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Robert Redeker : «Avec cette Coupe du monde, le drapeau et la nation sont de retour»

Figaro

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le philosophe Robert Redeker dresse un bilan de la Coupe du monde 2018. Pour lui, au-delà du foot, cette Coupe du monde marque un tournant politique et idéologique qui n'en est sans doute qu'à ses débuts. Le retour de ce qui était encore suspect il y a peu : la fierté nationale.


Le Rocher

Robert Redeker est professeur agrégé de philosophie. Son dernier essai, Peut-on encore aimer le football?, vient de paraître aux éditions du Rocher.


Vous avez écrit un essai critique sur le football, «Peut-on encore aimer le football», en insistant sur le fait que celui-ci envahit le champ social et en vous demandant si cette «invasion permet l'évasion». Avez-vous la réponse en cette fin de Coupe du monde et avec ces scènes de liesse populaire?

Robert Redeker - Cette liesse - qui est à la fois universelle et particulière: qui se produit dans chaque pays lorsqu'il gagne, par exemple en Allemagne il y a 4 ans, ou bien au Mexique après le 1er tour - est tout le contraire d'une évasion. Elle exprime, de la part des peuples, le besoin de retrouver ce qui s'est perdu, ce que la mondialisation techno-marchande travaille à dissoudre, ce que «le nouveau monde» cher à Emmanuel Macron, cherche obstinément à, défaire. Elle est la demande de retisser le lien national et de réancrer le présent à la longue durée du passé. Elle manifeste un souhait de conservation - elle est conservatrice. Ainsi, loin d'être un une évasion, cette liesse collective tient plutôt du besoin d'une stabilité et d'un retour. Je note un paradoxe: l'univers de la mondialisation techno-marchande est celui de l'évasion obligatoire - voire du nomadisme généralisé - auquel la liesse populaire liée au football, sport pourtant emblématique de cette mondialisation, résiste à sa façon en affirmant un besoin d'appartenance, d'identité, de stabilité historique.

Vous rappelez dans une récente tribune au Figaro que «la liesse des Français nous rappelle combien la fête est un besoin social». Le football est-il devenu l'ultime moyen d'être heureux collectivement?

Je ne suis pas sûr que le bonheur soit le but de la vie collective sous la forme de la nation. Du coup, je doute que ce soit ce bonheur que les Français quêtent à travers cette liesse. La liesse dont nous parlons n'est pas le festivisme généralisé et permanent, justement critiqué par Philippe Muray, qui a tué la fête. Le rôle anthropologique de la fête, comme l'ont bien vu Rousseau et Bataille, est la fondation. La fête est le moment qui rassemble parce qu'elle est le rappel périodique de l'instant zéro d'une société. Elle répète la fondation, c'est-à-dire la fusion d'une multitude en une unité sous la figure du sens . C'est cette fusion originelle qui est, confusément, recherchée par nos compatriotes à travers leur ivresse footballistique. Car il faut bien voir qu'au fond, ce n'est ni le jeu, ni l'équipe qui est ainsi fêtée, c'est la France.

Cette Coupe du monde est à la fois le témoin et le symptôme d'un basculement idéologique et politique qui n'en est sans doute qu'à ses débuts.

Cette Coupe du monde a-t-elle changé votre regard sur le football?

Non. Le football n'a pas changé en un mois. Mais cette Coupe du monde est un révélateur de changements dans la société. Je retiens deux faits. Pour la 4ème fois d'affilée, c'est un pays de l'Union Européenne qui remporte le titre. Les footballs sud- américains et africains ont disparu du haut de l'affiche. Le football est universel, dit-on, mais l'excellence est européenne. S'il tient à l'universalité de ce sport, le monde du football (la FIFA) doit se poser des questions sur ce rétrécissement. Ensuite, l'ambiance collective s'est transformée par rapport à 1998. Ce qui paraissait suspect, le drapeau et la nation, la fierté nationale, sont de retour. De ce point de vue, cette Coupe du monde est à la fois le témoin et le symptôme d'un basculement idéologique et politique qui n'en est sans doute qu'à ses débuts.

Vous citez Paul Valéry: «La vie moderne remplace l'imagination par les images». Ce surinvestissement d'image par le football est-il en train de tuer l'imagination?

