Michel Gandilhon de l'OFDT ( observatoire français des drogues et des toxicomanies)

Michel Gandilhon de l'OFDT ( observatoire français des drogues et des toxicomanies)

Bruno Klein/Divergence pour L'Express

Chargé d'études à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Michel Gandilhon analyse pour l'Express les courbes de la production et de la consommation des produits stupéfiants les plus répandus.

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L'Express : À côté des principales drogues - cocaïne, héroïne, cannabis - émergent les nouveaux produits de synthèse [NPS]. Quand a-t-on commencé à en prendre la mesure ?

Michel Gandilhon : En France, on a commencé à évoquer le phénomène des NPS en 2008, avec la méphédrone. Depuis, d'autres cathinones sont apparues, souvent consommées dans un contexte sexuel par les adeptes du "chemsex". On a trouvé rapidement aussi d'autres substances de la famille des cannabinoïdes. En 2015, le nombre d'identifications à l'échelon européen avait dépassé les 500, avant que le rythme de détection ne se stabilise puis diminue aujourd'hui. Cette baisse s'explique sans doute par le fait que l'inventivité des chimistes n'est pas infinie et que, tout simplement, de nombreuses molécules n'ont pas retenu l'attention des consommateurs. Mais, globalement, la France est moins touchée que ses voisins. Avec toutefois une exception à Mayotte, où l'on a assisté dès 2011 à l'explosion du marché de rue de la "chimique" [un cannabinoïde]. C'est un cas intéressant, parce que, jusque-là, ce département était relativement épargné. Via Internet, des personnes plutôt bien insérées socialement ont introduit ce produit qui, ensuite, s'est développé de manière foudroyante dans un contexte particulier de crise migratoire sur fond de chômage de masse, de "bidonvilisation" et de constitution de gangs. Une drogue, quelle qu'elle soit, entre en résonance avec les malaises sociaux préexistants.

L'usage des NPS reste marginal par rapport à celui des autres grandes drogues. Un récent rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime [ONUDC] révèle une explosion de la production de cocaïne et d'opium à travers le monde. Comment l'expliquer ?

Entre 2016 et 2017, on a atteint des records historiques. L'opium, la matière première de l'héroïne, provient essentiellement d'Afghanistan, qui réalise les trois quarts des récoltes mondiales [10 500 tonnes]. Cela s'explique par la désagrégation du pouvoir étatique. D'un côté, les talibans encouragent cette production en prélevant un impôt, de l'autre, dans un contexte économique très difficile, cette culture est devenue pour 200 000 familles paysannes un moyen de survie. Dès 2012, anticipant les effets du retrait des troupes américaines d'Afghanistan, certains spécialistes prévoyaient un boom de l'opium. Ensuite, il faut aussi s'interroger sur les destinations : 10 000 tonnes d'opium permettent de fabriquer environ 1 000 tonnes d'héroïne pure, sans compter les stocks préexistants. Ce qui est considérable. On assiste au développement d'un marché régional avec une forte demande en Afghanistan, mais aussi au Pakistan et en Iran. L'autre grande destination est l'Europe, mais il est prématuré de dire qu'il y aura mécaniquement une hausse de la consommation. En revanche, ces niveaux de production font que l'héroïne sera rapidement plus disponible, plus accessible et sans doute plus pure. On peut donc s'attendre à en voir davantage sur le marché français dans les prochaines années.

Avec des disparités régionales ?

Les départements du Nord sont les plus touchés, comme les Hauts-de-France, mais aussi le Grand-Est, à cause de la proximité avec les Pays-Bas - Rotterdam et Maastricht étant les plaques tournantes de la revente d'héroïne en Europe occidentale. La région lyonnaise est affectée depuis cinq ans par l'intermédiaire de la filière albanaise qui contrôlait le marché suisse. Il y a une dimension géographique, mais aussi sociale des consommations avec une présence de l'héroïne dans la France périphérique des zones périurbaines et rurales. Aux côtés des usagers traditionnels, les consommateurs des années 1990 qui ont vieilli et se sont insérés, on trouve notamment des populations plus modestes, ne pouvant plus vivre dans les grandes métropoles et qui vont dans ces zones rurales avec leurs problèmes d'addiction. Reste qu'il ne faut pas non plus trop noircir le tableau : depuis vingt ans, grâce à la politique sanitaire de réduction des risques et à la mise en place de traitements de substitution - aujourd'hui environ 180 000 personnes sont sous Subutex ou sous méthadone -, le problème de l'héroïne est devenu moins prégnant. On constate depuis vingt ans une diminution notable des overdoses liées à l'héroïne.

Le constat pour la cocaïne est plus inquiétant. Tous les voyants sont au rouge. Pourquoi ?

D'abord, en termes de production mondiale, avec 1 410 tonnes, le rapport de l'ONUDC estime "qu'elle n'a jamais été aussi haute". La coca couvrirait 213 000 hectares, dont près de 70 % se trouvent dans un seul pays : la Colombie. Mais cette situation n'est pas liée à un chaos comme en Afghanistan. La mise en oeuvre de l'accord de paix avec l'ex-guérilla des Forces armées révolutionnaires [Farc] impliquée dans le trafic a pu jouer un rôle dans cette explosion de la fabrication [866 tonnes en 2016], de même que l'introduction de variétés de coca plus productives et, enfin, l'arrêt des fumigations de glyphosate dans les champs de coca. Ensuite, au niveau de la consommation, l'impact est déjà perceptible. Aux Etats-Unis, on assiste à un retour massif de la cocaïne avec, en 2016, 1 million de nouveaux consommateurs. Sur le Vieux Continent, même si les chiffres ne sont pas encore disponibles, l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies [OEDT] vient de publier son rapport annuel, faisant état de signes annonçant la remontée des usages qui avaient baissé dans de nombreux pays comme la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie. En matière de trafics, la France se trouve particulièrement affectée par l'intermédiaire de ses territoires caribéens et guyanais, qui se situent près des zones de production. Ainsi, une partie significative de la cocaïne arrivant en métropole passe, via le phénomène des mules, par la Guyane. L'autre type de transport se fait par bateau, via les porte-conteneurs, notamment au niveau du port du Havre.

Dans votre rapport sur les "Tendances récentes et nouvelles drogues", vous abordez la place que prend actuellement l'herbe au détriment de la résine de cannabis. Comment expliquer ce glissement ?

L'herbe apparaît comme un produit plus "bio", plus naturel, que la résine. La demande favorise le développement d'une production locale avec des acteurs variés qui vont des réseaux criminels à M. Tout-le-Monde. En France, cette diversité se lit à travers les saisies de plants pouvant aller de quelques dizaines de pieds chez de simples particuliers à 4 000 dans des "cannabis factories". Cependant, nous avons une production moins industrialisée que nos voisins belges, espagnols et néerlandais, même si le marché français est un des plus importants d'Europe. En 2017, nous venons de battre un record de saisie d'herbe. Le marché de la drogue ne connaît pas la crise.

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