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Politiquement foot

« En signant pour un club Libyen, je savais où j’allais… »

Pendant dix mois, l'entraîneur français Diego Garzitto a dirigé l’équipe de foot de Tripoli, Al-Ittihad. Pour Vice, il revient sur cette saison hors du commun.
Photos : Arnaud Finistre pour Vice FR 

L’aventure s’est terminée à la fin du mois de juin, à quelques semaines de l’expiration d’un contrat signé en septembre 2017. Un départ à l’amiable, scellé entre l’entraîneur français Diego Garzitto et les dirigeants d’Al-Ittihad, un des deux clubs de foot que compte la ville de Tripoli, en Libye. L’ambiance était devenue insoutenable pour le coach français et son fils, Anthony, venu dans ses bagages en tant que préparateur physique.

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Le 27 mai dernier, lors d’un déplacement à Benghazi, le bus du club, pourtant escorté par la police, a été attaqué par des miliciens alors qu’il approchait du stade du 28-mars, où Al-Ittihad devait affronter son grand rival, Al-Ahly de Benghazi. Mais la rencontre a tourné court.

« Des hommes armés sont montés de force dans notre bus. Ils ont insulté, puis frappé, des joueurs, l’intendant et le journaliste qui suit le club », raconte Diego Garzitto. Qui ajoute : « Par la suite, on a entendu dire que ces hommes étaient envoyés par des supporters d’Al-Ahly. Et aussi qu’ils avaient combattu contre l’État Islamique, ce qui les rendait intouchables juridiquement. Je n’ai pas cherché à en savoir plus… ».

« La première fois que les dirigeants d'Al-Ittihad m'ont contacté, j'ai refusé »

Quelques mois plus tôt, un autre déplacement à Benghazi pour un match contre l’équipe d’Al-Ahly, avait déjà mal tourné : les supporters du club de Garzitto ayant été violemment agressés par les fans de l’équipe adverse. Alors, Garzitto a jeté l’éponge et mis un terme à cette expérience éprouvante. Aujourd’hui de retour en France, il se souvient : « En signant pour un club libyen, je savais où j’allais. D’ailleurs, la première fois que les dirigeants d’AI-Ittihad m’ont contacté, j’ai refusé ».

Mais ils ont sur trouver les mots pour convaincre l’entraîneur français. Mettant en avant le beau défi sportif, d’abord : « Il fallait que le club redevienne champion et il allait disputer la Coupe de la CAF [l’équivalent de la Ligue Europa, N.D.L.R.] ». Et puis, aussi, « l’offre financière était intéressante », concède Garzitto. La question de la sécurité était aussi, évidemment, au cœur des négociations : « Ils m’avaient assuré que Tripoli était parfaitement sécurisé. Et le fait que le président du club soit, aussi, responsable de la sécurité de la ville, m’a rassuré ». Alors, il a dit oui et embarqué son fils dans l’aventure, même si, raconte-t-il : « Ma femme disait que nous étions fous d’aller là-bas ! ».

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« A Tripoli, il y a quelques impacts de balles sur certains murs, oui, mais rien de plus »

À ce stade, rappelons que Garzitto est un habitué des missions en terrain périlleux puisqu’il a déjà officié en République Démocratique du Congo, en tant qu'entraîneur du TP Mazembe et au Soudan, à la tête des clubs d’Al-Hilal et d'Al-Merreikh. Du coup, il a découvert son nouveau cadre de vie avec un certain flegme : « La ville ne porte par les stigmates des événements de ces dernières années. Il y a quelques impacts de balles sur certains murs, oui, mais rien de plus. Ce qui est impressionnant, c’est la sécurité qui est déployée : il y a des policiers et miliciens partout – et beaucoup de contrôles. On sent que c’est un pays fragile. Pourtant, les gens vivent normalement. Il y a du monde dans les rues, dans les restaurants, dans les cafés. J’ai aussi été surpris par le nombre de boutiques de luxe. »

Néanmoins, pas question pour Garzitto père et fils d’occuper un logement individuel. Comme les joueurs étrangers, ils ont été logés dans un grand hôtel de Tripoli, ultra-sécurisé et très fréquenté par les ressortissants d’autres pays. « Les consignes étaient assez strictes : il fallait éviter de se promener seul. J’étais toujours accompagné par mon chauffeur, qui faisait office de garde du corps. Pour aller au centre d’entraînement, ou simplement aller manger ou boire un café en ville. Mais les gens n’étaient pas hostiles. Au contraire. Comme ils adorent le foot, ils me reconnaissaient et me demandaient des photos ou des autographes ».

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« Benghazi est un peu une ville à l’arrêt »

Au gré des matches, Garzitto a voyagé dans toute la Libye et a pu constater une vraie différence entre Tripoli et le reste du pays. À commencer par Benghazi : « La ville est vraiment très abîmée. Là, on comprend tout de suite que des combats très violents ont eu lieu. On voit beaucoup de gens désœuvrés, sans activité… C’est une ville un peu à l’arrêt ». D’autres communes, comme Zouara, pourtant située à seulement soixante kilomètres de Tripoli, leur a été carrément interdite.

De toute façon, l’entraîneur et son club n’étaient pas à plein temps en Libye puisque, dans le cadre de la coupe de la CAF, les clubs du pays sont contraints de recevoir leur adversaire en terrain neutre – le plus souvent en Tunisie.

Mais Garzitto se souvient encore des nuits tripolitaines – régulièrement perturbées par des tirs d’armes automatiques. Une habitude pour les habitants, mais pas pour Garzitto. « Quand je demandais d’où venaient ces tirs, on me répondait qu’il s’agissait simplement de mariages, que tirer en l’air était une tradition. Même à 3 ou 4 heures du matin ! Il fallait se satisfaire de cette explication », se remémore-t-il, moyennement convaincu par l’argument.

« En début de saison, les matchs se jouaient à huis clos. Puis, il a été possible d’accueillir du public »

Pendant près d’un an, le technicien français s’est immergé dans une société libyenne en pleine reconstruction. Et a eu le sentiment d’y participer à sa façon : « Les Libyens ont la passion du football et cela leur permet de penser à autre chose qu’aux difficultés du quotidien ». Il a pu voir, de ses propres yeux, un pays s’ouvrir : « En début de saison, les matches se déroulaient à huis clos, à cause des problèmes de violence dans les stades. Puis, il a ensuite été possible d’accueillir du public en nombre limité ».

Avant, peut-être, que le célèbre stade du 28-mars, à Benghazi, fasse à nouveau le plein. Quoi qu’il en soit, Garzotti ne sera plus là pour le voir. De son propre aveu, il n’est pas près de retourner en Libye.