Alexandre Benalla a-t-il vraiment été « sanctionné » ?

La suspension de 15 jours, décidée par le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, choque l'opinion, en plus de poser un véritable problème de droit. Explications.

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Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, en avril 2017, flanqué d'Alexandre Benalla. 

Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, en avril 2017, flanqué d'Alexandre Benalla. 

© ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Temps de lecture : 6 min

La faiblesse de la sanction prise à l'encontre d'Alexandre Benalla, le « Monsieur Sécurité » d'Emmanuel Macron, soupçonné d'avoir pris part à des violences contre des manifestants, le 1er mai, embarrasse fortement le pouvoir. Mais s'agit-il véritablement d'une sanction, comme on veut nous le faire croire ? Selon nos informations, tout laisse à penser que la gestion du cas Benalla a en réalité donné lieu à un gros cafouillage juridique de la part de l'Élysée. Explications.

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Deux jours après les faits, le 3 mai dernier, le directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda, notifie en toute discrétion à son chargé de mission une suspension de fonctions de quinze jours, du 4 au 19 mai 2018. « Je vous invite à tirer toutes les conséquences de ces incidents et à faire preuve, à l'avenir, d'un comportement exemplaire. À défaut, je mettrai fin définitivement à votre collaboration au sein des services de la présidence de la République », lui écrit-il, selon nos confrères du Monde.

Surtout, Patrick Strzoda se garde bien de signaler les faits au parquet, comme le prévoit pourtant le code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs », peut-on lire à l'article 40.

Monde

Benalla en contrat à durée déterminée

Ce n'est que deux mois plus tard, après l'article du Monde, que le parquet de Paris annonce l'ouverture d'une enquête préliminaire des chefs de violences par personne chargée d'une mission de service public, usurpation de fonctions et usurpation de signes réservés à l'autorité publique. Dans le feu de la polémique, Bruno Roger-Petit, le porte-parole de l'Élysée, précise quant à lui jeudi matin que le directeur de cabinet a notifié au jeune homme « une sanction disciplinaire ». Alexandre Benalla a été « mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire », ajoute-t-il, avant d'annoncer qu'il est désormais « démis de ses fonctions en matière d'organisation de la sécurité des déplacements du président ».

Alexandre Benalla ne serait plus en charge que d'un certain nombre d'événements internes, comme il l'était, par exemple, lundi dernier, lors de la réception au Château de nos Bleus champions du monde. Problème : si le Monsieur Sécurité de Macron a vraiment été écarté avec suspension de salaire, comme le dit le porte-parole de l'Élysée, la procédure n'a pas été respectée...

En effet, en tant que chargé de mission contractuel à l'Élysée, Alexandre Benalla est soumis à un statut défini par un décret du 17 janvier 1986 qui régit les agents contractuels de l'État, ce que confirme au Point Patrick Strzoda. Le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron nous précise : « M. Benalla bénéficie d'un contrat à durée déterminée pour la durée du mandat. Il a été suspendu de ses fonctions comme le prévoit l'article 43 du décret. »

Un acte irrégulier ?

Or, que prévoit l'article 43 ? « En cas de faute grave commise par un agent non titulaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun (...), l'auteur de cette faute peut être suspendu (...). L'agent non titulaire suspendu conserve sa rémunération et les prestations familiales obligatoires. Sauf en cas de poursuites pénales, l'agent ne peut être suspendu au-delà d'un délai de quatre mois (...) Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité précitée, l'intéressé, sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. »

Si l'on se situe dans cette hypothèse, cela signifie qu'Alexandre Benalla a conservé son salaire durant sa suspension de fonctions, contrairement à ce qu'affirme Bruno Roger-Petit. Si l'on est au contraire dans l'hypothèse d'une « sanction disciplinaire », comme le claironne le porte-parole de l'Élysée, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron avait le choix entre plusieurs sanctions : l'avertissement, le blâme, l'exclusion temporaire avec retenue de salaire, et le licenciement sans préavis ni indemnité de licenciement.

Un cafouillage juridique

Mais là encore, la procédure suivie n'a pas été régulière. Car pour choisir l'exclusion temporaire, l'article 1-2 du décret de 1986 prévoit qu'une commission consultative paritaire (une sorte de conseil de discipline) doit être impérativement consultée. Cette commission existe-t-elle vraiment à l'Élysée ? A-t-elle été constituée comme la loi le prévoit ? Et, le cas échéant, a-t-elle été consultée entre le 1er et le 3 mai par le directeur de cabinet du président de la République ? Certainement pas, d'où l'embarras de l'Élysée à répondre aux questions des journalistes. Contacté à ce sujet, Patrick Strzoda n'a pas souhaité faire de commentaire...

Autre problème de taille : le contradictoire. Si Alexandre Benalla a bel et bien été sanctionné, son administration se devait de lui laisser un délai afin qu'il prépare sa défense, consulte son dossier et demande, s'il le souhaitait, à être assisté d'un avocat. Cette procédure ne semble pas avoir été respectée, comme l'explique Me Lorène Carrère, avocate associée au cabinet Seban, dans une analyse juridique très fouillée à paraître chez Dalloz vendredi matin.

Impossibilité de licencier

En réalité, à ce niveau de l'État, il n'existe quasiment aucun contentieux en la matière. En 2014, Aquilino Morelle, le conseiller de François Hollande, avait été contraint de démissionner de l'Élysée mais n'avait pas été sanctionné. Les ministres et présidents successifs se débarrassent volontiers de leurs collaborateurs en dehors de tout circuit juridique, en cas d'incompatibilité d'idées ou d'humeurs. Aussi est-il facile à Bruno Roger-Petit de dire que la sanction prise à l'encontre d'Alexandre Benalla « est la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l'Élysée ». Il n'y en a probablement pas eu d'autre... « La sanction aurait pu être plus forte, car au-delà des violences, il y a également une atteinte à l'image pour l'administration », confirme Me Carrère.

Si la crise politique que vit Emmanuel Macron devait s'accentuer dans les prochains jours, le cas Benalla deviendrait un véritable poison pour le pouvoir en vertu d'un autre principe : le non bis in idem. Si l'on considère qu'Alexandre Benalla a bel et bien été l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de fonction, « il ne pourra pas être sanctionné (administrativement, NDLR) sur les mêmes faits », insiste Me Lorène Carrère.

En l'absence de faits nouveaux, l'Élysée ne pourra donc pas le licencier, même si Alexandre Benalla devait être mis en examen au pénal pour violences ou usurpation de fonctions. Un scénario hautement probable, un juge d'instruction pouvant être désigné à tout moment par le parquet de Paris… La crise ouverte par le cas Benalla risque fort de gâcher l'été présidentiel.

Lire aussi Alexandre Benalla, le collaborateur au « sang chaud » de Macron


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Commentaires (39)

  • sergio46

    C'est là qu'on verra si Jupiter a encore une parcelle de courage !

  • RASLEBOL03

    Triste cette sombre histoire, on aurait pu penser qu'un Président choisisse des gens sérieux, et non un bagarreur de rues déjà sélectionné par la gauche précédemment !... Honteux de voir cela alors que le candidat MACRON

  • Stubbs

    Attendons patientement qui s'y colle et qui plonge !