Accueil

Politique Gouvernement
La loi sur les violences sexistes et sexuelles de plus en plus vidée de sa substance
Marlène Schiappa a salué "un large consensus" réunissant des parlementaires de bords différents, sur un texte "que l'on dit clivant".

La loi sur les violences sexistes et sexuelles de plus en plus vidée de sa substance

Parlement

Par

Publié le

Le projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles a franchi une nouvelle étape ce lundi 23 juillet après avoir été examiné en commission paritaire. Mais le "large consensus" vanté par Marlène Schiappa ne semble pas s'être fait sans que le texte ne soit délesté d'une partie de sa substance.

"Un large consensus" réunissant des parlementaires de bords politiques différents, sur un texte "que l'on dit clivant". Ce mardi 24 juillet, lors des questions au gouvernement, Marlène Schiappa vantait l'adoption la veille, en commission mixte paritaire, de son projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Le texte doit à présent faire l'objet d'une nouvelle lecture dans chaque chambre pour pouvoir être adopté. Mais la nouvelle mouture du projet de loi, disponible depuis ce mardi sur le site de l'Assemblée nationale, en montre une version allégée, bien loin des promesses gouvernementales du mois d'octobre.

Premier changement, et de taille : l'article 2, disposition emblématique, a une nouvelle fois été modifiée. Exit la "présomption de contrainte" quand la victime est mineure, qui avait introduite par un amendement des sénateurs LR. Celle-ci devait permettre d'inverser la charge de la preuve en obligeant un agresseur à prouver son innocence. "Il a sauté parce que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a indiqué qu'il risquait d'être jugé inconstitutionnel, indique à Marianne la rapporteure du texte la sénatrice LR Marie Mercier. Nous ne voulions pas prendre ce risque".

Un article controversé

C'est la troisième modification subie par un article décidément bien polémique. A l'origine, le texte devait proposer un "seuil de présomption de non-consentement irréfragable", censé permettre à un mineur de moins de 13 ou 15 ans d'être automatiquement considéré comme victime de viol ou d'agression sexuelle en cas de relation avec une personne majeure. Jugé inconstitutionnel dans un avis du Conseil d'Etat, le seuil avait été remplacé en commission des lois par un renforcement du délit d'atteinte sexuelle.

Adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en mai, cette modification avait fait hurler les associations féministes et de protection de l'enfance, qui craignaient que le délit d'atteinte sexuelle n'éclipse le crime de viol sur mineur. Face à la polémique, le gouvernement avait reculé quelques heures avant l'examen du texte au Sénat, retirant cette disposition de l'article 2. Pour remplacer ce concept, les sénateurs LR avaient alors déposé l'amendement de "présomption de contrainte" qui a donc à son tour été supprimé ce lundi. "Le gouvernement a renoncé à l'atteinte sexuelle avec pénétration, là nous venons de renoncer à la contrainte morale, nous résume la sénatrice PS Laurence Rossignol, membre de la délégation aux Droits des femmes. Au bout du bout, il ne reste rien de cet article 2".

Disparition de l'obligation de signalement des violences des médecins

La présomption de contrainte n'est pas la seule disposition à avoir été escamotée ce lundi. Déposé par les sénateurs socialistes et adopté au Sénat, l'amendement de l'article 2 bis, obligeant les médecins à "signaler au procureur de la République" tout cas suspect de "violences physiques, psychologiques ou sexuelles de toute nature" à l'encontre d'un mineur, a aussi été abandonné. La raison ? "Le code de la santé publique et le serment d’Hippocrate obligent déjà les médecins à dénoncer ces violences, assure la sénatrice Marie Mercier. Il risquait de faire doublon".

En réalité, si cette obligation de signalement existe bel et bien dans l'article 226-14 du code pénal, elle est aujourd'hui jugée insuffisante par des associations de protection de l'enfance ou encore des professionnels de santé, qui réclament son extension. Elle est en effet limitée aux médecins fonctionnaires de l'Etat et de la fonction publique territoriale. La grande majorité des médecins, libéraux, n'est en revanche pas tenue de respecter cet article. Quant au serment d'Hippocrate, il n'a pas de valeur légale et il indique simplement qu'un médecin doit "intervenir pour protéger" les patients quand ceux-ci "sont affaiblis, vulnérables ou menacés". En dehors de cette phrase, rien n'oblige les praticiens à signaler à la justice un cas de maltraitance, d'autant que ces derniers craignent souvent de violer le secret médical (une autre promesse du serment d'Hippocrate) ou de risquer d'être attaqués pour dénonciation calomnieuse.

Enfin, il existe bien un dernier élément enjoignant les médecins de dénoncer tout acte suspecté de sévices commis sur mineur, dans l'article 44 du Code de la Santé publique. Mais ce dernier ne parle que d'un "impérieux devoir" et pas "d'obligation". "On se rend bien compte qu'en réalité, la plupart des praticiens n'en tiennent pas compte. Cinq pour cent des signalements sur les maltraitances émanent de médecins, alors que ce sont ceux qui voient le plus d'enfants", avance Laurence Rossignol.

La prescription allongée de 20 à 30 ans

Comme dans sa version originale, le projet de loi maintient en revanche l'allongement des délais de prescription, de 20 à 30 ans après la majorité de la victime, des crimes sexuels sur mineur, et permet le renforcement des peines encourues en cas de crime sur mineur de moins de 15 ans. Il étoffe également la définition du viol. Car jusqu'à présent, le cas d'un homme ayant subi une fellation forcée pouvait, aux yeux de la justice, être considéré comme une agression sexuelle et non comme un viol : "Désormais, tout acte forcé de pénétration sexuelle réalisé ou non sur la victime sera considéré comme un viol.Cela vise à réduire l'ambiguïté de la loi", explique Marie Mercier.

Enfin, le texte "transforme en délit le fait de prendre en photo sous les jupes de filles", signale Marie Mercier. Si le texte est bien adopté en dernière lecture, la "captation d'images impudiques" deviendra en effet passible d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende. "C'est cosmétique regrette Laurence Rossignol. En fait, la seule chose sérieuse qui reste de ce projet de loi et dont on peut se réjouir est l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs. Tout le reste, c'est du bavardage".

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne