Les entraînements à Clairefontaine. Les à-côtés des matchs. Les buts. Les célébrations. Jusqu’à leur retour glorieux sur les Champs-Elysées, lundi 16 juillet, les Français ont pu vibrer, en très léger différé, directement avec leurs héros, grâce aux réseaux sociaux.
Sur Twitter, Facebook, Instagram ou Snapchat, chaque jour, les footballeurs de l’équipe de France ont partagé leurs moments de vie collective sur leurs comptes personnels. Difficile, il faut en convenir, de ne pas trouver leur communication réussie et terriblement efficace (même si le goût de la victoire a sans nul doute contribué à faire de leurs posts des succès).
L’image de Kylian Mbappé embrassant le trophée, postée par le joueur bondynois sur son compte Twitter moins d’une heure après avoir décroché la deuxième étoile, a été partagée plus de 180 000 fois en moins de vingt heures. Peu d’utilisateurs du réseau social peuvent se prévaloir d’atteindre régulièrement ce nombre impressionnant de « like » et de partages, surtout avec une telle rapidité. Chez les Bleus dernière génération, c’est pourtant une habitude.
Champion du monde en 1998, devenu chroniqueur pour le journal L’Equipe et commentateur sur TF1, Bixente Lizarazu totalise près de 310 000 abonnés, après six années passées sur le réseau de Jack Dorsey. Le Mâconnais Antoine Griezmann a, lui aussi, créé son compte Twitter en novembre 2012 ; il est désormais suivi par plus de 5,3 millions de followers, soit dix-sept fois plus que son aîné… Et tout de même 2 millions de plus que le chef de l’Etat, Emmanuel Macron.

Mieux que Nabilla et David Guetta
Très influents sur le site de microblogging, les Bleus le sont encore davantage sur Instagram. Leurs photos, ainsi que leurs courtes vidéos, passionnent, et les fans s’abonnent. Résultat : des chiffres qui donnent le tournis, même s’ils restent éloignés des 135 millions d’abonnés du Portugais Cristiano Ronaldo.
Kylian Mbappé est suivi par plus de 13 millions de comptes, Antoine Griezmann par plus de 19 millions, et Paul Pogba par près de 26 millions. Même la starlette de télé-réalité Nabilla Benattia ou encore le DJ David Guetta, deux Français influents sur le réseau, qui ont respectivement plus de 3 et plus de 8 millions d’abonnés, font pâle figure à côté. Seul le capitaine de l’équipe de France, le réservé gardien Hugo Lloris, ne dépasse pas le million d’abonnés. En cause ? L’ouverture tardive de son compte, en février, sûrement provoquée par la perspective de la compétition, et le faible nombre de publications, moins d’une vingtaine en six mois.
Mais au-delà des chiffres, c’est surtout la manière dont les joueurs ont utilisé les réseaux sociaux pour dévoiler, en coulisse des matchs, une ambiance bon enfant, amicale et soudée, qui a marqué les esprits.
Images de coulisses avidement scrutées par les médias
A la lecture des centaines de messages publiés par les joueurs de l’équipe de France, on ne trouve aucun règlement de comptes ni aucune acrimonie, comme il avait pu y en avoir en 2010. Au contraire, les joueurs ont aussi utilisé leurs comptes pour désamorcer des rumeurs de tensions ou de blessures. Le 12 juin, quatre jours avant le premier match des Bleus, face à l’Australie, lorsque Kylian Mbappé est touché par un tacle d’Adil Rami à l’entraînement, laissant craindre une blessure, c’est sur Twitter que l’attaquant de 19 ans donne de ses nouvelles. « Je vais bien, c’est juste un coup donc ce n’est pas grave mais merci pour vos messages. PS : et laissez mon ami [Adil Rami], c’était pas méchant », écrit-il en agrémentant son message d’émoticônes.
