État. Mais, déjà, le second édit rogne les dispositions du premier, alors même que les extrêmes des deux bords refusent la conciliation.

Généalogie simplifiée de la descendance de Catherine de Médicis et d'Henri II roi de France.
PHOTOGRAPHIE DE Andelot

En 1564, Charles IX visite son royaume. Une suite de « joyeuses entrées » qui donnent de la chair à sa personne et glorifient la fonction royale. En 1566, l’ordonnance de Moulins renforce le pouvoir monarchique en le centralisant. Les huguenots s’en inquiètent, Coligny et Louis de Condé parlent de soustraire le roi aux influences « papistes ».

La deuxième guerre de Religion est une prise d’armes confuse. À Meaux, le roi échappe de peu aux calvinistes. L’amiral de Coligny joue une partie dangereuse ; à la Cour, il vit sous escorte. Il demande l’intervention aux Pays-Bas révoltés contre l’Espagne, le parti des Guise s’y oppose. Coligny se replie à La Rochelle et se maintient en Saintonge et en Poitou.

En 1569, le futur Henri III s’illustre à Jarnac puis à Moncontour. À Rome, Pie V reçoit les étendards des hérétiques et les suspend aux murs de la basilique du Latran. En 1570, on entrevoit la fin – provisoire – des combats. C’est la paix de Saint-Germain dite, par un jeu de mots féroce, « boiteuse et mal assise », les deux représentants du roi étant Biron, un boiteux, et de Mesmes, seigneur de Malassise. Blaise de Monluc, chef de guerre sans états d’âme, tient d’ailleurs à préciser qu’une paix est faite « pour prendre haleine […], pour se pourvoir d’autres choses nécessaires pour la guerre ».

 

MARIAGE « VERMEIL » À PARIS 

Le Conseil royal se perd dans la recherche d’alliances scellées par des unions familiales. Catherine veut marier son fils, le duc ­d’Anjou et futur Henri III, à Élisabeth Ire ­d’Angleterre, la « reine vierge ». Un mariage repoussé par l’intéressé. Mais la reine mère persiste dans des voies diplomatiques qui tournent à l’équilibrisme. Le 19 avril 1572, la France et ­l’Angleterre signent le traité de Blois. ­Coligny exulte, car il voit se mettre en place l’alliance mettant en difficulté son ennemi juré, ­Philippe II d’Espagne.

En mars de la même année, Catherine et Jeanne d’Albret, sœur de François Ier et mère d’Henri de Navarre (futur Henri IV), se sont vues à Blois. Les deux femmes ont décidé d’unir les maisons de Valois et de Bourbon en mariant Marguerite à Henri le plus tôt possible. Mais la reprise de la guerre aux Pays-Bas relance l’opportunité d’une intervention en faveur des « gueux » néerlandais. Charles IX tergiverse tout l’été. Une grande politique anti-espagnole le séduit, mais il craint qu’elle ne donne une trop grande place au parti réfor­mé, autrement dit à Coligny. Le 5 juin, ­celui-ci arrive à la Cour, bien décidé à imposer ses vues. Il s’appuie sur le mémoire de son conseiller Duplessis-Mornay, qui aligne tous les avantages d’une guerre contre Philippe II d’Espagne. À les croire, l’Angleterre, les princes réformés de l’Empire, Venise même n’attendent que cela. Des plans tirés sur la comète que Catherine écarte, tout d’abord parce que le Trésor est à sec et surtout parce qu’elle veut faire aboutir sa politique d’alliances familiales.

Le 10 août, on célèbre les noces d’Henri de Condé et de Marie de Clèves. Tous les deux sont protestants, mais Marie est la sœur de la catholique ­Catherine de Guise… La semaine suivante, à l’occasion du mariage d’Henri de ­Navarre et de ­Marguerite de ­Valois, dite la reine Margot, affluent à Paris plusieurs milliers de gentilshommes huguenots, « patibulaires » et « armés jusqu’aux dents », selon l’historien Pierre Miquel. Pour la majorité des Parisiens, ajoute-t-il, « le protestant est l’étranger : il est vêtu autrement, il a une coiffure spéciale […]. Il ne danse pas, ne boit pas, ne rit pas. Il ne fête pas la Saint-Lundi. On ne le voit pas à Carnaval. Il est en marge. » Aux yeux de la population, le mariage apparaît comme scandaleux, sacrilège.

Catherine de Médicis regarde les cadavres de protestants au lendemain du massacre de la Saint-Barthélémy.
PHOTOGRAPHIE DE Édouard Debat-Ponsan 1847–1913

Il est célébré hors du sanctuaire, sur le parvis de Notre-Dame, pour ne pas froisser le marié. Le cortège nuptial oscille entre le rite catholique et la célébration néopaïenne. Les trois jours de réjouissances sont de la même eau : une « série de fantasmagories », décrit l’historien Jean-Pierre Babelon, de saynètes où « Mercure descendu du ciel sur les ailes du coq gaulois intervient, accompagné de Cupidon, pour féliciter [les convives] et les conduire auprès de nymphes des Champs-Élysées… »

Ces noces-là seront des « noces vermeilles », car les fulminations des curés en chaire invitent les Parisiens, bons catholiques, à en finir avec les « diables encharnez », selon l’expression du poète Agrippa d’Aubigné. Le père Victor brandit ainsi les foudres célestes : « Dieu ne souffrira pas cet accouplement exécrable. » Le curé de Saint-Paul, Simon Vigor, exhorte le roi : s’il veut être vertueux, « il ne le peut estre tant qu’il permettra deux religions, et qu’il aura en sa compagnie des hérétiques. Parquoy, jusqu’à ce qu’on ait exter­miné en France les ministres et les chefs de la fausse religion, je ne diray qu’il y ait de bon roy en France. »

 

COLIGNY EST ASSASSINÉ DANS SON LIT 

Les fêtes terminées, les protestants commen­cent à quitter Paris. Mais, le 22 août au matin, Coligny essuie un tir d’arquebuse parti d’une fenêtre. Blessé, il est transporté dans son hôtel, près du Louvre. Le roi accourt pour lui promettre de faire justice. Mais, dès le lendemain, soutenu par sa mère et son frère Henri, il décide en un conseil restreint de mettre à mort les principaux chefs réformés. Une liste de proscrits est dressée. Le prévôt des marchands reçoit l’ordre de fermer les portes et de mettre en armes la milice bourgeoise. Les tueurs se donnent pour signes distinctifs une croix blanche au chapeau et une écharpe blanche.

C’est un mercenaire, Jan Yanowitz, qui tue, dans son lit, Coligny. Le cadavre est défenestré, émasculé, jeté à la Seine puis repêché pour être pendu par les pieds au gibet de Montfaucon. Ses lieutenants, parents et amis tombent les uns après les autres. La Rochefoucauld, Téligny, Nompar de Caumont, Soubise… Les rescapés sont rares : Rosny (le futur Sully, alors âgé de douze ans) et les deux princes du sang, ­Henri de Navarre et Henri de Condé, qui doivent « juste » abjurer.

Le 25 juillet 1593, en la basilique de Saint-Denis, Henri IV abjure le calvinisme et se convertit au catholicisme.
PHOTOGRAPHIE DE Huile sur toile, Nicolas Bollery fin XVIe siècle

Ce massacre de plus de 200 nobles est suivi, toute la nuit et le jour ­suivant, par une recherche en règle de tout ce qui est protestant pour être égorgé, éventré, femmes et enfants compris. La milice enca­dre et guide les massacreurs, et l’on tue au hasard, par vengeance, par cupidité, pour mieux voler et piller. Le chroniqueur Pierre de L’Estoile parle d’un certain Thomas qui « se vantait […] d’en avoir tué quatre-vingts en un seul jour ».

 

DÉFLAGRATION DANS TOUTE LA FRANCE 

Le 24, effaré, dépassé, Charles IX ordonne l’arrêt du massacre. Mais, déjà, il pense à se justifier, et le 26, devant le Parlement ­réuni en lit de justice, il déclare avoir empêché une sédition protestante en prenant les ­devants. Il faudra attendre trois jours pour que la chasse aux réformés cesse.

Entretemps, la nouvelle a gagné tout le pays, et des dizaines de villes s’enflamment comme une onde de choc, jusqu’aux frontières du royaume. ­Autour de Paris, à Meaux puis à La ­Charité, Orléans, Bourges, Saumur, Angers ; dans le Sud-Ouest, à Bordeaux, Toulouse, Albi ; mais aussi à Lyon, Valence, Orange… Cette « saison des Saint-Barthélemy » tue dix ou vingt fois plus que celle commise à Paris. Et le pouvoir royal n’a guère les moyens, sinon l’envie de l’empêcher. La Saint-­Barthélemy apparaît dans toute la chrétienté comme une fracture irréparable.

Philippe II d’Espagne salue cette juste et ­divine punition. À Rome, on la célèbre par un Te Deum. L’Europe protestante est horrifiée et écarte tout apaisement. La mort prématurée de Charles IX, le 30 mai 1574, remet une nouvelle fois la régence à Catherine, en attendant le retour d’Henri III, devenu entretemps roi de Pologne. La même ligne politique et religieuse risque d’être maintenue. Dans ses fameux Commentaires (1592), Blaise de Monluc se déclarait incapable de dire si la Saint-Barthélemy avait été « bien ou mal faicte ».

Il se défaussait en ajoutant : « Ceux qui viendront après nous en parleront mieux à propos et sans crainte ; car les écrivains d’aujourd’hui n’osent écrire qu’à demi. » Cette prédiction n’a pas été confirmée. Une majorité d’historiens, de Jules Michelet au 19e siècle à Pierre Miquel au 20e siècle, a fait porter la responsabilité des massacres sur la famille royale et les Guise. Dans son roman La Reine Margot, publié en 1845, Alexandre Dumas fait de Catherine une aventurière, adepte du poison, se fiant à l’astrologie, assez dénaturée pour jeter sa fille Margot dans les pires tourments ­affectifs.

L’historiographie la plus récente est beaucoup plus nuancée, elle laisse à chaque camp sa part de responsabilité. 

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