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Union européenne et Azerbaïdjan : les affaires avant les droits de l'homme

L’UE est passée maître dans l’art de fermer les yeux sur les crimes commis par le régime d’Ilham Aliyev.
par Caroline Vinet
publié le 18 juillet 2018 à 11h04

Entre l'UE et l'Azerbaïdjan, c'est un jeu de dupe dans lequel le premier fait mine de privilégier les droits de l'homme sur l'exploitation des hydrocarbures. A terme, les deux partenaires doivent signer un accord commercial de taille. L'Europe, qui veut se défaire de sa dépendance aux hydrocarbures russes, tente de renforcer ses liens avec ce petit pays du Caucase. A l'horizon 2019, un gigantesque gazoduc devrait voir le jour entre l'Azerbaïdjan et l'Union européenne.

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Les discussions ont eu lieu le 4 juillet pour aboutir à un premier texte dans lequel l'Europe a posé ses conditions. Sur le papier elle se veut intraitable sur la question des droits de l'homme. Le président azéri, Ilham Aliyev, doit respecter «les valeurs et droits fondamentaux de l'UE» s'il veut que l'accord soit ratifié à temps, estime le Parlement européen dans un communiqué. Corruption, torture, arrestations en masse et presse bâillonnée : les maux qui pèsent sur l'Azerbaïdjan sont bien connus.

Torture

Ces conditions seront-elles suivies d'effets ? Le cas d'Ilgar Mammadov laisse dubitatif. Cet opposant, emprisonné depuis cinq ans, n'a toujours pas été libéré malgré deux injonctions de la Cour européenne des droits de l'homme. Et si d'autres victimes de torture ont pu être libérées, Leyla Yunus qui en fait partie, met en garde : «L'UE est très faible quand il s'agit de faire respecter les droits de l'homme. L'Azerbaïdjan ignore les décisions européennes qui sont prises contre elle, et les prisonniers politiques restent en prison.» La directrice de l'Institut pour la paix et la démocratie (IPD) sait de quoi elle parle. Elle ne manque pas une occasion d'alerter le Conseil européen, mais se heurte sans cesse au silence de celui-ci.

Sa dernière bouteille à la mer ? Un mail envoyé au Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe pour dénoncer un nouveau cas de torture. Début juillet, les photos de Yunis Safarov, un citoyen russe d'origine azérie, le visage maculé de plaies et le teint livide, ont circulé sur les réseaux sociaux. L'auteur du tir qui a blessé grièvement Elmar Valiyev, le maire de Gandja, a été arrêté, «puis immédiatement battu et torturé», affirme Leyla Yunus. Le maire de la deuxième ville du pays était hautement décrié par la population, et représentait le «symbole de la torture» du gouvernement, confie Türkel Azerturk, journaliste à Turan TV, un des rares médias indépendants en langue azérie. «C'est la première fois qu'on a les preuves en image que l'Azerbaïdjan torture des gens», renchérit la directrice de l'IPD. Mais pas de quoi faire réagir l'Europe. Plus tôt, le Conseil de l'Europe cosignait un texte appuyant le fait que «la torture ne peut jamais être justifiée, pas même comme mesure de "dernier recours"».

Propagande

Contactée par Libération, Norica Nicolai, rapporteuse du Parlement européen pour le nouvel accord UE-Azerbaïdjan, n'a pas souhaité s'exprimer sur le cas de Yunis Safarov, se contentant de renvoyer vers un article de l'Agence de presse azerbaïdjanaise (APA), organe de presse acquis au régime. Le Comité anti-torture d'Azerbaïdjan, ainsi interrogé par l'APA, a assuré qu'«aucun fait de traitement inhumain ou de torture contre Safarov n'a été enregistré. Il ne s'est pas plaint des conditions de détention et a déclaré qu'il n'avait pas été torturé». Ce même comité avait nié la torture dont étaient victimes les époux Yunus, rappellent les principaux intéressés. «Ce n'est pas le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) : c'est un organisme d'Etat», s'insurge Mme Yunus, qui s'étonne que l'Union européenne relaie cette propagande.

Malgré les cas de torture qui se sont multipliés ces dernières années, l'Union européenne a entamé de nouvelles négociations commerciales avec l'Azerbaïdjan en février 2017. Le projet de gazoduc a été inauguré en grande pompe début juillet avec le lancement de l'exploitation du gisement géant Shah Deniz 2 par l'entreprise britannique BP, financé à hauteur de 1,5 milliard d'euros par la Banque européenne d'investissement. Si le nouvel accord économique n'a pas encore été ratifié, l'Europe ne veut pas perdre de temps.

En avril, une enquête interne au Conseil de l'Europe avait dévoilé de «forts soupçons» de corruption pesant sur plusieurs des membres de l'institution, en lien avec l'Azerbaïdjan.

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