Faux-la-Montagne entre en résistance : "La Creuse a caché des enfants juifs, cacher des réfugiés, c'est notre devoir"

Une semaine après la manifestation, réprimée, de Felletin contre l'expulsion d'un jeune réfugié soudanais accueilli à Faux-la-Montagne, plus de cent personnes ont exprimé leur colère et leur « honte ». A la mairie, ce lundi, l'humeur n'était pas à la résignation : les valeurs républicaines et le passé résistant de la Creuse ont été invoqués.


Par Julien Rapegno

Publié le 16 juillet 2018 à 20h02

Réunion publique soutien sans papier Soudan Noordeeen Essak Faux-la-Montagne © Agence GUERET

Point par point. Coup pour coup. Le collectif de soutien à Noordeen Essak a répondu point par point, lundi midi, en mairie de Faux-la-Montagne, aux décisions et aux arguments développés par la préfète de la Creuse, Magali Debatte, dans ce dossier. Elle a fait procéder à l'expulsion du jeune Soudanais de 21 ans, 15 heures avant que n'expire le délai prévu par les accords de Dublin : « A compter du jeudi 13 juillet, il pouvait déposer sa demande d'asile en France », a rappelé Marc Bourgeois, qui a hébergé Noordeen Essak durant huit mois et est devenu très calé sur la législation du droit d'asile : « Contrairement aux assertions de Mme la préfète, ce n'est pas une procédure normale ».

Réunion publique soutien sans papier Soudan Noordeeen Essak Faux-la-Montagne Marc Bourgeois au micro


Autre contradiction apportée à une déclaration de la représentante de l'Etat : « Noordeen n'a jamais déposé une demande d'asile en Italie. Les autorités italiennes lui ont juste pris ses empreintes digitales », a soutenu Marc Bourgeois.

Les habitants de Faux connaissent l'histoire du jeune Soudanais : « Son père et son frère ont été tués sous yeux, il a fui en Libye où il a été réduit en esclavage » et ils connaissent aussi «  son extrême droiture. Jamais il n'a cherché à se soustraire aux injonctions de l'administration. Il s'est présenté deux fois à la gendarmerie ».

Victime d'une "partie de ping-pong entre la France et l'Italie"

Renvoyé une première fois en Italie en 2017, Noordeen Essak s'est retrouvé « dans une partie de ping-pong entre les deux pays », avant de croiser la route de Marc Bourgeois et d'être accueilli à Faux.

Pour mémoire, 108 habitants de cette commune,  qui en compte un peu plus de 400, et le conseil municipal à l'unanimité, se sont engagés à participer à l'accueil et à l'intégration de quatre jeunes Soudanais (dont les situations administratives sont diverses).

Noordeen Essak ne serait donc pas un débouté de la demande d'asile ; il n'a pas encore pu la déposer et donc expliquer son histoire à l'administration. « Il y a des gens en détresse d'un côté et des gens prêts à les accueillir de l'autre, où est le problème ? », a lancé une habitante de la commune.

Réunion publique à Faux-la-Montagne


 

Les événements de Felletin, qui ont vu les gendarmes disperser la manifestation de soutien et l'analyse qui en a été faite par la préfète, qui a évoqué «  des groupes organisés » , en invoquant plus tard la « surveillance de l'ultra-gauche » sur le plateau de Millevaches , ne passent pas.

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Elu de Faux-la-Montagne, Alain Detholle veut prêter à la nouvelle représentante de l'Etat  « une méconnaissance du territoire » : « Nous sommes parfaitement républicains ».

Sophie, habitante de Faux-la-Montagne et professeur au collège de Bourganeuf, a participé à la manifestation de Felletin : «  Cette année, nous avons travaillé avec les élèves sur les notions d'asile et d'exil. Ce qui s'est passé à Felletin est en parfaite contradiction avec les valeurs républicaines que nous transmettons aux élèves. Ca m'a renvoyé à la Seconde Guerre mondiale».

«  A La Villedieu, nous avons fait des faux papiers aux réfugiés espagnols en 1936, la population a manifesté contre les guerres coloniales  ».
Thierry Letellier (Maire de la Villedieu)

Dans l'assistance, a fusé cette idée : «  Que se passerait-il si Noordeen revenait à Faux et si nous le protégions ?  Oseraient-ils nous envoyer un escadron ? » . « Oui », a répondu Marc Bourgeois.

Comme l'évidence a surgi la référence historique : «  La semaine dernière la France a célébré Simone Veil. La Creuse a caché des enfants juifs, cacher des réfugiés c'est notre devoir, alors qu'on les renvoie à la mort. Notre devoir, c'est de dire non ».

Tandis que Marc Bourgeois martelait : «  Au nom de quel intérêt supérieur de la France Mme la préfète refuse-telle de prendre en compte l'intégration dont Noordeen à fait preuve et a-t-elle décidé de l'arracher à son foyer (...)  L'Etat a la capacité souveraine de s'occuper des réfugiés, Mme la préfète l'a aussi. Elle s'exonère de la véritable question : pourquoi n'exerce-t'elle pas cette souveraineté ? ».

Avec émotion, la maire de Faux, Catherine Moulin, a évoqué la « honte » que lui inspirait cette expulsion.

Quant à Thierry Letellier, le maire de la petite commune voisine de La Villedieu, il a affirmé qu'il ne se laisserait pas impressionner : «  A La Villedieu, nous avons fait des faux papiers aux réfugiés espagnols en 1936 et  la population a manifesté contre les guerres coloniales (…) Si Mme Debatte, comme la ministre Alliot-Marie il y a dix ans,  nous prend a priori pour de dangereux gauchistes et anarchistes, qu'elle vienne nous voir afin de réviser ce jugement ».

Thierry Letellier a fait également un parallèle : « Cette charge des gendarmes contre des manifestants, c'est inédit en Creuse. Pourtant, des manifestations violentes d'agriculteurs devant la préfecture, il y en a eues, sans qu'aucun préfet n'ait recours à la force ».

Pour le collectif de soutien à Noordeen : «  La charge des gendarmes à Felletin ne répondait à aucune violence. Elle n'avait d'autre objectif que de faire diversion afin de pouvoir évacuer notre ami ».

Que devient Noordeen Essak ?

Au cours de cette réunion, un point a été fait sur la situation présente du jeune sans-papier soudanais : « Au moment d'embarquer pour l'Italie mercredi, le policier lui a signifié qu'il pouvait refuser. Ce que Noordeen a fait, car il n'a aucune attache en Italie où il a passé 7 jours au total, contre 18 mois en France », a expliqué Marc Bourgeois. Noordeen Essak, dont le dossier est désormais suivi par les avocats de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués) n'est donc pas en fuite. Il reste dans une situation administrative délicate : « L'Office français de l'immigration et de l'intégration a pris acte de son refus d'embarquer et lui a signifié qu'il ne pourrait bénéficier des conditions d'accueil réservées aux demandeurs d'asile ».  Noordeen aurait demandé à revenir au centre de retention administrative du Mesnil-Amelot ( Seine-et-Marne) afin de défendre sa cause. Comme un prisonnier qui aurait voulu retourner en prison. Tout un symbole de l'impasse dans laquelle se retrouvent ces jeunes "dublinés", selon le terme consacré.  

Julien Rapegno

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