L'âge bêtes

En France, les éphémères ne sont plus éternels

Plus d’une espèce sur cinq de ces insectes à la durée de vie très brève est menacée ou quasi-menacée de disparition, selon les naturalistes. Un indicateur supplémentaire du très mauvais état de nos rivières, et plus généralement de notre biodiversité.
par Florian Bardou
publié le 16 juillet 2018 à 6h39

Les anciens s'en rappellent encore : jusque dans les années 60-70, il n'était pas rare entre début juillet et la fin août d'observer au soleil couchant, au-dessus des grandes rivières et des fleuves, l'envol depuis l'eau de dizaines de milliers de petits insectes blancs. Après l'accouplement et la ponte, la «manne», comme l'on dit en référence à un épisode de la Bible, tombait raide morte : de l'or blanc que les riverains des bords de Saône ou de Garonne collectaient en grande quantité à l'aide d'une bâche et de pièges lumineux afin de la revendre à des fabricants de pâtées pour oiseaux.

Déclin inquiétant

Ce phénomène impressionnant, lié aux cycles de vie de deux espèces d'éphémères autochtones, Ephoron virgo et Oligoneurriella rhenana, est néanmoins un lointain souvenir de campagnard. La raison ? Le déclin inquiétant de ces insectes des milieux aquatiques à la durée de vie très brève – de quelques minutes à quelques heures une fois adulte – observé par les entomologistes français aux abords de nos cours d'eau (torrent, rivière ou fleuve) depuis vingt ans. Rendue publique mercredi, une nouvelle version de la liste rouge des espèces menacées en France de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un état des lieux de la biodiversité mené en collaboration avec les scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, indique d'ailleurs qu'une espèce d'éphémères sur cinq est menacée ou quasi menacée de disparition, soit 54 espèces sur 142 au total, cinq d'entre elles étant en danger critique d'extinction et deux éteintes (Oligoneuriella pallida et Prosopistoma pennigerum) depuis les années 50.

A lire aussi15 espèces communes en voie de disparition

Or, les larves de ces insectes bien connus des pêcheurs à la mouche et présents sur Terre depuis le carbonifère il y a 280 à 350 millions d'années sont, selon les naturalistes, de très bons indicateurs de la qualité de l'eau (car très sensibles aux perturbations de leur environnement), et par conséquent, de la bonne santé de leur écosystème. «C'est assez compliqué à mesurer mais les effectifs d'éphémères sont en chute libre comme ceux des autres insectes, soulève à ce propos Michel Brulin, spécialiste de ces bestioles pour l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie). Qui plus est, ces animaux qui se nourrissent d'algues microscopiques, sont à la base de l'alimentation de certains poissons, de libellules, d'oiseaux et de chauve-souris des milieux aquatiques. Avec leur disparition, c'est donc la chaîne alimentaire qui est bouleversée.» «C'est exactement la même dynamique que celle étudiée dans nos campagnes : la baisse d'un tiers des populations d'oiseaux en milieu rural est corrélée à la disparition de la biomasse d'insectes terrestres, complète l'entomologiste du Muséum national d'histoire naturelle Pascal Dupont. Dans les milieux aquatiques, on n'a pas vraiment de chiffres, mais on observe une diminution du nombre de prédateurs d'éphémères. C'est une perte énorme de biodiversité.»

Pollution de l’eau

Les causes multiples de cet effondrement sont par ailleurs connues des scientifiques : ce sont d'abord les pollutions de l'eau en tout genre, qu'elles soient organiques ou chimiques, comme les nitrates, les effluents agricoles et les pesticides ; mais également, selon Michel Brulin, «tout ce qui va porter atteinte aux milieux aquatiques et à leur configuration comme les barrages, les digues ou les infrastructures routières qui modifient le débit ou la température d'un cours d'eau». Autre type de menace : la pollution lumineuse émise par l'éclairage urbain. «Cela a été mis en évidence en étudiant les abords des lacs comme ceux du lac Annecy ou du Léman où des espèces d'éphémères ont disparu», poursuit l'entomologiste, à l'origine depuis 1996 de l'inventaire sur notre territoire de ces petits insectes ailés.

A lire aussiEt si on comptait les animaux cet été ?

«A chaque fois que l'on aborde un nouveau groupe d'espèces, ce sont les mêmes menaces qui pèsent. La crise de la biodiversité est profonde, cela nous oblige à agir», résume Florian Kirchner, écologue à l'UICN. Car les atteintes à l'environnement, qui touchent aussi les éphémères, ne sont pas irréversibles. Et ce, à deux conditions en matière de conservation selon Pascal Dupont : en limitant d'abord la pollution des eaux douces, autrement dit en revoyant nos pratiques agricoles, et, en préservant ensuite le cheminement naturel des rivières et des fleuves, soit en évitant de trop bétoniser aux abords de nos cours d'eau et zones humides.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus