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France Culture : quand le service public diffuse une messe catholique intégriste sur les LGBT et contre Simone Veil
Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d'Avignon, est connu pour ses positions traditionalistes.
PHOTOPQR/LE DAUPHINE

France Culture : quand le service public diffuse une messe catholique intégriste sur les LGBT et contre Simone Veil

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Ce dimanche 15 juillet, la radio de service public a livré son antenne pendant près d’une heure à Mgr Jean-Pierre Cattenoz, qui multiplie de longue date des positions réactionnaires sur les sujets de société. Pendant son homélie, l'archevêque d'Avignon s'en est pris au mariage pour tous mais également à l'avortement, de façon très violente.

La tradition peut sembler incongrue dans une République laïque : tous les dimanches, de 10h05 à 11h00, la radio publique France Culture diffuse en direct une messe chrétienne. Interrogée sur le sujet en 2015, la directrice de la station Sandrine Treiner avait répondu que l'obligation était inscrite dans le cahier des charges de la radio, arguant que ces émissions étaient "conçues pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer". Ajoutant néanmoins : "Le débat religieux fait partie de la culture et sur France Culture, il y a de la place pour tout ce qui fait la culture".

Difficile, à première vue, de déceler en quoi la messe retransmise ce dimanche 15 juillet "fait la culture" : pendant une heure, la station publique a laissé la parole à Mgr Jean-Pierre Cattenoz, l'archevêque d'Avignon. Depuis sa cathédrale Notre-Dame des Doms, celui-ci a développé un discours intégriste, hostile au mariage pour tous mais également à l'avortement et ce, de façon très virulente. La séquence a été repérée et relayée par un auditeur vigilant de la radio, qui a adopté le pseudonyme "L'incroyant" sur les réseaux sociaux.

Au cours de cette messe, le prêtre catholique donne d'abord son avis concernant la communauté LGBT : "Je n'ai jamais rencontré de L, de G, de B, de T et, paraît-il maintenant, de Q. Je ne connais et ne vois que des personnes humaines avec toute la richesse de leur féminité et de leur masculinité, inscrite dans leur chair et jusque dans leur être le plus profond". L'archevêque d'Avignon, qui s'émerveille "devant la complémentarité de l'homme et de la femme", concède que "le mariage pour tous peut bien exister" mais que "ce ne sera jamais qu'une amitié, aussi belle soit-elle".

Je vous avoue que j'ai pleuré il y a quelques semaines en voyant conduire au panthéon de la République le corps de celle qui a permis la légalisation de l'avortement.
Mgr Jean-Pierre Cattenoz

Les auditeurs de France Culture ont ensuite eu droit aux vues du prédicateur concernant diverses autres évolutions sociétales... "Devant ces incohérences, notre société n'est pas à court d'idées : l'avortement, le suicide assisté, la PMA, la GPA, l'eugénisme... Tout devient possible, au nom d'un principe devenu premier depuis les années 68 : 'Il est interdit d'interdire'... On a bien le droit... On a tous les droits... Mon plaisir est mon droit...". Mais c'est concernant l'avortement que le religieux va réellement basculer dans l'outrance intégriste.

Mgr Jean-Pierre Cattenoz cite sur ce sujet deux figures emblématiques du catholicisme : l'ancien pape Jean-Paul II et Mère Teresa. Du premier, il relaie la phrase suivante : "L'avortement est le crime le plus abominable qui soit car la victime n'a même pas la possibilité de crier sa propre souffrance". Et de la seconde : "L'avortement est une réalité abominable car une mère tue son propre enfant". Difficile d'être plus clair... L'archevêque complète ensuite ces références d'une petite touche personnelle : "Je vous avoue que j'ai pleuré il y a quelques semaines en voyant conduire au panthéon de la République le corps de celle qui a permis la légalisation de l'avortement", lâche-t-il, au sujet de l'entrée au Panthéon de Simone Veil après sa mort. Comble de l'outrance, il enchaîne alors en comparant l'IVG et... la Shoah, dont avait été victime Simone Veil : "Au siècle dernier, et je cite toujours le pape François, tout le monde était scandalisé par ce que faisaient les nazis pour entretenir la pureté de la race. Aujourd'hui, nous faisons la même chose mais avec des gants blancs".

