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Jeunes sans famille : une loi à l'étude pour ne plus les abandonner à 18 ans
La députée LREM Brigitte Bourguignon a déposé une proposition de loi pour étendre le suivi de la protection de l'enfance à 25 ans.
GERARD JULIEN / AFP

Jeunes sans famille : une loi à l'étude pour ne plus les abandonner à 18 ans

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Une proposition de loi d'une députée LREM entend garantir un suivi des jeunes majeurs issus de la protection de l'enfance. Le but : empêcher des milliers de jeunes, accompagnés jusqu'à leur majorité dans des familles d'accueil, de se retrouver à la rue une fois leur majorité atteinte.

C'est une mesure qui aurait peut-être pu figurer dans les annonces du plan pauvreté qu'Emmanuel Macron devait présenter ce 10 juillet : une proposition de loi, déposée le 13 juin par la députée LREM du Pas-de-Calais Brigitte Bourguignon, entend "renforcer l’accompagnement" des jeunes accompagnés par l'aide sociale à l'enfance. Orphelins ou victimes de violences, ces derniers sont, parfois dès leur plus jeune âge, placés en famille d'accueil. A l'heure actuelle, quand ils atteignent l'âge de 18 ans, ils sortent brutalement du giron de la protection de l'enfance. Adoptée en commission des Affaires sociales de l'Assemblée ce mercredi 11 juillet, la proposition de loi doit permettre de mettre fin à ce terrible effet de seuil. Mais, à peine examinée, la mesure est d'ores et déjà critiquée au sein de la majorité et inquiète au niveau des départements, qui sont responsables de la sauvegarde de l'enfance.

Chaque année, plus de de 40.000 jeunes sortent ainsi de la protection de l'enfance. Majeurs, ils ne sont plus pris en charge par l'Etat. "On demande à ces jeunes de prendre leur indépendance à leur entrée dans la majorité, alors qu'aujourd'hui, l'âge du départ du cocon familial recule toujours plus, relève pour Marianne Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique et social et environnemental (Cese) et rapporteur d'un avis sur le sujet rendu public le 13 juin. Des jeunes de 18 ans particulièrement vulnérables doivent s'assumer alors qu'en moyenne, les Français partent de chez leurs parents aux alentours de 23 ans et 6 mois !".

"23% des personnes privées de logement sont d'anciens enfants placés"

Conséquence : livrés à eux-mêmes, sans ressources, des dizaines de ces jeunes se tournent vers les centres d'hébergement d'urgence. Les données de l'Insee montrent que ces jeunes sont particulièrement exposés à la rue. "23% des personnes privées de logement personnels sont d'anciens enfants placés, alors qu'ils ne représentent que 2 à 3% de la population générale", constate la chercheuse Isabelle Frechon, sociodémographe au CNRS et auteure d'une enquête réalisée dans sept départements sur la fin du parcours en protection de l'enfance. "7% des jeunes sortis depuis quelques mois de l'ASE ont déjà dormi à la rue, ils sont trois fois plus lorsqu'on leur refuse un contrat de jeune majeur", ajoute la chercheuse. Sans soutien de la collectivité, ces jeunes les plus fragiles se voient contraints de faire appel au numéro d'urgence 115, ou aux dispositifs d'hébergement d'urgence, qui ne sont pas toujours adaptés à leur situation.

Certains dispositifs ont déjà été mis en place pour pallier des effets de ce décrochage sec : les départements, chargés de l'aide sociale à l'enfance, continuent leur suivi et assistent les nouveaux actifs de moins de 21 ans à hauteur de 465 euros par mois. Et 20.900 anciens enfants placés bénéficient d'un "contrat jeune majeur" lorsqu'ils atteignent 18 ans. Mais la grande majorité de ces contrats est inférieure à six mois et surtout, ils dépendent des subventions qui diffèrent en fonction des moyens financiers de chaque département, ce qui fait dire à la députée que la plupart d'entre eux "considèrent que les prestations proposées par le service de l’aide sociale à l’enfance en direction des jeunes de 18 à 21 ans sont facultatives". Elle entend donc les rendre obligatoires.

"Les départements n'ont plus les moyens de répondre aux besoins"

Afin de soulager des départements déjà financièrement étranglés, la députée envisage de faire participer l'Etat aux dépenses. "Aujourd’hui les départements n’ont plus les moyens de répondre aux besoins, ils n’ont pas beaucoup de latitude et ajustent leurs crédits par cette mesure qui n’est pas obligatoire. Si elle le devient il faut que l’Etat l’accompagne de l’enveloppe nécessaire à sa mise en œuvre", abonde Isabelle Frechon.

