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Les festivals se mettent (enfin) à agir contre le harcèlement sexuel

ENQUÊTE // Des foules compactes, souvent alcoolisées et dénudées… Un contexte idéal pour les potentiels harceleurs. Face au problème, des organisateurs de festival commencent à réagir.

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Pendant le festival Solidays, l'association Stop au harcèlement de rue a affiché une carte du festival pour que les gens indiquent les points où ils se sentaient en insécurité. (Stop au harcèlement de rue)
Publié le 12 juil. 2018 à 08:00Mis à jour le 12 juil. 2018 à 11:12

Vous êtes en train de regarder un concert aux côtés de vos amis quand, soudain, une main baladeuse s’invite sur votre corps. Ou, vous faites la queue au bar quand un inconnu vient vous glisser des obscénités à l’oreille. Ou encore, vous vous dirigez vers le camping et une personne fait tout pour rentrer dans votre tente, bien que vous lui opposiez une fin de non recevoir. Ce genre de scènes vous rappellent peut-être de (mauvais) souvenirs de festivals ? Vous n’êtes malheureusement tout.e seul.e.

Selon une étude britannique, réalisée auprès de 1.188 personnes et publiée en juin, près de la moitié (43%) des festivalières âgées de moins de 40 ans disent avoir subi un comportement sexuel non consenti. 30% des femmes ont également déclaré avoir été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle. En France, l’association Consentis, qui souhaite sensibiliser sur les violences sexuelles dans les lieux festifs, a publié en juin un sondage - réalisé sur les réseaux sociaux auprès de plus de 1.000 personnes - qui va dans le même sens : 41% des personnes interrogées, tous genres confondus, ont déclaré avoir déjà été agressées sexuellement dans un lieu festif (club, bar, festival). Pour les femmes, la proportion grimpe à 60%.

Pas tous égaux pour faire la fête

Les festivals seraient-ils des lieux de sexisme ordinaire... en plus décomplexé ? “Il y a un côté beaucoup plus permissif dans ces événements que dans la rue, commente Tiphaine Riou, 26 ans, militante du collectif Stop au Harcèlement de Rue. Comme il y a de l’alcool, parfois de la drogue, que les gens sont dénudés, la notion de consentement devient plus floue. Certains se permettent de faire des choses qu’ils ne feraient pas dans d’autres contextes.” 

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“Quand il s’agit de faire la fête, il y a d’énormes inégalités entre hommes et femmes, abonde Mathilde Neuville de l’association Consentis, lancée cette année. Quand on parle de harcèlement sexuel dans un contexte de fête, on est souvent confronté à des réactions d’incompréhension : “ah il t’as dit/fait ça ? Mais tu devrais être flattée!” C’est pourquoi il faut vraiment sensibiliser les gens sur la notion de consentement.”

Si le constat dressé paraît alarmant, force est de constater qu’on en entend peu parler. En France, une femme a obtenu gain de cause en février dernier, contre un homme de 45 ans qui l’avait agressée sexuellement lors de l’édition  2013 du festival Hellfest. Mais ce type  de procès reste rare. Par contre, sur les réseaux sociaux ou sur des forums, nombreuses sont les victimes à partager leur expérience.

Quid des organisateurs ?

L’année dernière, le festival de Bråvalla en Suède a été entaché par un scandale inédit : 4 femmes ont déposé plainte pour viol et 23 autres pour agressions sexuelles. Résultat : les organisateurs ont tout simplement annulé l’édition 2018. Un événement - largement médiatisé - qui a provoqué des remous jusqu’en France. “J’ai vraiment halluciné, réagit Jérôme Tréhorel, directeur des Vieilles Charrues. J’ai voulu savoir si le problème s’était posé ailleurs car j’avais l’impression qu’en France on était préservé de ça... C’est un sujet sur lequel on a alors échangé avec d’autres organisateurs pour connaître les pratiques des uns et des autres.”

Les responsables de festivals ont-ils conscience de l’ampleur du problème ? “C’est un point de vigilance”, assure Jérôme Tréhorel. “On est attentifs à ces questions”, commente de son côté Pascal Aubrée, directeur de la Fête de l’Humanité. Pour autant, les cas d’agressions sexuelles remontés jusqu’à leurs oreilles sont rares.

Aux Vieilles Charrues, un protocole est mis en place au niveau des équipes de secouristes et des agents de sûreté depuis plusieurs années. Si un cas se présente aux équipes sur le terrain - composées de 250 secouristes et 700 agents de sécurité par jour - l’information est transmise à un médecin qui prend en charge la personne et la gendarmerie est prévenue dans la foulée. Une procédure activée - seulement - deux fois, et qui n’a jamais donné lieu à des poursuites, “car les victimes étaient revenues sur leurs propos”, précise le directeur du festival. Par ailleurs, 20 caméras vidéos, installées dans le cadre du plan vigipirate, peuvent aussi servir à identifier les potentiels harceleurs.

Cette année, des spots de sensibilisation seront diffusés entre les concerts sur les écrans géants du festival breton avec un message : “quand c’est non, c’est non. La différence entre la drague et le harcèlement, c’est le consentement”. Un message élaboré avec des associations féministes, qu’on voit d’ailleurs de plus en plus représentées parmi les stands des festivals.

L'association Stop au harcèlement de rue a proposé un atelier de Krav Maga aux festivaliers de Solidays cette année. Stop au harcèlement de rue

Des militantes davantage sollicitées

“Au départ, c’est nous qui proposions nos services, maintenant certains festivals viennent nous chercher. Depuis le scandale de Bråvalla et l’affaire Harvey Weinstein, on a reçu beaucoup de sollicitations”, remarque Louise Delavier, chargée de communication de l’association En Avant Tout.e.s, déjà intervenue à la Fête de l’Humanité, Solidays ou encore Rock en Seine. Sur leur stand, les militantes proposent à chaque fois des jeux pour sensibiliser au sexisme, où il s’agit par exemple de retrouver les interprètes de chansons aux textes très machistes - “qui ne sont pas forcément chantées par des gros rappeurs américains, mais aussi par Michel Sardou ou Johnny Hallyday” précise au passage la militante -, décrire le “relou type” et engager la discussion avec les festivaliers etc.

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A la Fête de l’Humanité, en plus d’un stand physique tenu par des militants, un message de sensibilisation au harcèlement sexuel fait parti d’un guide distribué aux personnes qui tiennent les 400 stands de l’événement. “On rappelle l’attitude à avoir si on est victime ou témoin”, précise le directeur Pascal Aubrée.

Parmi les grands festivals français, Solidays semble le plus mobilisé sur cette question. “Ils nous proposent de faire des interventions sur scène pour s’adresser à tous les festivaliers. C’est vraiment bien car les gens qui viennent à notre stand représentent une minorité”, commente Tiphaine Riou de Stop au Harcèlement de Rue, association présente depuis 2015 sur le festival. Cette année, les organisateurs avaient sollicité en amont les militantes pour former l’équipe bénévole en charge de la prévention. Pendant l’événement, une carte du site du festival était aussi à la disposition des festivaliers pour qu’ils indiquent les points où ils s’étaient sentis en insécurité. Installée sur le stand de l’association, cette dernière pouvait alors faire directement remonter les informations aux équipes de sécurité.

Pendant le festival Solidays, l'association Stop au harcèlement de rue a affiché une carte du festival pour que les gens indiquent les points où ils se sentaient en insécurité.Stop au harcèlement de rue

L’année dernière, Rock en Seine avait largement communiqué sur la présence d’un stand féministe sur son site. Mais cette année, aucune association ne sera représentée. “Chaque année nous accueillons de nouvelles associations et celle-ci était déjà présente l’année dernière”, fait-on simplement savoir à la communication.

Qu’en est-il des organisateurs de festivals à l’étranger ? Le festival belge Esperanzah! semble le plus engagé en la matière : pour l’édition 2018, les organisateurs ont annoncé  un plan de lutte contre le harcèlement sexuel, baptisé SACHA (pour “Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions”). Au programme: trois stands de prévention sur le site, numéro d’appel d’urgence dédié, une “safe zone” pour les éventuelles cibles de harcèlement, où se trouvera une professionnelle de santé. Par ailleurs, la ministre en charge des Droits des femmes en Fédération Wallonie-Bruxelles, a récemment annoncé une augmentation du budget destiné aux opérateurs qui organisent des animations d’éducation à la vie sexuelle et affective dans les festivals de musique.

En Suède, suite au scandale de Bråvalla, un festival 100% dédié aux femmes est organisé à la fin du mois d’août. La séparation entre hommes et femmes, ultime solution face au problème ? “Je ne souhaite pas cloisonner les publics, réagit Jérôme Tréhorel des Vieilles Charrues. Je veux garder un festival accessible à tous.”  Sauf, on l’espère, aux harceleurs.

Hélène Bielak

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