Christine and de queens

Christine and the Queens a utilisé les boucles instrumentales d'un logiciel Apple pour son dernier single.

(Suffo Moncloa)

Alexandre Benalla peut-il être sauvé de la nasse médiatique par Christine and the Queens ? La Toile s'emballe actuellement pour deux vidéos publiées sur le réseau social Facebook, l'une le 22 juin par Mathieu Khalaf, l'autre le 22 juillet par Christophe Pusset, qui laissent supposer un plagiat de la part de l'auteur de Chaleur Humaine.

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En décortiquant la mélodie de Damn, dis-moi, le dernier single de la chanteuse, les deux internautes montrent l'utilisation de trois boucles instrumentales disponibles par défaut dans le logiciel de création musicale Logic Pro, édité par Apple et vendu au prix de 229,99 euros. En l'occurrence, il s'agit d'une partie de clavier, d'une rythmique et d'un motif de guitare appartenant à la gamme de sons "Neon Light". Il suffit en effet de quelques clics pour les agencer et reproduire la signature musicale de Damn, dis-moi.

Sur le plan légal, rien n'interdit de créer et de commercialiser un accompagnement musical à partir des éléments "libres de droits" fournis par Logic Pro. "Sauf indication contraire, tout le contenu d'exemple inclus dans le logiciel Apple peut être utilisé, sans avoir à verser de droits d'auteur, dans vos projets vidéo et audio. Vous êtes autorisé à diffuser et/ou distribuer vos propres projets créés à l'aide du contenu d'exemple", est-il écrit dans les conditions du logiciel, comme le remarque France Inter. Damn, dis-moi n'est donc absolument pas un plagiat mais bien une création originale.

Sur le plan artistique, on pourrait reprocher à Héloïse Letissier, pour l'état civil, d'avoir joué la carte de la facilité, voire de la paresse. Ce qui plaide en sa faveur, c'est sa franchise. L'artiste (actuellement en vacances selon son label) n'a jamais caché recourir à des logiciels de création musicale assistée par ordinateur comme Logic Pro ou GarageBand, un autre programme d'Apple, lui gratuit. En janvier 2017, elle avait rappelé au magazine Vanity Fair le rôle des machines à ses débuts de compositrice : "J'ai demandé autour de moi : 'Quel est le moyen le plus simple d'écrire de la musique ?' On m'a dit : 'Le logiciel GarageBand, sur Mac.' Je suis allée m'acheter un ordinateur." Dans une vidéo publiée sur son compte Twitter en juillet 2016, la jeune femme dévoilait ainsi une de ses compositions datant de 2012 "autoproduite avec GarageBand" :

Héloise Letissier a composé Chaleur humaine, son premier album (800 000 exemplaires en France), seule dans sa chambre sur un laptop. Le suivant, Chris, qui sortira le 21 septembre, est lui aussi le fruit d'un exercice solitaire. Contrairement à certains artistes pop comme Rihanna, Beyoncé, ou Kanye West qui travaillent avec des usines à tubes et des armées de producteurs, de mélodistes et de paroliers, la Française garde le contrôle totale sur l'élaboration de ses chansons et ne veut surtout pas donner l'impression d'avoir besoin d'une aide extérieure.

Dans une interview accordée en novembre 2016 au New Musical Express, elle justifiait, en tant que femme, cette volonté de maîtrise et donnait un aperçu de son processus créatif : "Je peux comprendre ce que Grimes [une musicienne canadienne] dit sur le fait d'avoir à expliquer cinq fois aux gens que vous produisez votre propre truc, que vous savez utiliser un ordinateur, que vous n'avez pas besoin d'aide pour les aspects techniques, parce que cela m'arrive aussi à moi. Je sais à l'avance que si je travaille avec d'autres musiciens, les gens vont dire : 'Ils ont tout fait pour elle'. Parfois j'ai envie de sortir mes démos Logic, juste pour montrer aux gens que tout est déjà écrit - les guitares, les lignes de basse, tout. Mais je ne veux pas m'abstenir de travailler avec d'autres personnes à cause de cela, alors je suppose que je vais devoir m'expliquer cinq fois de plus".

Un mauvais procès

Pour revenir à Damn, dis-moi. En mai 2018, dans M, le magazine du Monde, "Chris", comme il faut désormais l'appeler, ne cachait rien de la genèse de ce titre : "Bien avant la fin de la tournée, j'ai senti que j'avais de nouvelles choses à dire. Je prenais des notes sur mon téléphone. Damn, dis-moi, le nouveau single a ainsi été conçu, à Oslo, sur l'application GarageBand de mon iPhone." Ce serait lui faire un mauvais procès de lui reprocher aujourd'hui d'avoir dissimuler sa technique d'écriture. Pourquoi personne avant elle n'a eu l'idée de poser des paroles sur ces éléments fournis par Logic Pro ? Ce qui est pointé du doigt - piocher et agencer des sons préenregistrés - constitue au final sa marque de fabrique, voire son talent.

Cette polémique, qui n'en est pas une, a le mérite de soulever la question de la définition de l'artiste à l'heure d'une création musicale de plus en plus assistée par ordinateur, et alors que pointe l'utilisation de l'intelligence artificielle. Avec tous les appendices mis à sa disposition, la nature du musicien change. Il est de moins en moins un instrumentiste et de plus en plus "dans la position d'un directeur artistique", comme l'expliquait à L'Express en janvier 2017 Benoît Carré, pionnier en France de la musique composée avec une intelligence artificielle, et aux manettes du premier album réalisé avec une IA.

A partir d'un vaste catalogue de notes, d'accords et de sons à portée de main, l'artiste doit toujours faire des choix, tracer une ligne, définir un univers, dire quelque chose de pertinent. La machine ne fait qu'offrir un océan de possibilités dans lequel le risque de se noyer est de plus en plus grand. Christine and the Queens s'en est simplement servie comme d'un vaisseau au service d'une intention et d'une vision.

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