Affaire Cantat : « Une douzaine de témoins ont été ignorés »

Le parquet a classé sans suite la plainte contre Bertrand Cantat pour le suicide de son ex-épouse Krisztina Rády. Réaction de l'ex-avocate Yael Mellul.

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Bertrand Cantat est-il protégé par une omerta ?

Bertrand Cantat est-il protégé par une omerta ?

© FRED TANNEAU / AFP

Temps de lecture : 9 min

Le Point : Le 4 juillet, le parquet de Bordeaux classait sans suite votre plainte déposée le 23 mai pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner », à propos de la mort de Krisztina Rády, retrouvée pendue chez elle en 2010 . Comment avez-vous réagi face à cette annonce ?

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Yael Mellul : Je n'ai pas été surprise. Cette annonce vient logiquement confirmer celle qu'avait prématurément lâchée la procureure de Bordeaux à peine quelques jours après le dépôt de ma plainte à la brigade criminelle de Bordeaux. C'est donc avec un sentiment de travail bâclé que j'ai accueilli cette décision de classement sans suite. Je ne vois pas bien comment il serait possible de se contenter d'une enquête menée en un mois et se réduisant à deux auditions, celles de Serge Teyssot-Gay et sa compagne. Ce n'est pas sérieux, et plus grave, ce n'est pas la première fois puisqu'en 2014 le parquet s'était contenté d'auditionner François Saubadu, pour immédiatement classer sans suite. Pourtant, nous avions communiqué, outre le message laissé par Krisztina Rády sur le répondeur de ses parents six mois avant de se pendre, qui étrangement ne se trouvait toujours pas dans le dossier pénal, une longue liste de témoins susceptibles d'attester des violences physiques et psychologiques subies par Krisztina Rády…

Rappelons que l'enquête initiale a été clôturée avec une rapidité déconcertante, et surtout souvenons-nous de son contexte exact. Dès le lendemain de la mort de Krisztina Rády, le 11 janvier 2010, un magistrat du parquet de Bordeaux entérine la thèse du suicide. À la question posée par un journaliste « Bertrand Cantat a été auditionné hier, n'est-ce pas ? », le magistrat répondra : « Exactement. Comme d'autres proches de son ex-femme. Ni plus ni moins. Il a fourni les éléments qu'il devait fournir. » « Ni plus ni moins »… C'est un peu léger quand on se souvient qu'au moment du suicide de sa femme, Cantat, sorti de prison depuis à peine deux ans et demi, bénéficiait du régime de la libération conditionnelle, et était soumis à ce titre, à des obligations auprès de son JAP, le juge Laflaquière. Ce même juge, dont on ne sait pas s'il aura fait un compte rendu de ce suivi au moment de l'enquête, ne cessera, en revanche, de soutenir celui qu'il aura libéré, le présentant dans la presse comme un « homme à l'apparence juvénile, réservé, fragile » le croyant « depuis une certaine nuit de juillet 2003 (…) plongé dans une culpabilité profonde, une souffrance inextinguible, une prison intérieure, dont aucun juge ne pourra le libérer ». Il n'aura jamais aucun mot pour la victime, Marie Trintignant.

En résumé, un homme, qui a tué sa compagne de ses poings, condamné, sous contrôle judiciaire, présent au moment du suicide de sa femme, qui, six mois avant de se pendre, décrira de manière extrêmement claire les violences physiques et psychologiques que cet homme lui faisait subir, sera entendu « ni plus ni moins » par les services de police. Une simple enquête de voisinage aurait permis d'établir qu'en réalité, Bertrand Cantat n'avait jamais cessé sa violence, et c'est Krisztina Rády qui le dit dans son message à ses parents : « Voilà, c'est tout, j'espère qu'on va pouvoir s'en sortir et que vous pourrez encore entendre ma voix, et sinon, alors, vous aurez au moins une preuve que… mais des preuves il y en a, les gens dans la rue et nos amis, car ce qu'ils ont vu hier quand Bertrand a tout cassé (…) »

Lettre de la Procureur de Bordeaux.

Quels autres témoins de ses violences ont été ignorés ?

Lorsqu'avec François Saubadu, nous avions rencontré la procureure en 2014, nous lui avions remis à cette occasion une liste de neuf personnes susceptibles, comme lui-même, d'attester de violences psychologiques ou physiques exercées par Bertrand Cantat sur Krisztina Rády. Il s'agissait des parents de Krisztina Rády, sa sœur, une amie et la nounou hongroise qui s'occupait des deux enfants du couple à leur domicile, à Bordeaux. Ces cinq personnes vivent en Hongrie. Les quatre autres habitent Bordeaux ou ses environs. Il s'agit d'un couple et un ami chez lesquels Krisztina Rády aurait séjourné tour à tour avec ses enfants pour « se protéger » de Bertrand Cantat, ainsi qu'une amie qui aurait gardé fréquemment ses enfants.

Certaines de ces personnes ont pu être des témoins directs des violences psychologiques ou physiques subies par Krisztina Rády. Toutes peuvent attester du climat de terreur dans lequel vivait Krisztina avant son suicide et rapporter les propos qu'elle leur a tenus à ce sujet pendant cette période. Pourtant, seul François Saubadu a été auditionné en 2014. Son audition sera immédiatement suivie d'un classement sans suite.

En janvier dernier, je saisissais à nouveau madame la procureure avec des éléments nouveaux qui consistaient en des messages que j'avais moi-même échangés avec la compagne d'un ancien membre de Noir Désir. Je sollicitais l'audition des trois anciens membres de Noir Désir : Serge Teyssot-Gay, Denis Barthe et Jean-Paul Roy, de la compagne de Serge Teyssot-Gay et d'une voisine de François Saubadu qui ont tous pu être des témoins directs des violences psychologiques et/ou physiques subies par Krisztina Rády. Mais seuls Serge Teyssot-Gay et sa compagne ont été auditionnés. Et leur audition a été immédiatement suivie d'un classement sans suite.

C'est donc une douzaine de témoins qui ont été ignorés.

Peut-on parler d'omerta ?

Cantat a été protégé par l'omerta qui règne autour de lui depuis près de 20 ans. L'enquête du Point sortie en novembre dernier est édifiante à ce sujet, notamment lorsque sous couvert d'anonymat, un ancien membre de Noir Désir témoigne : « Krisztina m'a vu et elle m'a demandé, à moi et à tous les autres membres du groupe, de cacher ce que l'on savait. Elle ne voulait pas que ses enfants sachent que leur père était un homme violent. Je savais qu'il avait frappé la femme avec qui il était avant Krisztina. Je savais qu'il avait tenté d'étrangler sa petite amie, en 1989. Je savais qu'il avait frappé Krisztina. Mais, ce jour-là, nous avons tous décidé de mentir. Nous étions tous sous son emprise. Et nous pensions qu'il se soignerait. »

Tous les anciens membres de Noir Désir avaient donc parfaitement connaissance que Bertrand Cantat était un homme violent, et ce, depuis bien avant la mort de Marie Trintignant. De la même manière, qu'ils savaient que Krizstina Rády avait été victime de violences physiques et psychologiques, et ont tous, sciemment, décidé de mentir.

Cantat, protégé par son entourage qui a menti, c'est une évidence. Mais à quel point ? Qu'en est-il par exemple de Cécile Duflot, qui a longtemps été la compagne de Xavier Cantat, ancienne ministre, amie de Christiane Taubira ? Elle condamne les « séducteurs brusques », mais ne s'est jamais exprimée sur l'affaire Cantat.

Comment expliquez-vous ce classement ?

Lorsque j'ai rencontré la procureure, elle m'avait semblé très à l'écoute. Ce classement sans suite rapide et annoncé à peine quelques jours après le dépôt de ma plainte m'a donc extrêmement surprise. Visiblement, la procureure avait rendu sa décision avant même de diligenter son enquête et de procéder aux multiples auditions sollicitées, qui permettraient de recueillir ainsi un faisceau d'indices prouvant le comportement violent de Cantat ayant provoqué la mort de Krisztina Rády par suicide. Il s'agit, certes, d'une notion nouvelle « le suicide forcé » permettant d'établir un lien de causalité entre les violences subies et le suicide, notion nouvelle, dont l'application peut être complexe. Je peux tout à fait le concevoir. Cependant, si le lien entre le harcèlement moral et suicide a été reconnu dans la sphère du travail, il est grand temps qu'il en soit de même dans la sphère privée. Il ne s'agit en réalité que d'une remise à niveau comme cela avait été le cas pour le harcèlement moral, reconnu dans un premier temps dans le droit du travail, puis dans le couple. C'est dans le huis clos conjugal, familial, que les femmes sont le plus en danger. Il s'agit en définitive de les protéger là où elles sont le plus vulnérables, à l'endroit même où elles devraient se sentir le plus en sécurité. Et lorsqu'il est trop tard, parce qu'elles en sont mortes, tuées, ou suicidées, nous devons encore protéger leur mémoire.