Que ce soit Pogba et Mbappé moquant Griezmann à l’heure de la sieste, le défenseur Presnel Kimpembe – seulement titularisé pour la rencontre France-Danemark – mettant l’ambiance avec sa playlist et son enceinte portable dans le bus tricolore, ou encore Raphaël Varane embrassant la Coupe, avec son fils Ruben dans les bras, ces à-côtés précieux leur permettent d’apparaître profondément humains.
On a donc eu, durant toute la compétition, l’impression d’assister à une nouvelle édition du documentaire à succès de 1998 Les Yeux dans les Bleus, en direct, cette fois. Des images de coulisses avidement scrutées par… les médias, qui doivent choisir entre la communication « officielle », très contrôlée et très cadrée, et ces instants de vie quotidienne.
Les scènes de liesse dans les vestiaires après la victoire contre la Croatie, diffusées par les joueurs sur Snapchat ou Instagram, ont ainsi été reprises telles quelles par des télévisions nationales dimanche 15 juillet au soir. Avec des moments particulièrement étonnants ; on a ainsi pu voir Emmanuel Macron effectuer un « dab » (mouvement de victoire popularisé par des sportifs américains et des rappeurs), à l’invitation de Benjamin Mendy, qui filmait la scène en direct.
Changement d’époque
L’époque a bien changé depuis le Mondial brésilien de 2014 – quatre ans seulement après la débâcle de Knysna, en Afrique du sud –, quand le sélectionneur déconseillait à ses joueurs de publier des messages sur Facebook ou sur Twitter. En 2018, les règles étaient simples : aucune interdiction, mais « pas de portable à table, ni dans le vestiaire, lors des entraînements ou avant les matchs », détaillait Guy Stephan, l’entraîneur adjoint des Bleus, à France Télévisions.
L’âge des joueurs de cette sélection, qui ont grandi avec les réseaux sociaux et sont quasiment aussi à l’aise dans cet environnement que sur le terrain, semble avoir fait le reste. A leurs supporteurs, les Bleus se sont adressés en utilisant les codes et les usages de réseaux qu’ils pratiquent réellement au quotidien, avec leurs proches.
Stickers, clins d’œil, jeux de mots, blagues potaches, photos marquantes, tout dans leurs messages respirait le naturel. A côté, les messages publiés par la Fédération française de football (FFF) et les comptes officiels de l’équipe de France étaient plus institutionnels… et complémentaires. Quand le compte de la FFF diffuse une interview classique de son président après la victoire, Paul Pogba, 25 ans, publie une photo de lui faisant un dab, la coupe entre les mains.
Mais la généralisation des réseaux sociaux a aussi changé la vie quotidienne des joueurs durant la compétition. Quand, en 1998, l’équipe de France a vécu les phases finales du tournoi largement coupée du reste du pays, celle de 2018 avait accès, en temps réel, aux encouragements de ses supporteurs.
Un groupe sans faux-semblant
L’équipe a ainsi pu entonner un chant à la gloire de Benjamin Pavard, imaginé par des supporteurs après le match contre l’Argentine, et qui est arrivé jusqu’aux Bleus via les réseaux sociaux. Ou encore prendre conscience de l’ampleur du rassemblement sur les Champs-Elysées dès le soir de la victoire face à la Belgique.
Résultat, l’équipe de France a donné, durant toute la compétition, l’impression de former un groupe sans faux-semblant, qui se comportait de la même manière en ligne et hors ligne. Une adéquation incarnée, d’une certaine manière, par Antoine Griezmann : après son penalty réussi contre l’Argentine, l’attaquant de 27 ans a exécuté sur le terrain une petite danse de la victoire empruntée au jeu vidéo en ligne à succès Fortnite, dont il est passionné, plébiscité par des millions d’adolescents et de jeunes adultes en France. Un clin d’œil générationnel, mais aussi le signal que le joueur (de l’équipe de France) est aussi un joueur (de jeux vidéo) comme les autres.
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