D'autant que le contrat jeune majeur n'est pas la seule disposition prévue par sa proposition de loi. Si elle venait à être appliquée en l'état, cette dernière déconnecterait "la fin de la prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance de la date d’anniversaire du jeune, pour lui permettre de terminer le cycle scolaire ou universitaire engagé". En clair, cela signifie que les subventions et le suivi de la protection sociale à l'enfance ne s'arrêteraient plus à l'aune des 18 ans d'un jeune, mais à la fin du parcours scolaire dans lequel il a choisi de s'orienter.

Prolonger la prise en charge jusqu'à l'âge de 25 ans

"Nous sommes aujourd'hui dans une injonction à l'autonomie, avec des contrats qui sont de plus en plus courts et qui se raréfient, souligne Antoine Dulin. Les jeunes le savent et ne se tournent plus que vers des filières courtes". Résultat : "Cinq fois moins de jeunes passés par la protection de l'enfance ont un bac général. On les conditionne à s'orienter dès 16 ans vers les filières courtes", explique-t-il, avant d'ajouter : "C'est un sécateur de rêve. On leur enlève tous les choix possibles". Autre disposition pour renforcer l'accompagnement : celle de la possibilité, pour les départements volontaires, "de prolonger la prise en charge des jeunes majeurs par les services de protection de l'enfance jusqu'à l'âge de 25 ans".

"C'est un sécateur de rêve. On leur enlève tous les choix possibles."

"Sur le fond, je suis d'accord, déclare Stéphane Troussel, président PS du département de Seine-et-Saint-Denis. Mais je ne suis pas certain que cette proposition de loi serve à grand chose. Quelle vision globale de lutte contre la pauvreté ont ce gouvernement et cette majorité ? Comment est-ce que cette mesure s'articule avec les dépenses encadrées ?" "Je ne pense pas qu'il faille parler en coût, ce qui reste difficile à évaluer à l'heure actuelle, avance Antoine Dulin. Par contre, on peut réaliser l'immense gâchis que constitue l'arrêt brusque de cette aide pour chaque jeune majeur. L'Etat investit des années dans un enfant pour finir par l'abandonner à l'aune de ses 18 ans".

"L'Etat et le gouvernement ne se sentent pas vraiment concernés"

Mais Stéphane Troussel affiche son scepticisme sur le financement d'une mesure qui, selon les chiffres avancés dans Le JDD, devrait coûter 500 millions d'euros par an uniquement pour la disposition concernant les contrats "jeunes majeurs" : "La députée va vite se confronter à une réalité, à savoir que l'Etat et le gouvernement ne se sentent pas vraiment concernés et ne voient pas l'urgence à ce sujet", ajoute-t-il. Les rumeurs de début de semaine selon lesquelles le ministère de la Santé et le patron des députés LREM, Richard Ferrand, ne soutenaient pas la proposition de loi, n'ont fait que renforcer cette impression.

Après l'adoption du texte en commission, le ministère de la Santé n'avait ainsi pas bougé d'un iota de sa position de début de semaine. La raison du litige : le fait que la proposition de loi arrive trop tôt. "Nous n'avons pas de divergence sur le fond de la mesure, martèle-t-on. Mais c'est une question d'organisation, il ne faut pas se tromper de véhicule ! Cette proposition pourrait faire partie des annonces du plan pauvreté".

Une opposition Ferrand-Bourguignon... pour une histoire de procédure

Largement soutenue par la France insoumise et acceptée par une partie du Parti socialiste et de la droite, la présentation de la mesure à l'ordre du jour de l'Assemblée serait bloquée par Richard Ferrand, qui n'aurait pas apprécié la manière dont la députée est passée au-dessus de la procédure de groupe pour déposer la proposition. Du côté de la majorité, un "conflit de personnes", paraît être à l'origine des dissensions sur le texte.

Quand la députée Bourguignon explique vouloir en faire presque un symbole "qui servirait à combattre l'image de président des riches" d'Emmanuel Macron, l'état-major du groupe LREM semble plutôt vivre cette proposition comme un désir d'équipée en solitaire : "Il faut qu'il y ait une réunion de groupe pour que le texte soit présenté en interne. Ce qui n'a pas été fait", nous explique une source à l'Assemblée, avant de jouer l'apaisement : "Normalement, la présentation d'une proposition doit se faire devant le groupe avant l'examen en commission, mais ce sera fait, assure-t-on. Le groupe l'attend même avec plaisir".

Certainement, comme le groupe attend aussi les annonces de l'exécutif du plan pauvreté. Ici, il y a une date : ce doit être en septembre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne