« Je ne peux pas imaginer y retourner » : Barnabé, Camerounais sans-papier et gay, est menacé d'expulsion

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Arrivé en France en septembre 2017, il a été arrêté et placé en rétention le 9 juillet puis libéré deux jours après. Le jeune homme de 23 ans doit comparaître devant le tribunal administratif de Toulouse avant sa potentielle expulsion vers l'Italie pour y demander l'asile.

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Rassemblement en soutien à Barnabé - Act Up-Sud Ouest

Son expulsion pour l’Italie est prévue le 23 juillet. Barnabé, 23 ans et ouvertement gay, est arrivé illégalement en France, à Toulouse, en septembre dernier, après être parti six mois plus tôt du Cameroun, pays qui criminalise encore l’homosexualité. Il a traversé le Nigeria, le Niger, gagné l’Algérie pour atteindre ensuite la Libye et a traversé la Méditerranée dans une embarcation de fortune à la dérive. Secouru en mer, il a été accueilli dans un centre de migrants en Italie où ses empreintes ont été relevés et où il a dû signer des documents sans en connaître la teneur. «  Jamais il ne m’a été signifié que c’était une demande d’asile ou quoi que ce soit d’autre. », nous a-t-il confié. Barnabé tombe aujourd’hui sous le coup de la procédure dite « Dublin », sa demande d’asile ne pouvant être formulée qu’auprès des autorités italiennes.

Interpellé le 9 juillet par les forces de l’ordre à Toulouse et placé en centre de rétention, il a été présenté deux jours après au juge des libertés et de la détention puis libéré avant son expulsion prévue le 23 juillet. Soutenu activement par Act Up-Sud Ouest, il ne lui reste plus qu’un espoir, que le tribunal administratif de Toulouse devant lequel il doit comparaître lundi 16 juillet à 14 heures lui accorde la possibilité de demander l’asile en France. Komitid a pu s’entretenir par téléphone avec Barnabé qui a accepté de revenir sur son parcours, les violences homophobes dont il a été victime tout du long et les raisons pour lesquelles il a toujours voulu demander l’asile en France.

Komitid : Vous êtes arrivé en Europe par l’Italie où vous êtes resté trois semaines dans un centre de migrants, comment les choses se sont-elles déroulées ?

Barnabé : Je suis resté trois semaines en Italie et ces trois semaines m’ont paru comme trois ans. J’étais entouré des même personnes depuis la Libye et elles avaient déjà commencé à avoir des attitudes homophobes envers moi. J’ai essayé de cacher mon côté gay de peur d’être discriminé mais j’avais toujours quelques manières, j’ai été atteint par des mots très blessants, très choquants. Des agression verbales, on me disait « pourquoi tu fais comme une femme », « je vais t’enfiler »…

« Si j’étais resté plus longtemps j’y aurais laissé ma vie. »

J’étais humilié au milieu de 1 500 personnes, j’étais dans mon coin je n’arrêtais pas de pleurer et implorer dieu qu’il puisse me venir en aide. J’ai été agressé physiquement, on m’a vidé un pot de yaourt sur le visage. Je me suis plains auprès des dirigeants du camp, mais ils ne me comprenaient pas, ça continuait, ça criait, ça m’injuriait. J’ai demandé à pouvoir discuter avec des personnes d’une association LGBT, voir un médecin pour lui expliquer la situation, mais ça n’a pas été possible. Si j’étais resté plus longtemps j’y aurais laissé ma vie, je n’aurais pas pu supporter.

Pourquoi vouliez-vous venir demander l’asile en France ?

Compte tenu de ma vulnérabilité et de la situation dont j’étais victime au Cameroun, j’ai toujours connu la France comme un pays de droit, de liberté, d’égalité. Pour moi c’était un rêve d’y aller, pour pouvoir pleurer, pour pouvoir montrer ce que je vis, que ce pays me vienne en aide. Je n’y avais jamais été mais je voyais la France à la télé et tout de suite j’ai retrouvé cette image, j’ai ressenti cet amour, cette tolérance, cette compréhension, les personnes vous écoutent, je me sens bien. J’ai été accueilli à bras ouvert par une travailleuse sociale qui m’a aidé à préparer ma demande d’asile et m’a préparé psychologiquement par rapport à la procédure « Dublin ».

Vous êtes d’abord arrivé à Nice puis à Toulouse au mois de septembre 2017, comment avez-vous vécu depuis ?

Je n’ai pas honte de le dire, j’ai dormi à la gare plusieurs fois, j’ai été orienté par le secours populaire chez une personne, j’ai pu me laver. Beaucoup de militants LGBT m’ont aidé. J’ai ensuite été hébergé par un couple gay à qui j’ai expliqué ma situation de vulnérabilité, ça m’a permis de m’épanouir. On m’a aidé à faire les démarches et il s’est avéré que j’étais effectivement sur « Dublin ». J’ai eu le droit d’exprimer les raisons pour lesquelles je suis parti d’Italie pour venir faire une demande en France et ils m’ont soumis à une signature toutes les deux semaines. J’y suis allé à chaque fois depuis le mois de janvier jusqu’au 9 juillet, jour où je me suis fait arrêter en allant signer. J’ai été conduit au centre de rétention où j’ai passé 48 heures.

Vous êtes passé devant le juge des libertés et de la détention qui a accepté de vous laisser en liberté…

Je suis libre mais quand je suis sorti j’ai signé un document qui atteste que je vais retourner en Italie de mon plein gré après être passé au tribunal administratif.

Comment comptez-vous convaincre le juge de vous laisser demander l’asile en France ?

Comme je l’ai toujours mis en avant, j’ai été victime de l’homophobie en Italie et quand je me suis rapproché des personnes encadrantes, j’ai été victime de leur homophobie aussi, je n’ai pas été écouté et j’ai été psychologiquement atteint. Je n’avais pas de place au sein du groupe et ils n’ont rien fait. Je ne peux pas m’imaginer retourner dans cette situation. Par rapport à la langue, on n’avait personne qui pouvait nous aider à comprendre l’italien alors que je suis parfaitement francophone. Pour moi la France reste un symbole que j’ai toujours respecté, c’est un pays de loi, de tolérance, d’égalité. Je me sens en sécurité, je me sens chez moi, j’ai pu trouver l’amour, la famille, des personnes qui sont à l’écoute, sans me rappeler tout le temps que je suis un pédé et que même si on me traite de pédé je sais que la loi peut me protéger.

« Depuis toujours j’ai vécu dans la peur, le rejet. »

Je suis dans beaucoup d’associations, je n’hésite pas à raconter mon histoire, à soutenir les nouveaux venus. Je suis soutenu et aimé partout où je passe. J’étais en manque de cela, depuis toujours j’ai vécu dans la peur, le rejet. Pouvoir me lever et me dire que je peux m’exprimer, que je peux vivre en tant que gay, je ne suis plus ce monstre que j’étais dans ma tête, je peux sourire et me dire que j’ai le droit au bonheur.

À quelques jours de votre passage devant le tribunal administratif, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Je suis vraiment très inquiet, un retour sur le sol italien est toujours envisageable et je n’arrive pas à en dormir. Je n’arrête pas de prier, de mâcher des chewing-gums, je suis vraiment très angoissé.

Un rassemblement en soutien à Barnabé est organisé par Act Up-Sud Ouest lundi 16 juillet à partir de 13h30 devant le tribunal administratif de Toulouse.