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Liban - Reportage

Les Doms : à la rencontre des « Gitans du Moyen-Orient », ces oubliés du Liban

Les Doms, population nomade d’origine indienne, sont présents au Moyen-Orient depuis plusieurs siècles. Coup d’œil sur cette communauté dont beaucoup semblent ignorer l’existence au Liban.

Des enfants doms jouant dans le bidonville de Hay el-Gharbeh, à la périphérie de Chatila. Photo Aïda Delpuech

Posez la question : « Qui sont les Doms ? », au Liban, peu sont ceux qui seront en mesure de vous répondre. Faisons cependant un petit effort de mémoire : ne vous souvenez-vous pas de ces silhouettes émanant de baraques de fortune bordant l’autoroute? De cette petite fille dont vous avez croisé le regard grave et qui vous a supplié de dégainer quelques sous en échange d’un modeste paquet de chewing-gum ?

Peu de gens au Liban sont au fait de l’existence des Doms, et pour cause. Ceux-ci sont désignés sous l’appellation de « Nawar » en arabe. Dérivé du mot « feu » en référence à leur activité traditionnelle de forgerons, ce terme générique s’est peu à peu empreint de connotations péjoratives pour aujourd’hui désigner le « non-éduqué, le non-civilisé ». « Cela veut dire tout ce qu’on veut : bon à rien, voleur, tricheur… C’est presque l’insulte suprême », expliquait de son vivant Jean-Paul Pascual, chercheur au CNRS.

Communauté musulmane sunnite particulièrement mal connue, les Doms, venus d’Inde aux alentours du IIIe siècle, se sont progressivement disséminés au Moyen-Orient et sont depuis présents au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Palestine, en Turquie, en Irak… De tradition nomade, ils sont aussi connus sous l’appellation de « Gitans du Moyen-Orient ».

Des « Libanais de seconde zone »
À la suite du « décret de naturalisation » promulgué par Rafic Hariri en 1994, la majorité des Doms installés au Liban depuis quelques générations obtiendra la nationalité libanaise. L’extrême marginalisation dont souffre la communauté ne connaîtra pas d’amélioration pour autant. Les chiffres sont parlants : d’après la dernière étude en date, publiée par l’ONG Terre des hommes en 2011, 76 % des familles doms interrogées vivent dans un état d’extrême pauvreté (avec moins de 2,4 dollars par jour), contre 8 % au niveau de la population libanaise.

Une telle indigence a bien entendu un impact considérable sur la santé et le niveau d’instruction global de la communauté. La même étude a constaté que 77 % des Doms interrogés sont analphabètes, contre 10,3 % pour la population libanaise dans son ensemble. Ayant très peu accès à l’éducation (68 % des enfants sont déscolarisés), les Doms exercent des métiers manuels peu qualifiés et se retrouvent le plus souvent vendeurs de rue ou travailleurs dans les champs. Les enfants contribuent à la survie des familles et sont souvent voués à la mendicité.

La perception de la société libanaise à l’égard des Doms est également un facteur d’exclusion majeur : découragés et humiliés par l’image qu’on leur renvoie, nombreux sont ceux qui n’osent jouir pleinement des droits que leur réserve leur nationalité récente. « Les Doms se voient comme des apatrides, ils habitent sur des terres “squattées”. Ils sont donc facilement expulsables », explique Catherine Mourtada, cofondatrice de l’ONG Tahaddi. Considérés comme au plus bas de l’échelle sociale libanaise, on leur prête des attitudes déviantes du fait de leur itinérance passée, de leur pauvreté et de leur supposée implication dans la prostitution.

Une auto-exclusion souterraine
Si le rejet des Doms est prégnant dans la société libanaise, l’auto-exclusion n’en est pas moins un facteur important de leur marginalisation. Fadia a 37 ans et six enfants. Mariée depuis l’âge de 14 ans à un luthier venu de Syrie et dom comme elle, elle travaille depuis de nombreuses années dans les locaux de l’ONG Tahaddi, à Hay el-Gharbeh, à la périphérie du camp de Chatila, où vit la plus grande communauté dom de Beyrouth. « Les Libanais ont beau avoir des problèmes, nous en aurons toujours plus qu’eux. Moi je me sens plus dom que libanaise, même si j’ai la nationalité. Mon père a d’ailleurs refusé le passeport », confie-t-elle.

Pour Catherine Murtada, « les familles doms se sentent si peu acceptées par la société qu’elles s’excluent elles-mêmes ». Les Doms ont une forte identité culturelle, un mode de vie communautaire qui leur est propre et qu’ils veulent préserver. « C’est une société dans la société », explique quant à elle Lara Arabian, à la tête de l’ONG Insan. Le diwan, moment de discussion nocturne, est l’un des piliers de cette vie hautement collective pendant lequel les hommes, toutes générations confondues, se rassemblent autour d’un café pour disserter autour du conflit de la veille ou du prochain mariage.

