Des musiciens en exil trouvent refuge dans l’orchestre Orpheus XXI

Lancé par Jordi Savall, cet ensemble constitué de musiciens réfugiés est né lors d’un concert improvisé dans la “jungle” de Calais. Un projet qui permet à ces artistes syriens, kurdes ou bengalis exilés de redonner un sens à leur vie. Il sera en tournée cet été dans les festivals. 

Par Anne Berthod

Publié le 11 juillet 2018 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h19

Ce mercredi de juin, ils sont cinq chanteurs et musiciens sur l’estrade montée dans le patio du musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis : deux Syriens, deux Kurdes (de Turquie) et une Bangladaise, réunis par-delà leurs origines et leurs parcours souvent chaotiques, face à la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, et des auditeurs de tout âge assis les pieds dans l’herbe. L’orchestre Orpheus XXI, dont les vingt musiciens ont tous, à une exception près, le statut de réfugiés, n’est pas au complet. Mais cinq, c’est déjà beaucoup quand on prétend construire un répertoire autour de traditions aussi éloignées que les maqams classiques arabes, le folklore des ashiks (bardes) et les ballades romantiques d’Extrême-Orient. Spécialiste des répertoires anciens, le gambiste et chef d’orchestre Jordi Savall (le Concert des nations, l’ensemble Hespèrion XXI…) a justement ce don de savoir agréger les virtuosités du monde au nom d’un humanisme interculturel et citoyen.

En avril 2016, lors d’un concert improvisé avec des musiciens dans la « jungle » de Calais, le musicien catalan forgea ainsi l’idée d’un orchestre de réfugiés, pour aider des musiciens déracinés à « retrouver du sens à leur vie », en leur permettant de revenir sur scène, mais aussi d’enseigner leur répertoire de tradition orale. Financé notamment par la Commission européenne, le projet Orpheus XXI s’est concrétisé par deux ans de résidence à la saline royale d'Arc-et-Senans (25) et d’ateliers dans divers conservatoires, écoles et centres d’accueil pour migrants, menés par des musiciens de sept nationalités différentes.

“Dans cet orchestre, il n’y a ni star ni diva” Waed Bouhassoun, interprète

A Saint-Denis, où l’orchestre inaugure sa première vraie tournée européenne, on retrouve sur scène l’émouvante Waed Bouhassoun, pilier du projet, dont le chant si pur ouvre divinement le récital. Arrivée il y a quelques années en France, l’interprète syrienne a déjà reconstruit sa carrière dans la diaspora et s’est imposée comme l’une des plus belles voix actuelles du chant classique arabe. « Un artiste devrait toujours avoir un espace pour s’exprimer, rappelle-t-elle sur l’estrade. Mais dans cet orchestre, il n’y a ni star ni diva, on est comme une famille. » Une façon de dire que Jordi Savall, qui en est l’initiateur et participe exceptionnellement au concert avec sa vièle, n’est pas plus glorieux en ce jour que le percussionniste syrien Bashar al-Dghlawi, le joueur de saz et chanteur kurde Rusan Filiztek (une voix magnifique), ou même les jeunes choristes venus les rejoindre sur scène.

Ce mercredi de juin, ils sont cinq chanteurs et musiciens sur l’estrade montée dans le patio du musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis : deux Syriens, deux Kurdes (de Turquie) et une Bangladaise, réunis par-delà leurs origines et leurs parcours souvent chaotiques (…).

Ce mercredi de juin, ils sont cinq chanteurs et musiciens sur l’estrade montée dans le patio du musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis : deux Syriens, deux Kurdes (de Turquie) et une Bangladaise, réunis par-delà leurs origines et leurs parcours souvent chaotiques (…). © Festival de Saint Denis

D’ailleurs, ce sont eux que tous les parents dans l’auditoire attendent en réalité : une quinzaine d’enfants de toutes origines, qui ont répété plusieurs mois avec l’atelier de Saint-Denis. Reconnaissables à leurs somptueuses tuniques de soie, deux adolescentes font justement partie de l’entourage direct de la chanteuse bengalie Azmari Nirjhar. Venue de la ville de Dacca il y a trois ans, cette dernière est la vraie surprise du concert. On la connaît peu encore en France, mais ses disques de bluettes traditionnelles et ses contributions bollywoodiennes (elle a chanté dans une cinquantaine de films) l’avaient rendue très populaire au Bangladesh. Fondatrice d’une association, elle mettait également sa notoriété au service de son engagement militant contre les violences faites aux femmes et pour leur droit à disposer d’elles-mêmes. « Je veux servir l’humanité et ne fais aucune distinction de race. Mais, avec mon association, j’ai accueilli des réfugiées rohingyas, mais aussi des non-musulmans, ce que les fondamentalistes au pouvoir ne m’ont jamais pardonné. Ma vie était menacée, j’ai dû partir… »

Laissant derrière elle son fiancé et sa famille, elle vit aujourd’hui à Paris. Elle y « survit », nous dit-elle, grâce à l’aide de proches qui l’hébergent à Belleville, et de Jordi Savall, qui la fait travailler dans ses différents projets. « Jusque-là, c’était moi qui venais en aide aux réfugiés. C’est dur d’être une réfugiée à mon tour, mais je sais que mon avenir est ici désormais. » En parallèle de ses projets, elle apprend le français, pour obtenir, comme Waed Bouhassoun, la nationalité française.

En concert : le 13 juillet à Arles (13), le 14 à Aix-en-Provence (13), le 16 à Narbonne (abbaye de Fontfroide (11), le 18 à Conques (12) et le 9 septembre à Besançon (25).

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