Des squats de Rome au festival de Cannes : l'incroyable ascension de Marcello Fonte, star de « Dogman »

Révélation de « Dogman », prix d'interprétation masculine au dernier festival de Cannes, Marcello Fonte tient à 39 ans le rôle de sa carrière. Une renommée qui arrive sur le tard pour ce comédien au parcours atypique.
L'incroyable ascension de Marcello Fonte star de « Dogman »
Alberto PIZZOLI / AFP

Jamais un acteur n’avait paru aussi gêné d’entendre son nom résonner dans l’enceinte du Palais des festivals. À l’annonce d’une victoire, certains feignent la surprise, Marcello Fonte, lui, regarde ses confrères, éberlué, comme incertain de la marche à suivre. S’ensuit une scène burlesque où le comédien italien, ne sachant littéralement pas où se mettre sur scène, rechigne à accepter son prix d'interprétation masculine pour Dogman. La récompense enfin dans les mains, il se fend alors d’un discours à la modestie affichée : « Quand j’étais petit, chez moi et qu’il pleuvait, je fermais les yeux et j’avais l’impression d’entendre des applaudissements. Maintenant, ces applaudissements, c’est vous ».

Il y a quelque chose de Buster Keaton chez Marcello Fonte, dans cette silhouette fluette, dans ce visage cabossé, qui fait rire autant qu’il a attendri ce soir du 19 mai à Cannes. L’homme que nous rencontrons à Paris est bien loin de l’impassibilité de son modèle, ponctuant ses phrases d’une blague et d’un perpétuel sourire, semblant presque surpris qu’on souhaite réaliser un portrait de lui. Parce qu’il est littéralement sorti de nulle part, avant d’incarner un toiletteur pour chiens malmené par la brute du quartier chez Matteo Garrone, l’acteur suscite irrémédiablement la curiosité. Pour une fois, le storytelling du « comédien qui a galéré » est loin d’être un euphémisme, tant l’intéressé traîne derrière lui un parcours tumultueux. Parcours qu'il raconte sans un soupçon d'autocensure, avec la candeur de ceux qui ne sont pas encore lassés par l'exercice promotionnel.

Une enfance à part

La solitude, voilà l’un des premiers mots qui surgit, lorsqu’il évoque son enfance au fin fond de la Calabre, au sein d’une famille nombreuse (7 frères et sœurs). « J’avais surtout comme ami, des chiens et des personnes âgées. J’aimais bien aller chez un personnage qui s’appelait Mimi le tzigane. Ça me fascinait de le voir dépiauter le cœur des voitures, comme un chirurgien. Je passais beaucoup de temps chez le barbier aussi, à le regarder couper les cheveux, à l’aider à nettoyer », se remémore-t-il. Il se souvient aussi de la honte (« la vergogna », comme il le martèle en italien) de devoir « voler » dans les décharges, de s’y cacher pour étudier, faute d’avoir une chambre. « C’est à l’école, en rencontrant mon ami Carmelino, que j’ai réalisé que j’étais différent. C’était la première fois que je voyais une vraie salle de bains, par exemple », explique-t-il. C’est pourtant durant ses jeunes années qu’il goûte pour la première fois au pouvoir de la fiction : « J’aimais bien regarder la télé, mais notre poste ne marchait pas très bien. Mes frères m’autorisaient à rester, mais à condition que je tienne l’antenne. Donc je voyais la plupart des films à l’envers. Un jour, j’en ai eu marre, alors j’ai trafiqué l’électricité pour réparer le problème. »

S’il s’amusait, petit, à imiter Rambo à tout-va, Marcello tombera par hasard dans la comédie. À l’âge de 18 ans, il décide en effet de quitter sa région natale, pour s’installer à Rome. Non pour poursuivre un quelconque rêve, mais par simple survie. « J’étais tombé amoureux d’une jeune fille qui vivait dans le coin montagneux de la Calabre. J’habitais près de la mer, donc je faisais tout le chemin en Vespa pour aller la voir. Ça s’est mal fini. Je me suis senti trahi, j’allais très mal et j’ai sombré dans la drogue », raconte-t-il. Son frère, architecte et seul membre de la famille à avoir fait des études, l’invite alors à le rejoindre dans la capitale italienne. « Je suis arrivé avec une tête explosée. Ma seule pensée était de me procurer de la drogue. Puis, je suis devenu bouddhiste et j’ai commencé à faire du théâtre. L'art m'a sauvé », poursuit-il. Valsant de squat en squat, de petit boulot en petit boulot, Marcello a la gouaille de ceux qui n'ont rien à perdre et infiltre facilement les plateaux de cinéma : « Dès que je voyais un tournage, je me rendais chez les costumières en faisant croire que le réalisateur m’envoyait. À l’époque, je vivais dans une cave, donc ça me permettait aussi d’avoir un panier repas. » Voilà comment il rencontre les plus grands – Martin Scorsese ou Daniel Day-Lewis en jouant les doublures dans Gangs of New York –, et découvre vraiment l’essence du métier : « Avant, je pensais qu'être acteur, c’était aller à la télé et faire l’andouille. Je faisais une fixette sur l’idée de trouver le bon mot pour faire rire. »

Le rôle qui va tout faire basculer

Quelques rôles plus tard – au théâtre Cinema Palazzo qu’il a sauvé de la destruction ou dans la série de la Rai La mafia uccide solo d'estate –, le comédien rencontre l’homme qui va faire basculer sa carrière. « Nous étions en plein casting, dans un centre social où une compagnie d'anciens détenus faisait des essais pour une pièce de théâtre. Marcello était le gardien, il dormait dans ce centre. Il écoutait les essais du spectacle, et un jour l'un des anciens détenus a eu un malaise, et il est mort. Il a pris sa place, il a fait le casting pour le film, et il a été choisi », expliquait Matteo Garrone à l’AFP. Attiré par son « visage antique » comme sorti d’une autre époque, le cinéaste tape dans le mille : son jeu est d'une justesse à toute épreuve, qu'il susurre « amoree » à ses compagnons canins ou sombre dans le désespoir de la violence. Une performance qui lui vaut d’être courtisé de toutes parts, mais lui permet surtout de pouvoir sortir à la rentrée le long-métrage qu’il a coréalisé en 2015 avec Paolo Tripodi : Asino Vola, inspiré de son histoire et racontant l’amitié entre un gamin solitaire et un âne. Dans la foulée, il publiera un livre autobiographique relatant son parcours spectaculaire. Son titre ? Sous les étoiles. « Enfin », serait-on tenté d'ajouter.