Des positions réactionnaires affirmées de longue date

Est-il normal que les auditeurs d'une radio de service public soient abreuvés de ce type de propos un dimanche matin ? Les programmateurs de France Culture pourraient arguer que la messe étant diffusée en direct, il était impossible de connaître l'homélie du prêtre à l'avance. Cependant, une petite recherche en amont sur le profil de Mgr Jean-Pierre Cattenoz aurait été éclairante... Figure religieuse influente dans le Vaucluse, l'archevêque d'Avignon est connu pour ses positions réactionnaires. En 2007, il adressait une lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle, dans laquelle il appelait à "distinguer l’homosexualité comme fait privé et l’homosexualité comme relation sociale prévue et approuvée par la loi". Pour justifier son opposition au mariage pour tous, il écrivait : "Le respect envers les personnes homosexuelles ne saurait en aucune manière conduire à l’approbation du comportement homosexuel ou à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles". Ses recommandations concernant l'IVG étaient du même tonneau : "L’avortement devrait être considéré comme atteignant la dignité de la personne à naître", considérait Cattenoz, arguant que si la pratique était inscrite dans la loi, l'IVG n'en "demeur[ait] pas moins immoral au regard de l’Évangile et de l’Évangile de la vie".

L'homme d'Eglise a tenu des propos plus radicaux encore en 2002, lorsqu'il a répondu aux questions de l'hebdomadaire France catholique : Mgr Cattenoz voyait alors dans le Pacs "le retour en force de l'homosexualité, érigée en modèle de société". Or, d'après ce catholique traditionaliste, "l'homosexualité ne saurait être considérée comme un état normal de la nature humaine". Il classait cette orientation sexuelle, avec la pratique de l'avortement, au rang des "situations" qu'il "ne peut objectivement accepter".

Enfin, le prédicateur ne semble pas tenir en affection la République et la laïcité. Vexé d'avoir été "ignoré" par des officiels après une messe donnée à Avignon le 27 août 2016, il avait tenu auMidi Libredes propos édifiants, estimant que "le mot de fraternité" avait été "emprunté à l'Eglise et défiguré" par la République, ou encore que "le vivre-ensemble avec nos racines chrétiennes" avait été "rayé des règles de la République au nom de la laïcité". Ce qui n'a pas empêché France Culture de lui donner libre antenne.

France culture réagit

Mise à jour de l'article

La directrice de France Culture Sandrine Treiner a finalement réagi ce mercredi 18 juillet dans l'après-midi, après que la radio publique a reçu de nombreux messages d'auditeurs outrés par le prêche de l'archevêque d'Avignon. Dansun messageadressé au médiateur de France Culture, Sandrine Treiner a condamné les propos de Jean-Pierre Cattenoz : "France Culture respecte à la lettre les obligations de service public qui incombent à Radio France, mais ces obligations ne sauraient être une tribune : une tribune pour lancer des appels, juger des choix artistiques du festival d’Avignon, prononcer des avis personnels et violents contre le droit à l’avortement, tenir des propos très inadéquats sur la panthéonisation de Simone Veil, sans compter des allusions inacceptables à des comparaisons historiques hasardeuses", a-t-elle notamment déclaré. La directrice de la station indique s'être "ouverte de la teneur de l’homélie prononcée par l’Archevêque d’Avignon au producteur de la messe, le frère Jérôme Rousse-Lacordaire qui s’est montré très attentif à [s]on appel". Un courrier a également été envoyé à la Conférence des évêques de France. Le médiateur de France Culture a lui informé que la radio avait été "en quelque sorte piégé[e] par le fait que la messe se déroule en direct". L'association LGBT "L'Amicale des jeunes du refuge" a par ailleurs saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) "pour les propos inqualifiables tenus sur le service public".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne