Le bruit du métro qui arrive à une station. La sonnerie si reconnaissable qui annonce la fermeture des portes. Puis, le bruit du métro qui repart : bienvenue au défilé de l’école de mode Casa 93 ! Les dix élèves de cette première promo ont réalisé une collection collective intitulée La ligne 13 du futur. La Casa 93 est une école de mode gratuite et accessible sans conditions de diplôme, ouverte en priorité aux jeunes des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis. Cette école basée à Saint-Ouen (93) est née l’an dernier après que le concept a fait ses preuves dans les favelas de Rio de Janeiro dès 2013. A sa tête, Nadine Gonzalez, une ancienne journaliste mode qui a parcouru un long chemin depuis : « L’année dernière, à cette époque, on n’avait pas encore nos élèves », comme nous l’avions raconté ici.

Nadine Gonzalez, directrice de la CASA93

Nadine Gonzalez, directrice de la Casa 93

Quelques minutes avant le début du défilé, Nadine Gonzalez nous rappelle le but de cet évènement. « Le défilé, c’est le résultat créatif, c’est tout ce que savent faire les élèves. Après, l’objectif principal, c’est quand même l’insertion professionnelle. C’est pour ça qu’il y aura pleins de professionnels de la mode, qui vont pouvoir si possible les embaucher », espère-t-elle.

Premier défilé pour les élèves de la Casa 93

Ses élèves ont choisi comme thème la ligne 13, qui n’a pas très bonne réputation tant elle est bondée. C’est la ligne réelle de leur quotidien pour se rendre à la Casa 93située dans le branché Mob Hotel de Saint-Ouen mais aussi la ligne de leur futur dans l’univers de la mode. Parmi eux, Rubi Pigeon, 20 ans, pour qui la préparation de ce défilé a été « un KO créatif d’un kaléidoscope d’élèves ». Rubi s’est occupée de la coordination du défilé, du son mais aussi du casting des mannequins, amateurs ou jeunes pros. « La plupart, on les a repérés lors d’un casting sauvage. Vu le thème, on a essayé d’avoir un maximum de personnes diverses pour vraiment représenter la ligne 13. Mais quand même en bien plus glamour évidemment, parce que c’est fashion ! »

Rubi Pigeon, élève de la Casa 93

Au tout début du défilé, les mannequins descendent quelques marches et se posent tels des passagers qui attendent. On entend alors l’annonce de l’arrivée à la station Garibaldi. Puis, au démarrage d’n son hip-hop, tous se rendent vers la station de métro à tour de rôle. Ils arrivent, se déplacent, se posent, circulent, se touchent, se frôlent, pendant que les models du deuxième groupe arrivent un à un pour se placer à la station La Fourche. Ils regardent au loin, jouent avec le rideau en tulle, certains s’assoient, d’autres bougent puis se figent. A la station Gaîté, autre ambiance, autre décor. Ici, un son festif, là, des valises de matos de son, des vinyles qui pendent. Les mannequins dansent, boivent, pendant que ceux des autres stations sont complètement immobiles.

Défilé école de mode Casa 93

Répétition du défilé avec la danseuse et chorégraphe Félicia Dosté

Backstage du défilé de l’école de mode CASA93

Le style des créations des élèves varie d’une station à l’autre. Différentes matières, imprimés et couleurs, ont été utilisés pour créer un espace propre à chaque station. A Gaîté, la Jet set 93. A Garibaldi, la super-nature urbaine futuriste. Dans l’imaginaire des jeunes créateurs, il est question ici de reconnexion avec soi et avec l’environnement dont la protection est chère à leurs yeux. Les vêtements sont upcylés, autrement dit basé sur la récupération de pièces pour les transformer et ainsi recycler les vieux vêtements. C’est une des raisons pour lesquelles Rubi a rejoint la Casa 93. « C’est une pédagogie différente, avec une consommation alternative qui m’intéresse particulièrement et que je trouve nécessaire dans un monde où la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde ».

Défilé de l’école de mode de la Casa 93

La Casa 93 te permet sans diplôme particulier de rentrer dans l’école. Il suffit vraiment d’être passionné et de pouvoir le prouver

Arrivée de Londres avec un bac anglais d’art – textile – business et une année de prépa marketing mode, Rubi, franco-brésilienne, avait visité la Casa Geraçao des favelas de Rio. Elle a trouvé sa place dans celle de Seine-Saint-Denis. « On n’arrivait pas trop à me mettre dans une case, parce que je n’avais pas un bac français. Alors qu’en soit, ça fait 5 ans que je fais des études de mode. La Casa 93 te permet sans diplôme particulier de rentrer dans l’école. Il suffit vraiment d’être passionné et de pouvoir le prouver ».

Défilé de la première promo de l'école de mode casa93

Défilé de la première promo de l’école de mode Casa 93

J’ai toujours voulu faire de la mode mais je ne savais pas comment

Passionnée, Doris Traoré, 23 ans, l’est aussi. Cette année, elle a jonglé entre son école de commerce et « la Casa », comme les élèves l’appellent affectueusement. « J’ai entendu parler de la CASA dans les médias. J’ai décidé de postuler car j’ai toujours voulu faire de la mode mais je ne savais pas comment ». Doris dit modestement qu’elle n’était pas dans la création auparavant alors qu’elle fabriquait déjà des bijoux pour elle et sa maman. Sans doute parce que c’est à la Casa 93 qu’elle a appris à coudre et attrapé le virus de la sérigraphie, impression sur textile. Et l’aventure ne fait que commencer. « J’ai postulé dans deux écoles de mode », nous confie-t-elle, tout émue et super fière de ce premier défilé. Le stress redescend après des heures et des heures à préparer cet évènement, avec naturellement quelques tensions à quelques minutes du défilé. « C’est sûr que c’est plus simple quand on fait les choses individuellement, reconnaît Nadine Gonzalez. Là en collectif, ça clashait régulièrement. Il y a la gestion des égos, du style. Mais la Casa 93 est une école de vie créative, ce n’est pas qu’un exercice créatif de style, c’est vraiment un exercice de vie. Et dans la vie, il faut savoir s’écouter, échanger et justement pouvoir se respecter ».

Défilé école de mode casa93

Doris Traoré, élève de la Casa 93

Quand j’étais petite, je regardais les magazines, je ne m’y retrouvais pas forcément. Du coup, dans mon travail aujourd’hui, j’essaie d’avoir des models d’un peu partout, de toutes les tailles, de tous les physiques

Il en fallait de l’énergie et du style pour créer tous ces vêtements, accessoires et tout ce décor. Avec en plus la bande son, les chants de la chorale Sequenza 9.3, et le parfum 13 bis créé spécialement pour l’occasion qui embaumait le grand hangar du Quartier Général, on est plongé dans les univers de ces jeunes créateurs aidés par 70 bénévoles pour le défilé. Njeri Njuguna, 21 ans, s’est occupée de l’accessoirisation dont les bijoux de cheveux. « Avec la Casa, on peut montrer une autre image de la mode. Et moi ce que je veux, ça se voit déjà, je me coiffe dans la rue, dit-elle en riant, c’est une image un peu plus simple et plus naturelle ».

Njeri Njuguna, élève de la Casa 93

Photographe de mode, Njeri n’est pas fan de tout ce qui est « très très lisse, des physiques qui sont à peu près tous les mêmes. J’ai fait pas mal de stages en studio et j’ai vu que les mannequins, c’était pas mal des physiques caucasiens, donc je ne m’y retrouvais pas forcément. Déjà, quand j’étais petite, je regardais les magazines, je ne m’y retrouvais pas forcément. Du coup, dans mon travail aujourd’hui, j’essaie d’avoir des models d’un peu partout, de toutes les tailles, de tous les physiques, qu’ils soient professionnels ou pas ».

Models du défilé de l’école de mode Casa 93

Passionnée par l’univers de la mode à travers la photographie, Njeri est entrée à la Casa 93 pour améliorer ses connaissances en stylisme. »Ça a marché. Je sais faire la différence entre quel vêtement est photogénique, lequel l’est moins, et j’ai affiné mon œil surtout », se réjouit-elle. Et elle a aussi fait de belles rencontres : « Il y a des profils vraiment exceptionnels dans cette classe, qu’on ne retrouve pas dans les autres écoles car on ne peut pas forcément se les payer ces études-là. Ça fait du bien”, dit-elle arborant un tissu typique du Kenya portant la mention « L’avenir appartient aux plus pauvres ». Un slogan qui sied à merveille à la Casa 93.

Rouguyata SALL

Crédit photo : Mohammed BENSABER

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