Ecoles d’art cherchent diversité d’artistes

Programmes d’intégration aux grandes écoles, prise en charge financière, facilité d’accès au logement, parrainages… Depuis 2006, la Fondation culture et diversité aide les élèves issus de milieux modestes à intégrer les grandes formations d’art. Le but : favoriser l’ouverture sociale de ces milieux homogènes.

Par Julia Vergely

Publié le 18 juillet 2018 à 10h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h19

«Je me disais “moi, petite fille de Tours de rien du tout, pupille de l’Etat, travaillant à Burger King, je n’ai rien à faire là !” Et pourtant, je ne peux plus dire que je ne suis pas légitime. » Manon a 22 ans, et dans la cour de la Fémis, à Paris, derrière les grilles impressionnantes aux lettres dorées, elle se sent bien fière. Elle va participer à un stage d’été de trois semaines dans la prestigieuse école de cinéma, au cours duquel elle apprendra l’analyse filmique, rencontrera tout un cortège de professionnels de renom, découvrira tous les métiers du cinéma, mettra sur pied son premier court métrage, et tentera de tout savoir sur le ô combien sélectif concours d’entrée. Son stage, elle le doit à la Fondation culture et diversité, qui l’a sélectionnée pour y assister, lui a payé le train pour venir jusqu’à Paris, son logement en cité universitaire, ainsi que tous ses déplacements et repas pendant les trois semaines à venir. « Je n’avais jamais pensé que le cinéma pouvait être un métier, mais maintenant j’aimerais bien être réalisatrice ou chef op », précise Manon, qui nous avoue par ailleurs devoir laisser tomber ses peu captivantes études de biologie, faute de moyens.

“Dans le domaine culturel, il y a trop souvent un processus d’auto-discrimination et d’autocensure” Eléonore de Lacharrière, déléguée générale de la Fondation

Depuis 2006, la Fondation culture et diversité — présidée par Marc Ladreit de Lacharrière et qui appartient à la société Fimalac — permet à des centaines de jeunes issus de milieux défavorisés d’accéder à la culture et aux grandes écoles d’art, par le biais de plusieurs programmes de soutien, à la fois pédagogique et financier. « Dans le domaine culturel, il y a trop souvent un processus d’auto-discrimination et d’autocensure, les jeunes ont des difficultés à comprendre comment cela fonctionne, ils ne connaissent pas tous les métiers existants, les écoles ont des concours difficiles d’accès. Il leur est donc compliqué de se projeter », explique Eléonore de Lacharrière, déléguée générale de la Fondation. « C’est pourquoi nous avons créé des programmes d’éducation culturelle et artistique, en faveur de la cohésion sociale, et des programmes d’égalité des chances dans l’accès aux études supérieurs dans ces domaines. » Tous les lycéens ou étudiants doivent être boursiers aux échelons supérieurs ou dépendants d’une zone d’éducation prioritaire pour pouvoir bénéficier de l’aide de la Fondation.

Stage Egalité des Chances en Ecole d’art et de design, à l’Ecole Supérieure d’Art de Clermont-Métropol.

Stage Egalité des Chances en Ecole d’art et de design, à l’Ecole Supérieure d’Art de Clermont-Métropol. Photo : Anne Hess

Depuis douze ans, ce sont douze programmes « égalité des chances » qui ont été mis en place : avec l’Ecole du Louvre — la pionnière —, l’ENS Louis-Lumière, l’Institut national du patrimoine pour les conservateurs, la Fémis — qui célèbre cette année dix ans de partenariat —, l’Institut national de l’audiovisuel, des écoles d’architecture, d’art dramatique, de journalisme… Les élèves effectuent des stages pédagogiques pour être préparés au mieux aux divers concours, bénéficient de bourses, d’aides au logement, parfois de parrains pour les soutenir dans leur cursus, d’avantages pour la consommation de biens culturels, bref, sont chouchoutés et épaulés tout au long de leurs études. « Nous avons grandi et appris avec nos élèves. Plus ils avancent et plus on voit où nous devons renforcer nos actions et combler les manques », précise Eléonore de Lacharrière. « Nous sommes donc en train de travailler sur la période de l’insertion professionnelle — qui est parfois pleine de creux et d’incertitudes, surtout dans les métiers de la création. »

“Je ne connaissais ni l’école ni son programme, et maintenant j’en fais partie ! ” Jorge Manuel de Olivera

Jorge Manuel de Olivera a 20 ans, il est d’origine angolaise, lusophone, et vit en France depuis trois ans et demi. Il était élève dans un lycée près de Mulhouse, en bac pro technicien d’études du bâtiment, quand un de ses professeurs lui a parlé de l’existence de la Fondation. « J’ai pu faire un stage dans l’école d’architecture de Montpellier et ainsi découvrir un métier. Ça m’a permis de confronter mes fantasmes avec une réalité et de m’aider à savoir ce que je voulais vraiment faire dans la vie » nous confie-t-il. Il a passé quatre concours d’école d’architecture grâce au soutien financier de la Fondation et a pu faire son entrée en septembre 2017 à l’école de Montpellier, qui l’avait tant séduit. « La Fondation a été essentielle pour moi. Je ne connaissais ni l’école ni son programme, et maintenant j’en fais partie ! » 

L’Ecole du Louvre à Paris.

L’Ecole du Louvre à Paris. Photo : Mathilde Ledur.

Lucie Nottin, elle, vient de terminer sa première année de master à l’Ecole du Louvre, à Paris. Comme Jorge, elle se souvient avec émotion du stage, organisé par la Fondation, qui lui a permis de découvrir l’école et les métiers du patrimoine : « Pendant une semaine, nous avons eu des cours d’histoire de l’art, des concours blancs, fait des promenades dans Paris. On s’était rendus dans l’atelier de restauration de la “Victoire de Samothrace”, c’était dingue de la voir de si près ! » Une fois l’étape du concours passée, elle a bénéficié d’une aide financière, notamment pour trouver un logement : « Ç’a été d’une grande simplicité. » Depuis, elle se sent très bien soutenue : « On n’est pas tout seul et on a vraiment l’impression d’avoir toutes les cartes en main pour réussir. » Jorge et Lucie disent tous deux jouir d’une grande sérénité, qui leur permet d’être concentrés uniquement sur leurs études.

“Notre société a besoin de créateurs et d’historiens de l’art issus de ces milieux modestes.”  Eléonore de Lacharrière

Les écoles d’art avaient bien besoin de plus d’ouverture sociale et ont, pour la plupart, toujours accueilli avec enthousiasme les programmes de la Fondation culture et diversité. « Notre société a besoin de créateurs et d’historiens de l’art issus de ces milieux modestes. La création contemporaine et la société sont enrichies par la diversité des parcours, et nous en bénéficions tous ! Ces jeunes ont des parcours de vie incroyables », analyse Eléonore de Lacharrière, avant de se souvenir, non sans émotion, de l’emballement avec lequel Marc Nicolas, l’ancien directeur de la Fémis décédé en décembre 2016, avait reçu sa proposition de partenariat. Dix ans plus tard, dans la cour de l’établissement, nouveaux et anciens stagiaires — dix-neuf ont pu entrer à la Fémis grâce à la Fondation — sont venus faire la fête, trinquer à la diversité, et savourer leur chance sous le regard de leur parrain, le réalisateur Régis Wargnier. A l’image de Marie, 24 ans, qui entame le stage, résumant ainsi : « Notre motivation est décuplée. De nos faiblesses, nous faisons une force. On ne se pose même pas la question du financement si jamais on avait le concours. Avec la Fondation, c’est possible. »

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus