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Beate Klarsfeld : "Le jour où j'ai giflé le chancelier allemand"

Beate Klarsfeld ceinturée et évacuée après avoir giflée le chancelier.
Beate Klarsfeld ceinturée et évacuée après avoir giflée le chancelier. © DR
Propos recueillis par Ghislain de Violet

Quand Kurt Georg Kiesinger est élu chancelier en 1966, Serge et moi devons briser le silence sur son passé de haut fonctionnaire nazi. L’occasion se présente deux ans plus tard.

Dans l’Allemagne où je suis née en 1939 et où j’ai grandi jusqu’à mes 21 ans, les crimes du nazisme sont encore enfouis sous une chape de plomb. On n’en parle pas. C’est en m’installant en France en 1960 et en rencontrant Serge, qui est historien, que j’en prends conscience. Il me raconte le sort de sa famille, son papa gazé à Auschwitz. Il me révèle aussi à quel point sont nombreux les anciens nazis occupant toujours des fonctions importantes au sein de l’appareil d’Etat allemand. Nous nous marions en 1963.
Nous sommes révoltés par l’élection de Kurt Georg Kiesinger.

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Sous le nazisme, il a été un propagandiste de haut rang au sein du ministère des Affaires étrangères. Il savait alors très bien ce qui se passait dans les camps. En 1967, j’écris plusieurs tribunes libres contre lui dans le journal « Combat », ce qui me vaut d’être révoquée de mon poste de secrétaire à l’Office franco-allemand pour la jeunesse. Mais cela ne nous arrête pas.

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Ce qu’il nous faut, maintenant, c’est un scandale. D’où l’idée d’une gifle en public. Un geste conçu dès le départ comme un acte symbolique : la jeunesse allemande gifle la génération des pères nazis. L’opportunité se présente le dernier jour du congrès des chrétiens-démocrates, le 7 novembre 1968, à Berlin-Ouest. J’enregistre au préalable une déclaration pour expliquer mon geste, au cas où. Je n’ai pas peur de ce qui pourrait m’arriver, plus d’échouer. Pourtant je risque ma vie dans cette affaire.
Berlin a des allures de camp retranché, le Palais des Congrès grouille de policiers. Mais je parviens à franchir les cordons de sécurité avec l’aide d’un photographe du magazine « Stern ». Mon bloc-notes de fausse journaliste à la main, je baratine un gardien au niveau de la tribune en lui faisant croire que je dois rejoindre un ami de l’autre côté, il me laisse passer. J’arrive derrière Kiesinger, il tourne la tête, je crie à pleins poumons : « Nazi ! Nazi ! » et je lui décoche une gifle à la volée.

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Il se tient l’œil, un médecin accourt. Je suis ceinturée et évacuée sans ménagement. Mais c’est un soulagement énorme pour moi. Le soir même, un juge me condamne à un an de prison. Mais je parviens à faire douter le tribunal en lui rappelant ma qualité de citoyenne française. Ma détention est suspendue et je suis relâchée sur-le-champ. Serge me rejoint à Berlin. Hasard du calendrier, nous fêtons ce jour-là nos cinq ans de mariage. Il me dit : « Cette gifle-là, ça te restera toute ta vie. » Le lendemain, elle fait la une de la presse dans le monde entier. Pour Kiesinger, c’est une défaite dans l’opinion publique. Son parti perdra les élections de 1969 et c’est Willy Brandt, un ancien résistant, qui le remplacera à la chancellerie. 

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