Oui. Ce que Régis Debray appelle «la vidéosphère», qui désigne le monde médiatique contemporain. Si je vois, je n'ai plus besoin d'imaginer, les images me sont données par des dispositifs techniques extérieurs aux mains des industries du divertissement. C'est la liberté d'imaginer qui ainsi est contrôlée. C'est l'imagination créatrice qui est en danger. Mais c'est aussi l'imagination onirique qui est appauvrie, puisque ses formes et ses contenus sont issus de ces industries.

Certains expliquent l'enthousiasme des Français par l'idée qu'ils seraient manipulés («du pain et des jeux») et que, ce faisant, ils occulteraient la politique du gouvernement. Que pensez-vous de cette analyse?

Cette approche n'est pas complètement fausse, mais elle ne désigne qu'un élément de la vérité. Elle est trop pauvre intellectuellement pour être retenue.

Des commentateurs décrient le manque de romantisme de l'Equipe de Didier Deschamps. Que vous inspire-t-elle?

L'équipe de Didier Deschamps pratique un jeu ressemblant fort à celui de l'Italie des années 70 et 80. S'il n'y a pas de romantisme, c'est aussi parce que Deschamps ne dispose pas d'un meneur de jeu de classe mondiale, comme le sont Hazard ou Modric, comme le fuit Platini en, son temps.

C'est un résumé, ou un concentré, du monde. Un match est un récit qui, si on prend la patience de le traduire, de l'examiner de près, révèle le monde, l'homme, l'économie, la morale, la politique.

On cite souvent les liens d'Albert Camus avec le football. Plus globalement, quels sont les rapports du football à la philosophie?

Le football et la philosophie poursuivent des objectifs bien différents. Cependant, on peut jouer au football en philosophe (ce que faisait sans doute Camus), mais dans ce cas il s'agira d'un jeu bien différent du football industriel qui s'étale sur les écrans et dans les stades.

Vous écrivez dans votre livre qu'«un match de football est une fable involontaire». Pouvez-vous nous en dire plus?

Le football est la fable du monde. C'est un résumé, ou un concentré, du monde. Un match est un récit qui, si on prend la patience de le traduire, de l'examiner de près, révèle le monde, l'homme, l'économie, la morale, la politique. Je dirais qu'un match de football est un fait philosophique total. Il est comme la monade chez Leibniz: un atome de la réalité qui est pourtant le miroir de tout l'univers

Vous dites du football qu'il est une idéologie, au sens marxien du terme. Comment un sport peut-il être une idéologie?

Pour Marx l'idéologie est un discours qui tente de masquer la réalité. Le football-spectacle, le football industriel, outre tout ce que nous venons de dire, est un discours qui transporte et promeut les idées actuellement les idées et valeurs de la vision néolibérale du monde (en d'autres temps, il a pu faire de même, avec les idées fascistes ou staliniennes).

La Coupe du monde donne l'occasion à tout le monde de donner son avis, pour le meilleur et pour le pire. A quoi ce fait social vous fait-il penser?

Aux religions de l'Antiquité greco-romaine. Nous vivons un moment matérialiste de l'histoire, où les peuples sont amenés à chercher dans l'immanence leurs objets d'admiration et de vénération. Dans ce contexte culturel, le football se substitue aux religions traditionnelles, prenant la tournure d'un néo-paganisme, avec son culte des idoles, son fétichisme (les maillots aux noms des joueurs) et ses liturgies parfaitement kitsch.

Robert Redeker : «Avec cette Coupe du monde, le drapeau et la nation sont de retour»

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120 commentaires
  • Acadiane

    le

    patriotisme ke temps d'une coupe du monde, et ensuite on range tout
    la France est un des pays où le patriotisme est vu comme ringard et contraire au multiculturalisme , voire synonyme d'extrême droite, raccourci honteusement nourri par la gauche qui ne s'émeut pas de voir des drapeaux à croissants sub méditerranéens.

  • epicurien01

    le

    Mais qu'il sorte un peu ce monsieur agrégé de philosophie et il verrait la vraie France...... En pleine déliquescence !!! Ils sont à l'ouest tous ces gens. Complètement hors sol !!!!!

  • Franck PST

    le

    La coupe du monde c’est du sport de masse : donc du spectacle, du fric et aussi de l’idéologie. Rien de plus.

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