Mais si les anciens font de leurs traditions une fierté, ce n’est pas nécessairement le cas des plus jeunes. Le domari, langue multiséculaire à laquelle la communauté doit son nom, est aujourd’hui en train de s’oublier. « Quand je parle domari à mes enfants, ils me répondent en arabe », s’inquiète Fadia. Cela naît d’un sentiment de honte quant à cette identité qu’ils cherchent à dissimuler, mais aussi d’une volonté nouvelle de s’intégrer dans la société qui les entoure et d’échapper à la discrimination qu’ils endurent.

La crise des réfugiés : nouvelle perspective pour les Doms ?
Jusqu’à présent, le cas des Doms n’avait pas beaucoup suscité l’intérêt de la communauté humanitaire, qui ne les considère pas comme une priorité, en comparaison avec la crise des réfugiés que connaît le pays. Cependant, l’afflux des exilés venus de Syrie n’a pas eu que du mauvais pour les Doms. La cofondatrice de l’ONG Tahaddi raconte qu’elle a été très frappée de constater que des familles libanaises doms, installées au pays depuis trois générations, n’avaient toujours pas de frigos ou d’autres éléments de base, distribués en masse aux arrivants syriens. Ces objets de première nécessité ont depuis été alloués aux foyers doms, qui ont de cette manière pu tirer partie de l’aide décernée aux réfugiés.

Lara Arabian, de l’ONG Insan, assure que la situation a aussi légèrement évolué concernant l’éducation : « Avec l’arrivée des réfugiés syriens, plus d’enfants doms ont été intégrés dans les écoles. » « À la suite de nos nombreuses actions, 15 % des enfants doms avec qui nous avons travaillé sont maintenant scolarisés dans les écoles publiques libanaises », confirme à son tour Hicham Mohsen, de la fondation Terre des hommes.

Mais si les lignes semblent timidement bouger au sein de la communauté humanitaire, il n’en est pas forcément de même pour les mentalités. Les stéréotypes sont tenaces, et la situation ne peut prétendre beaucoup évoluer tant que le Dom n’aura pas destitué le « Nawar » dans l’inconscient collectif.

Le domari, dernier vestige culturel des Doms


Le domari est la langue multiséculaire indo-aryenne (ou indienne) à laquelle la communauté dom doit son nom. Étant de transmission orale, il est difficile d’estimer sa date d’apparition. C’est par le biais de textes sanscrits qu’il fut possible d’établir que les Doms quittèrent le sous-continent indien avant d’autres groupes gitans, tels que les Roms et les Loms (tziganes arméniens), par vagues, entre les IIIe et Xe siècles. Le domari n’a pas d’alphabet propre, il emprunte ainsi souvent les caractères de l’alphabet perso-arabe. Aujourd’hui, bien qu’en voie de disparition, la langue est parlée par les populations doms qui se sont disséminées depuis les montagnes de l’Azerbaïdjan jusqu’au Maroc, en passant par les plaines soudanaises.

Posez la question : « Qui sont les Doms ? », au Liban, peu sont ceux qui seront en mesure de vous répondre. Faisons cependant un petit effort de mémoire : ne vous souvenez-vous pas de ces silhouettes émanant de baraques de fortune bordant l’autoroute? De cette petite fille dont vous avez croisé le regard grave et qui vous a supplié de dégainer quelques sous en...

commentaires (5)

Reference le film "Latcho Drom" de Kusturica: Il s'agit surtout des Roms, et leur parcours de Goa en Inde jusqu'en Seville. Il ya a des Nawar en Egypte aussi (on les voit dans le film). Parcontre, j'ignorais l'existence des Loms (gitans Armeniens).... des recherches s'imposent.

Gerard Avedissian

01 h 23, le 27 juillet 2018

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Commentaires (5)

  • Reference le film "Latcho Drom" de Kusturica: Il s'agit surtout des Roms, et leur parcours de Goa en Inde jusqu'en Seville. Il ya a des Nawar en Egypte aussi (on les voit dans le film). Parcontre, j'ignorais l'existence des Loms (gitans Armeniens).... des recherches s'imposent.

    Gerard Avedissian

    01 h 23, le 27 juillet 2018

  • Je me rappelle on les appelait Nawar mais je ne connaissais pas leur. Histoire dans tous les cas en Italie il y a les Roms ils ressemblent aus Indiens et aux Pakistanais, , c'est incroyable

    Eleni Caridopoulou

    13 h 39, le 26 juillet 2018

  • Très intéressant. Merci pour cet article qui, je l'avoue, m'a appris beaucoup de choses.

    BOU NADER Philippe

    13 h 05, le 26 juillet 2018

  • ILS NE SONT POINT D,ORIGINE INDIENNE MAIS LOCALE A LA REGION DU PROCHE ORIENT ET ETABLIS AUSSI BIEN SUR LES HAUTEURS DES MONTAGNES QUE DANS LES VILLES ET VILLAGES. NOUS LES APPELIONS 3ARAB OU 3REYB OU PLUS SIMPLEMENT NAWAR. ILS ONT LEUR EMPEREUR DU NAWARLAND !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 42, le 26 juillet 2018

  • interessant.

    Jack Gardner

    10 h 06, le 26 juillet 2018

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