Aller au contenu principal

Police algérienne : après les purges, le recadrage

Les limogeages au sein de la police algérienne qui ont décapité ses plus hauts cadres préfigurent de profonds changements dans ce corps de sécurité et dans la communauté du renseignement
Sortie de promotion de la police algérienne à l'école de Aïn Benian (AFP)

ALGER – Un puissant patron de la police limogé, six chefs de sûreté de wilaya (département) débarqués, le directeur de la police des frontières et celui des Renseignements généraux (RG) remerciés et 30 (sur 48) directeurs des transmissions de la police démis de leurs fonctions : en moins d’un mois, la police algérienne, le corps sécuritaire le plus important du pays a subi de violentes secousses.

Le top départ a été donné par le limogeage express du général-major Abdelghani Hamel, 62 ans, le 26 juin dernier, sur fond d’une importante affaire de saisie de cocaïne par l’armée algérienne au large des côtes d’Oran.

Abdelghani Hamel a été limogé le 26 juin dernier sur ordre de la présidence (AFP)

Le 29 mai, les troupes spéciales de la marine algérienne lancent une opération d’abordage d’un navire en provenance de Valence (Espagne) pour découvrir à son bord 701 kilos de cocaïne en provenance présumée du Brésil.

Réagissant à une fuite dans la presse accusant son propre chauffeur personnel d’être compromis avec le dealer présumé – un influent importateur de viande algérois – Hamel étonne par une de ses sorties : « Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre ». Le suspect numéro un est aussi impliqué dans des affaires de détournements de terrains, de blanchiment d’argent et de corruption de cadres de l’État.

« Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre »

- Abdelghani Hamel, ex-patron de la police algérienne

Quelques heures plus tard, le patron de la police est démis de ses fonctions à la surprise générale. Qui aurait douté que ce fidèle du président Abdelaziz Bouteflika pouvait être aussi brutalement remercié ? Peu auraient parié à Alger sur cette disgrâce. Hamel était même, selon certains analystes et chancelleries étrangères, un candidat potentiel à la succession du chef de l’État.

Mais sa déclaration qui mettait en doute les enquêteurs en charge de cette affaire a fortement déplu aux cercles décisionnels. « La cohésion des corps et institutions sécuritaires doit rester une priorité pour faire face aux différents défis, comme la lutte contre la corruption qui prend des dimensions alarmantes, touchant des centres névralgiques au sein même de l’État. Cela ne passera pas en toute impunité », avait commenté une source en haut lieu à Middle East Eye.

Manque de coordination 

L’autre grief que lui reprochaient les décideurs était lié à une autre déclaration faite le 26 juin : « Nous allons transmettre les dossiers en notre possession concernant cette affaire à la justice ». Cela revenait à reconnaître que la police détenait, sans les partager avec les enquêteurs – les gendarmes dans un premier lieu – des informations importantes sur l’affaire de la cocaïne.   

Son éviction a été suivie par une large purge au sein du commandement de la police. Mais des sources officielles affirment à MEE que « ce qui se passe en ce moment au sein de la police dépasse de loin le fait de changer de patron. Il s’agit plutôt de changer les méthodes de travail et de gestion de cette grosse machine ».

À LIRE ► En Algérie, l’été des intrigues a commencé

Selon ces sources, le colonel à la retraite Mustapha Lahbiri, 79 ans, remplaçant de Hamel à la tête de la police après avoir passé dix-huit ans à la tête de la protection civile, a transmis à la présidence de la république un « plan de travail » censé « réformer » ce corps sécuritaire.

Lahbiri, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans l’armée depuis ses 17 ans comme maquisard lors de la guerre d’indépendance jusqu’à sa retraite avec grade de colonel en 1989, veut « faire cesser la guerre entre les services », confirme une autre source sécuritaire contactée par MEE.

Les informations sensibles nécessaires pour traiter des enquêtes très importantes étaient « éparpillées » entre plusieurs corps de sécurité

« Ses propositions concernent tout d’abord une meilleure coordination dans les volets du renseignement, et la nécessité de l’échange d’informations rapides entre police, gendarmerie et services sécuritaires au sein de l’armée et de la Coordination des services de sécurité [ex-DRS] rattachés à la présidence », expliquent nos interlocuteurs dans les forces de sécurité, qui ont requis l’anonymat.

Cette proposition émanerait de plusieurs rapports transmis aux plus hautes autorités de l’État, élaborés par différents corps de sécurité et du renseignement.

À LIRE ► Algérie : les services secrets ne meurent jamais

Ces rapports indiquent que les informations sensibles nécessaires pour traiter des enquêtes très importantes étaient « éparpillées » entre plusieurs corps de sécurité.

« Il aurait été possible d’accélérer ces investigations si la coordination était plus importante, même sur le plan local et entre des échelons moins importants », affirme notre source.

« La direction générale de la sûreté nationale est devenue en dix ans un corps de sécurité très important sous Hamel », souligne un expert à Alger. MEE rappelait fin juin qu’il s’agissait, alors, de créer un contrepoids nécessaire au cercle présidentiel face à l’hégémonie de l’appareil DRS, les services secrets algériens, officiellement dissous en janvier 2016.

Sabotage des enquêtes 

« Selon les décideurs, la plus grande erreur commise par l’ex-patron de la police reste la non-coordination avec le reste des services de sécurité algériens », attestent nos sources.

Ce manque de coordination, ces dernières années, aurait dans plusieurs cas, « rendu difficiles des enquêtes très sensibles, dont certaines concernaient la sécurité nationale, car chacun menait ses investigations dans son coin ».

« La multiplication des rapports qui atterrissaient en haut lieu alors que le pays faisait face à des guéguerres entre cercles mafieux, épaulés par des politiques, nous a porté préjudice », reconnaît-on du côté des enquêteurs chargés de traquer les grosses affaires de corruption.    

« Les patrons des grands corps de sécurité étaient en phase, alors pourquoi la police jouait en solo ? » 

- Source officielle algérienne 

« Cela n’a pas été fait dans le but de nuire, c’est juste que certains corps de sécurité, à l’image de la police, avaient pris l’habitude de faire cavaliers seuls et de se prévaloir d’avoir l’écoute directe de la présidence », nuance un ancien haut officier de la police.

« Les patrons des grands corps de sécurité étaient en phase, alors pourquoi la police jouait en solo ? D’où nos soupçons : ces agissements étaient peut-être téléguidés pour parasiter ou empêcher des enquêtes d’autres services de sécurité. On parle là d’investigations sur de gros dossiers de corruption, mais surtout, celles sur les narcotrafiquants », lâche notre source.

À LIRE ► Algérie : comment les puissances de l’argent se sont emparées du pouvoir

Mi-juillet, encore à Oran, neuf policiers, dont un officier, ont été placés en détention préventive pour avoir couvert le trafic de drogue d’un baron local, actuellement en fuite et qui a pu échapper à 22 mandats d’amener selon des médias. Lors de son arrestation, des noms de plusieurs policiers figuraient dans le répertoire de son téléphone portable.

Le retour à une « immédiate coordination sécuritaire entre les hauts gradés de la police et leurs collègues dans les autres services de sécurité », pour reprendre les termes de nos sources, sera le défi le plus important qui attend le corps de la police.

Redéployer les RG 

Autre point important inclus dans le « plan de travail » du nouveau patron de la police : le renforcement des prérogatives de la direction des Renseignements généraux de la police, dont le directeur, le contrôleur Djilali Boudalia vient d’être remercié et remplacé par un de ses directeurs régionaux. « Boudalia était chargé, avant de prendre la tête des RG, de la communication et des relations extérieures de la police, son remplaçant est un officier qui a fait toute sa carrière aux RG », commente notre source.

« Les RG ne pouvaient plus, sous Hamel, enquêter sur les hauts cadres de la police, par exemple, mais cela changera afin d’éviter tout abus de pouvoir ou d’influence au sein de la police », assure une source de la maison.

« Les RG ne pouvaient plus, sous Hamel, enquêter sur les hauts cadres de la police » 

-  Source policière 

Troisième élément de cette réforme : la reconstitution des Unités républicaines de sécurité (URS, l’équivalent des CRS en France), qui ont été dissoutes et transformées en simples unités de maintien de l’ordre sous la houlette des chefs de sûreté de wilayas. Hamel avait dissous ce corps de la police suite à la grève inédite des URS en octobre 2014.  

« Les refontes des services se poursuivront », avertit une source officielle. « L’alerte a été donnée avec cette grosse affaire de cocaïne et ses ramifications dans des appareils sensibles. Il n’existe pas en Algérie un corps de sécurité au service d’un seul homme. Nous serons sans pitié ! ».

Pour étayer ses dires, notre interlocuteur rappelle une des récentes décisions après le limogeage de Hamel : « Ordre a été donné d’enlever tous les portraits de l’ancien DGSN, qui côtoyaient parfois les portraits du président de la République – une première dans l’histoire de ce pays – des locaux de la police sur tout le territoire national ».

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].