Entreprise

Les faillites, un baromètre économique et social

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Vente judiciaire d'une entreprise de mécanique générale en faillite, Thiers (Auvergne), 28 mai 2009 PHOTO : © Richard DAMORET/REA

Le 4 avril dernier, le tribunal de commerce de Rennes prononçait la liquidation du volailler Doux : seuls 900 de ses 1 200 salariés devraient conserver leur emploi dans le cadre de sa reprise par un consortium emmené par le groupe LDC. Si le cas de l’ex-champion du poulet à bas prix à l’export a fait la une des journaux, il tranche cependant avec l’embellie actuelle : sur les trois premiers mois de 2018, 14 300 défaillances d’entreprises1 ont été dénombrées dans l’Hexagone, alors que l’on en comptait 17 000 au premier trimestre de chaque année depuis 2009, selon la société Altares. L’évolution des défaillances est ainsi devenue un baromètre essentiel de l’activité économique, même si celles-ci font encore souvent l’objet d’idées reçues.

Un taux de faillite en baisse

Il est courant de penser que les défaillances d’entreprises s’accroissent exponentiellement avec les crises économiques. Sur longue période, leur nombre a en effet retrouvé avec la crise de 2008 les sommets des années 1990 : en 1993, lors de la crise du système monétaire européen, on en avait observé 63 486, contre 63 422 en 2009 lorsque la crise des subprime a atteint la France.

En 1990, le taux de faillite était de 2 %. En 2014, il avait baissé à 1,3 %

Cependant, rapportée à la population totale des entreprises, cette évolution ne peut guère être qualifiée d’explosion. Au contraire. En considérant l’ensemble des défaillances survenues sur une année par rapport au stock d’entreprises au 1er janvier de cette même année, ce taux est orienté à la baisse : en 1990, il était de 2 %, alors qu’en 2014, il avait baissé à 1,3 % (voir graphique ci-dessus). Entre-temps, en effet, le nombre d’entreprises a augmenté de 68 %, tandis que celui des faillites croissait beaucoup moins.

Auto-entrepreneurs : le retour de bâton

Lorsque l’on s’intéresse aux faillites, le sens commun amène également à penser qu’une surmortalité des entreprises est la conséquence "naturelle" de pics de créations d’entreprises trois à cinq ans auparavant. De fait, on a observé une hausse des créations d’entreprises à partir de 2003, grâce aux mesures de libéralisation et d’incitation à l’entrepreneuriat introduites l’année précédente par la loi agir pour l’économie. Cette augmentation a connu un nouveau coup d’accélérateur en 2009, avec la mise en place des statuts d’auto-entrepreneur et d’EIRL2.

Si ce phénomène n’a pour l’heure pas entraîné de véritable remontée du taux de défaillance de l’ensemble des entreprises, il a cependant eu pour résultat de faire bondir le nombre d’entreprises sans salarié parmi les défaillances : au tribunal de commerce de Lyon, leur part est ainsi passée de 14 % en 2002 à 55 % en 2014. En dix ans, le nombre des très petites entreprises (TPE) en défaillance a presque doublé. Ce constat met en exergue la santé et la qualité précaires de ce mouvement de créations d’entreprises et révèle les limites des politiques visant à les encourager.

Au tribunal de commerce de Lyon, la part des entreprises sans salarié parmi les faillites est passée de 14 % en 2002 à 55 % en 2014

Pour le grand public, la faillite d’une entreprise est synonyme de sa disparition. Pourtant, la législation prévoit trois types de procédures : la liquidation judiciaire, le redressement et la sauvegarde. Seule la liquidation implique la disparition de l’entreprise. Depuis 1984, le droit permet en effet aussi la mise en place d’une procédure de redressement qui a pour but de maintenir et sauvegarder l’activité et l’emploi. S’ouvre alors une période d’observation durant laquelle est élaboré un plan (soit de continuation, soit de cession). En 2006, s’est ajoutée la procédure de sauvegarde : initiée par le dirigeant d’une entreprise en difficulté qui n’est pas encore en cessation de paiements, elle est également destinée à maintenir l’activité et à sauvegarder les emplois tout en épurant le passif. Son déclenchement plus précoce est censé augmenter les chances de l’entreprise de régler ses problèmes.

Dans la pratique, la liquidation judiciaire demeure cependant la procédure la plus massivement appliquée, le redressement étant subsidiaire et la sauvegarde, une procédure d’exception. La réforme de 2006 n’a pas changé la donne : entre 2006 et 2014, les liquidations ont représenté 91 % des procédures de défaillance ouvertes (voir graphique ci-dessus), les redressements 18 % et les sauvegardes 1 %.

Sauvegarder d’abord l’emploi

Ces procédures correspondent à des profils d’entreprises différents : contrairement à ce que pourraient donner à penser les faillites retentissantes faisant les gros titres, l’essentiel des liquidations judiciaires concerne des entreprises à faible capital social et à faible masse salariale, issues du BTP et du commerce. Tandis que les procédures de redressement et les sauvegardes touchent davantage des structures employant plus de 10 salariés et dont le capital social est élevé (l’industrie, l’information-communication, les activités spécialisées et de soutien administratif sont les principaux secteurs concernés).

Trois procédures, trois profils d’entreprise

Répartition des entreprises selon la procédure de défaillance à Lyon sur la période 2006-2014, en %

Source : Tribunal de commerce de Lyon, calculs Virginie Blum.

* Petites et moyennes entreprises (PME) : 10 salariés et plus ; entreprises de taille intermédiaire (ETI) : 150 salariés et plus.

** Moins de 10 salariés.

 

L’essentiel des liquidations judiciaires concerne des entreprises à faible capital social et à faible masse salariale, issues du BTP et du commerce

Entre 2006 et 2014, au tribunal de commerce de Lyon, 85 % des liquidations judiciaires ont ainsi frappé des entreprises dont le capital social n’excédait pas 37 000 euros - dont 39 % avec un capital inférieur à 7 500 euros. 95 % des liquidations ont concerné des micro-entreprises (de moins de 10 salariés, 62 % d’entre elles n’en ayant aucun). A contrario, 32 % des redressements judiciaires et 44 % des sauvegardes ont touché des petites et moyennes entreprises (PME, 10 salariés et plus) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI, 150 salariés et plus) (voir graphique). En majorité, les entreprises faisant l’objet d’un redressement ou d’une sauvegarde étaient pourvues d’un capital social excédant les 37 000 euros. Au final, bien que les redressements judiciaires soient une procédure peu appliquée, ils ont néanmoins impliqué 1,2 fois plus d’emplois que les liquidations.

De ce point de vue, l’objectif du législateur depuis trente ans à travers les réformes du droit des faillites semble atteint : dans la majorité des cas, les tribunaux de commerce cherchent à éviter la disparition des entreprises les plus pourvoyeuses d’emplois. Reste que cela ne suffit pas toujours à éviter le pire : une partie des entreprises placées en redressement finit tout de même en liquidation, faute d’avoir trouvé un repreneur ou un plan de redressement convaincant. La catastrophe sociale n’est alors que repoussée : entre 2006 et 2014, au tribunal de commerce de Lyon, les emplois détruits par une liquidation consécutive à un redressement ont représenté l’équivalent du tiers des emplois effectivement sauvés grâce aux procédures de redressement et de sauvegarde ayant trouvé une issue positive.

Virginie Blum est doctorante en sociologie. Vous pourrez en savoir plus sur son travail en consultant son blog.

  • 1. Situation dans laquelle l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à ses obligations financières (paiement des fournisseurs, des salaires ou d’autres dettes). L’entreprise doit alors déposer le bilan et se soumettre à la décision du tribunal de commerce.
  • 2. Le statut de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) permet, en cas de faillite, de protéger les biens personnels de l’entrepreneur en séparant le patrimoine personnel du patrimoine professionnel.

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