Depuis #MeToo, on condamne le harcèlement sexuel, mais pas les violences de Bertrand Cantat ?

La sanction sociale est différente pour les politiques et les artistes. Les politiques voient leur carrière stagner ou stopper net, tandis que les artistes peuvent continuer à tourner ou chanter. Cantat est indéfectiblement soutenu par une base anonyme et populaire qui fonctionne à la manière d'une secte qui lui voue un culte, mais de moins en moins nombreuse.

Le meurtre conjugal, comme il y en a une grosse centaine tous les ans en France, se transforme, voire est sublimé, en quelque chose qui sied beaucoup mieux à une rockstar : un « drame de la passion ».

Ce qui est dramatique ici, c'est que le grand public, notamment féminin, encore élevé dans une relative sentimentalité, est réceptif à ce genre de présentation romanesque. « Celui qui reste » est l'amant maudit de la passion, il est plaint et attire la pitié collective, et non celle qui s'est tue parce qu'elle a été tuée. La fameuse sublimation. Ici, la magie qui opère, c'est le discours des fans parfois repris par les médias : de meurtrier, Cantat se transforme en victime, en pauvre amoureux transi qui n'a fauté que par le débordement de ses sentiments, il est puni parce qu'il a trop aimé, et ce serait presque lui qui serait condamné à jamais, hanté par le souvenir de sa bien-aimée.

Et le fond du problème est le suivant : cet homme a en effet le droit « d'exercer son métier ». Or, il exerce un métier public, qui demande un assentiment du public. Quand on veut vivre dans la lumière, on ne peut pas empêcher cette lumière d'éclairer les crimes du passé. Quand on veut vivre une vie publique on ne peut pas effacer ces crimes qui sont autant de faits publics (et aucunement de l'ordre de la vie « privée » comme on tente de nous faire croire abusivement afin de nous intimider). Nous devons évidemment accepter que cet homme soit libre malgré son crime abominable, mais qu'il cesse de se victimiser et de sangloter quand le public lui refuse son audience et son assentiment.


Mais, pour la première fois en 2017 et durant cette année nous avons vu le fan-club dépassé par la colère des internautes sur les réseaux sociaux et des personnalités se positionner publiquement, alors que jusque-là elles ne l'avaient jamais fait.

Qu'allez-vous faire maintenant ?

Je vais, naturellement, faire un recours hiérarchique auprès du procureur général de cette décision de classement sans suite. Il en va de la manifestation de la vérité que de procéder aux auditions de tous les témoins, et ce, afin d'établir le lien de causalité certain existant entre les violences subies par Krisztina Rády et son suicide.

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Commentaires (26)

  • Bastogne3

    Même si la justice lui donne, et lui donnera, logiquement tort...
    ce type me révulse et il aurait du disparaitre des media depuis longtemps.
    Il veut "gagner sa vie", il a "payé", ... ?
    Pas cher et s'il s'ajoute à sa peine légère un discrédit définitif, tant mieux : ce n'est que justice.
    Il n'a qu'a faire un métier où on le trouve supportable...

  • Petit malin

    ... Que "la scène", c'est terminé pour lui.

    Sa présence est un chiffon rouge pour les femmes battues, et tuées, qui sont hélas trop nombreuses.
    D'autant que sa sanction a été assez légère : condamné à 8 ans de prison, il bénéficie d'une libération conditionnelle après seulement 3 ans et 7 mois. Même pas la moitié de la peine ! Depuis juillet 2010, il est dégagé de out contrôle et contrainte judiciaire.

    Pas trop cher payé pour avoir tué sa compagne...
    La "victime" ce n'est pas lui, mais Marie Trintignant, sa mère, sa famille...

    Il a d'autres moyens de mener sa carrière, sans apparaître en public. Notamment la composition ou la production...

  • madeleinedeproust

    Cette avocate vient de se prendre un râteau judiciaire, et que fait le Point ? On lui redonne la parole pour lui laisser dire que la justice est défaillante ! Il faudrait peut-être creuser aussi du côté du parquet pour comprendre les raisons de leur décisions ? Ce qu'a fait l'Express.
    La juge Laflaquière a parfaitement résumé mon avis sur ce non-respect de l'institution judiciaire : https : //www. Lepoint. Fr/societe/le-juge-qui-a-fait-liberer-cantat-regrette-une-dictature-de-l-emotion-16-03-2018-2202946_23. Php