C'est avec une apathie et une idifférence en tous points condamnables que l'État et surtout le nouveau gouvernement en place ont assisté au carnage qui s'est produit hier à Tripoli. Pour l'opinion publique, ce n'était que la poursuite d'un nouveau round de violence supplémentaire (le 20e), des développements « anodins » presque lassants à force de répétition. Devenue béante, la plaie qui vide cette ville de son sang depuis tant d'années n'interpelle plus personne, encore moins les politiques qui semblaient préoccupés ailleurs, indifférents aux afffres que vivent les citoyens innocents pris dans l'engrenage de cette folie meurtrière.
Plus de 27 tués et 175 blessés dont plusieurs soldats de l'armée. Tel est le décompte macabre des trois derniers jours qui ont témoigné d'affrontements qualifiés des « plus violents » depuis des années. Lâchée seule dans l'arène, abandonnée à son sort, la troupe est, une fois de plus, prise en tenailles par les deux camps d'exaltés et a subi des tirs nourris de part et d'autre.
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L'armée et le pouvoir politique
Il a fallu surtout que le commandement de l'armée invite avec insistance le Premier ministre, Tammam Salam, à faire figurer à l'ordre du jour de la première réunion du Conseil des ministres au lendemain du vote de confiance la situation à Tripoli. L'institution militaire a demandé franchement à M. Salam de « prendre une décision politique claire et ferme de sorte à apporter à l'armée la couverture politique nécessaire, afin qu'elle ne soit pas sommée par la suite d'ouvrir des enquêtes sur l'éventuelle arrestation de tel ou tel caïd armé, tel Kaed Mehwar qui est sous le coup de plus de vingt mandats d'arrêt ». Le message de l'institution militaire était on ne peut plus clair, mais en vain.
Cloîtrés dans leur tour d'ivoire, à l'abri du sifflement et de l'impact des balles et des obus qui pleuvaient hier par dizaines sur l'axe des deux quartiers, sunnite et alaouite, les responsables politiques et communautaires ont laissé faire jusqu'à la dernière minute, une fois de plus, après avoir exacerbé à outrance la fibre communautaire, sur fond de considérations idéologiques dont la population civile de ces deux quartiers n'en a cure.
En soirée, c'est un communiqué usant de la langue de bois habituelle qui a été publié par les députés de la capitale du Nord réunis chez le député Mohammad Kabbara. Constatant enfin qu'« une guerre d'usure a lieu à Tripoli », les participants se sont plaints du fait que la capitale du Nord « a été totalement abandonnée », tirant à boulets rouges sur le nouveau gouvernement. Ce dernier, ajoute le texte, « aurait dû se réunir sitôt la confiance votée (...) pour trouver une solution ». Et de lancer, encore une fois, la balle dans le camp de l'armée en assurant que celle-ci « doit assumer son devoir en ripostant aux sources des tirs ». M. Kabbara devait par la suite demander, en soirée, un cessez-le feu immédiat.
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Les civils pris au piège
Hier les combattants de part et d'autre de la maudite rue de Syrie étaient assoiffés de sang humain comme jamais auparavant. Plus les morts tombaient, plus l'instinct de mort s'exacerbait en eux. Pris au piège dans la zone des combats, des civils et même des combattants des deux quartiers antagonistes ont contacté L'Orient-Le Jour, pour lancer un appel d'aide à la Croix-Rouge priée de venir secourir les habitants, terrés comme des rats dans les abris des immeubles. « Nous n'avons plus de quoi manger depuis plusieurs jours. Les gens vont bientôt s'étriper pour s'arracher un morceau de pain », crie un combattant au bord du désespoir. « Ce sont tous des menteurs, des Dracula qui vivent du sang de personnes innocentes », ajoute-t-il en parlant des responsables politiques. « Ils nous laissent crever sans bouger le petit doigt », s'insurge-t-il, en confiant que les habitants de son quartier en ont marre, « les combattants aussi ». « Nous n'avons plus confiance en personne, hurle-t-il, même plus dans nos propres représentants. »
De l'autre côté de la ligne de démarcation, devenue une véritable « frontière » tant la haine et l'animosité a atteint son paroxysme, le cri de douleur chez l'adversaire est tout aussi strident : « Nous n'arrivons même plus à retirer les blessés de la rue », révèle un habitant de l'un des deux quartiers en guerre. « Ils s'entre-tuent comme des malades depuis plusieurs jours et ne savent même plus pourquoi », dit-il. Le jeune homme a saisi l'occasion pour exprimer sa crainte et mettre en garde de voir le périmètre des combats s'élargir et s'enflammer de plus belle pendant la nuit, « lorsque les corps de près de 200 combattants tripolitains, tués notamment lors de la dernière bataille du Hosn en Syrie, seront rapatriés ».
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Les francs-tireurs
Dès le matin d'ailleurs, les francs-tireurs officiaient toujours, entravant la circulation sur l'autoroute internationale de Tripoli, tirant sur tout ce qui bouge. Une patrouille de l'armée a été visée, en matinée, par l'explosion d'une bombe, au niveau de la Chambre de commerce et d'industrie de Tripoli. Les francs-tireurs ont touché un bus à Mallouleh qui se dirigeait vers le Akkar, plus au nord, blessant un soldat libanais. Un autre militaire subissait le même sort en soirée.
« Les soldats tombent les uns après les autres sous les tirs nourris des francs-tireurs », devait confier à L'Orient-Le Jour un autre combattant. En milieu de soirée, les tirs d'obus étaient d'une telle violence que les mosquées ont appelé, à l'aide de porte-voix, ceux « qui habitent aux étages supérieurs à prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires et même à descendre dans les abris », une première qui illustre la violence des échanges meurtriers.
Avant d'aller sous presse, les « célèbres » caïds de Bab el-Tebbané, Saïd el-Masri et Ziad Allouki (dont le garde de corps a été blessé hier en soirée), ont annoncé qu'ils « acceptaient de respecter le cessez-le-feu, mais non pas avec les politiques ». En attendant la nuit de la capitale du Nord continuait de s'embraser au son des explosions des déflagration et des sifflements des balles.
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commentaires (5)
Face au laxisme des hommes politiques de Tripoli triste de constater que l’armée ne pourra réaliser aucune victoire avec tout ce trafic d’influence religieux surtout.
Sabbagha Antoine
08 h 31, le 23 mars 2014