Filmer sous les jupes des filles va (enfin) devenir un délit

Publicité

Filmer sous les jupes des filles va (enfin) devenir un délit

Par
L'"upskirting" est une pratique qui consiste à prendre une photo ou une vidéo sous la jupe d'une femme.
L'"upskirting" est une pratique qui consiste à prendre une photo ou une vidéo sous la jupe d'une femme.
© Maxppp - Céline Gaille

Jusqu'ici cette pratique était absente du droit pénal. L'"upskirting" possède désormais un nom juridique : "la captation d’images impudiques". Un amendement du projet de loi de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en fait un délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

"Pour un jeu de dupes, voir sous les jupes des filles (...) On en fait beaucoup, se pencher, tordre son cou." Elles résonnent bien étrangement ces paroles d'une chanson d'Alain Souchon, lorsqu'on entend le témoignage de Valentine. Cette Lilloise de 25 ans a vécu ce qui constituera désormais un délit mais qui, jusqu'ici, n'était considéré, aux yeux de la justice, comme rien de plus qu'une expérience très désagréable.

À l'été 2014, le soleil tape, il fait 35 degrés. Jupe, t-shirt, écouteurs vissés sur les oreilles, Valentine emprunte la grande rue "très fréquentée" qui mène à la gare Lille Flandres. Comme à son habitude, elle ne prête pas tellement attention à ce qui l'entoure, mais arrivée au niveau de la gare, un policier l'arrête. "Mademoiselle, ne paniquez pas mais il y avait un homme qui filmait sous votre jupe et un autre homme nous l’a fait remarquer. Donc, c’est un flagrant délit, est-ce que vous voulez porter plainte", lui indique-t-il. "Choquée", la jeune femme décide de porter plainte, "pour une fois qu’il y en a un qui se fait choper".

Publicité

On finit par se dire que c'est la jupe le problème.

Elle embarque dans la voiture des policiers, quand le conducteur l'interroge : "Pourquoi vous portiez une jupe ? Quand même ça provoque un peu !". Valentine tente de se justifier en expliquant qu'elle aurait trop chaud avec un jean par cette température, mais très vite, elle décide de couper court à la conversation. Au commissariat, "je n'avais pas grand-chose à dire car je n’avais rien remarqué", raconte-t-elle. De toute façon, le policier qui prend sa plainte a surtout cette même question en tête : "Pourquoi vous portiez une jupe ?" Question de "procédure", la rassure-t-il. Mais le mal est fait pour Valentine, "c'est un coup à ne plus jamais porter de jupe, puisqu’on finit par se dire que c’est la jupe le problème !", car au lieu de s'enquérir de son état après l'agression, c'est son style vestimentaire qui semble davantage intéresser. 

Un vide juridique qui pénalise la victime

Un mois et demi plus tard, elle est convoquée au tribunal. "Je me retrouve toute seule face à ce mec-là et son avocat, parce que mon avocat ne s’est pas ramené", déplore-t-elle. Sans jamais lui accorder un regard, son agresseur adresse ses "excuses" au juge. "Filmer sous les jupes des filles" était, selon lui, "la seule occupation" qu'il ait trouvée pour éviter de rentrer chez lui lorsque c'était "compliqué avec [sa] femme". Sur le banc, Valentine trépigne d'indignation. L'homme est professeur. 

Ils ont trouvé des centaines de vidéos du même genre que celles de mes fesses ! (...] Si ça se trouve, il y a certaines de ses élèves, d’autres filles comme moi ou des amies à moi…"

Des filles comme Valentine, il y en a effectivement beaucoup. Parmi celles qui s'aperçoivent de l'agression, certaines témoignent sur Twitter. 

Toutes racontent une histoire similaire, dans la rue, les escaliers ou le métro, un homme glisse un portable ou une petite caméra pour prendre en photo ou filmer plus ou moins discrètement leur entre-jambe

Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.

Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.

L'une d'elles demande même conseil aux twittos : elle a appelé les policiers, et maintenant, que faire ? Valentine, elle, a porté plainte. La réaction du juge n'a fait que renforcer son sentiment d'injustice. À l'écoute de son témoignage, celui-ci commence par mettre en doute son état de choc, puisqu'elle ne s'est pas aperçue de l'agression au moment où elle s'est déroulée. Puis, le juge lui lance, encore, cette même question : _"Pourquoi vous portiez une jupe ?"_Cette fois, la jeune femme n'a pas à se défendre, c'est la procureure qui se lève pour qualifier cette remarque de "sexiste". Valentine encaisse. Elle s'inquiète surtout que ce que sont devenues les photos et vidéos des autres jeunes filles.

Je ne me sentais pas légitime à porter plainte.

Lorsqu'elle vit cette expérience, filmer sous les jupes des filles ne constitue en aucun cas un délit. Pourtant, c'est déjà une pratique qui semble prendre de l'ampleur. Mais, au regard de la loi, elle n'a été ni "agressée", ni "harcelée" sexuellement car l'homme ne l'a "pas touchée" et il n'a pris "qu'une seule photo". En clair, c'est "de la pornographie non consentie", lui explique-t-on. Et c'est ainsi que, à défaut de "reconnaissance", elle se retrouve à douter de sa propre _"légitimité à porter plainte"__._ 

L'homme n'écope que d'une amende de "500 euros pour les dommages psychologiques" qu'il lui a causés. "Je me suis acheté une montagne de jupes avec ces 500 euros, ironise-t-elle, mais ça n'a pas réglé le problème." À ses yeux, c'est loin de suffire à dissuader son agresseur, toujours professeur, de continuer de filmer sous les jupes des filles. 

Un an de prison et 15 000 euros d'amende pour les photographes "impudiques"

En Angleterre, une députée libéral-démocrate a présenté un texte de loi pour punir l’"upskirting" de deux années de prison. Jusqu'ici, en France, "par défaut, dans la majorité des cas, ces faits sont poursuivis sous la qualification de violences. Toutefois, la violence supposant à minima un choc émotif, si la victime ne s'aperçoit de rien, ce choc n'est pas caractérisé".

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Bientôt visée à l'article 222-32-1 du code pénal, la "captation d’images impudiques" est décrite comme "le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir ou tenter d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne". Elle est punie d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, portés à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, en cas de circonstances aggravantes, la même peine que pour un délit d'exhibition sexuelle. 

L'amendement a été ajouté par le Sénat lors de son examen du projet de de loi contre les violences sexistes et sexuelles. La commission mixte a trouvé un accord sur le projet de loi entre les deux assemblées, lundi. La commission des lois du Sénat annonce que "malgré d'importants désaccords avec l'Assemblée nationale (...) le texte issu de la commission mixte paritaire reprend largement les dispositions adoptées par le Sénat lors de ses travaux", sans donner plus de détail concernant le délit de "capture d'images impudiques". Le projet de loi doit à présent faire l'objet d'une nouvelle lecture dans chaque chambre pour pouvoir être adopté.

Pour Valentine, même s'il reste beaucoup à faire au niveau des "mentalités", "le fait de sanctionner ce genre de pratiques est une petite lueur d’espoir" que ces faits ne soient plus "minimisés" de telle sorte de "participer d'une culture du viol qui, elle, pèse tous les jours sur nous en tant que femmes".

pixel