INTERVIEW. MC Solaar: "Les meilleurs rappeurs aujourd'hui font du rap de vieux"

Après dix ans de silence, le rappeur poète a effectué un retour gagnant avec son huitième album "Géopoétique", sorti en novembre dernier. À découvrir sur scène, notamment lors du festival Les Aoûtiennes à Bandol le 11 août et en interview, à la une de notre magazine Week-End, en kiosque ce vendredi 27 juillet.

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Nathalie Ricci Publié le 10/08/2018 à 15:00, mis à jour le 10/08/2018 à 15:00
MC Solaar sera en concert au festival Les Aoutiennes, le 11 août à Bandol. Photo Franz Bouton

Il nous avait manqué le poète du rap français. Dix ans qu'il ne nous avait pas charmé avec de nouveaux textes, qui ont toujours la particularité d'avoir autant de fond que de style.
Il nous a offert un huitième album, Géopoétique, en novembre dernier et il le promet: il ne s'absentera plus jamais aussi longtemps...
Maintenant, c'est sur scène qu'il retrouve son public.
Avant ses concerts à Monaco et Bandol cet été, et Nice cet hiver, nous l'avons rencontré dans les coulisses de la Fête de la musique à Nice pour un moment d'échange sur le toit-terrasse de l'hôtel Aston.

Géopoétique est disque de platine, meilleur album de chansons aux Victoires de la musique. Le retour est gagnant?
Oui, je trouve. J'ai une chance terrible, les gens me supportent.
Ils me tapent sur l'épaule et me disent: "Vas-y continue".
On est revenu dans le grand bain et on a eu plein de choses positives. On est très très contents.

Ce sont les mêmes gens qu'il y a dix ans?
Il y a plusieurs générations. Il y a des gens qui ont commencé à m'écouter en 2006, d'autres en 2001 et il y en a même, ceux qui me tapent sur l'épaule souvent, des anciens, ceux de l'époque de Caroline, de Nouveau Western et tout ça.
Donc heureusement que je suis revenu et que je vais faire des concerts, je vais pouvoir mélanger les époques.
Parce que j'ai fait des trucs bien aussi avant. (rires)

Vous évoquez votre "absence" dans La Clé. En écoutant cette chanson, on a l'impression que vous avez quelques regrets que ça ait été si long…
Au départ, on se dit qu'on va pouvoir faire plein de choses, et effectivement on les fait.
Je suis allé voir beaucoup de musées, je me suis baladé, j'ai voyagé. Mais à la longue, ça devient lassant de ne pas avoir d'emploi du temps.
Et puis, je ne me rendais pas compte de ce que je lâchais pendant tout ce temps.
C'est quand on rentre de nouveau en studio qu'on se dit: "Mais punaise, pourquoi on a lâché ça".
On arrive, on n'a pas grand-chose. Quand on ressort on a quelque chose à écouter. C'est une création, c'est un objet, c'est de la musique.
Le regret c'est d'avoir arrêté finalement.
Je ne conseillerai à aucun artiste d'arrêter aussi longtemps.
S'ils veulent faire une pause, qu'ils la fassent mais plus courte parce qu'ils ont un super-métier.

"rien ne vaut la musique parce que tu arrives à transcrire tout cela différemment"

 

Déjà entre vos deux précédents albums, entre Mach 6 et Chapitre 7, l'absence avait été plus longue que d'habitude… On ne va pas attendre quinze ans pour le prochain album?
Il n'y aura plus d'absence aussi longue.
Entre deux albums, je veux toujours me retrouver, sortir du cycle enregistrement-tournée-promotion-enregistrement…
Donc, souvent, j'ai fait des breaks, mais là il n'y a plus le temps de faire des breaks.
On est sûr et certain que c'est mon métier, ma spécialisation comme j'aime le dire.
Même si je veux prendre du recul, je continuerai quand même à écrire.
C'est le meilleur truc.

Vous aimez dire des choses, transmettre des idées. Pendant ces dix années, ce n'était pas trop frustrant?
J'ai eu un mutisme total mais j'ai pu devenir un Français moyen, un gars qui écoute les informations, qui ne donne pas son avis publiquement, change d'avis, arrive à suivre l'actualité en profondeur.
C'est peut-être pour ça qu'il y a ce côté géopolitique dans l'album, parce qu'on était quand même dans une période où le monde a fait irruption, il y avait plein de choses à suivre, des guerres par-ci, des évolutions sur le numérique par-là.
J'étais un peu étudiant.
Et heureusement que je n'ai pas parlé pendant cette période puisque je n'avais pas étudié les choses.
C'était la seule chose qui était plaisante: suivre une actualité sur quatre, cinq, six ans…
Mais rien ne vaut la musique parce que tu arrives à transcrire tout cela différemment.
Si tu arrives à faire une symétrie entre un événement, la musique et la façon dont tu l'analyses et qu'au centre, il y a l'envie de transformer tout ça en concorde et en choses positives…
Alors, ouais, on peut parler tout le temps.

Toujours prendre du recul et ne pas réagir immédiatement à un événement…
À chaud, on se trompe automatiquement.
On est souvent victime de l'actu, donc j'aime prendre mon temps avant d'écrire, et retranscrire avec une issue, ça permet d'être moins didactique.
Ca, c'est ma pâte.

Dans la société d'aujourd'hui, pouvoir prendre son temps est un véritable luxe…
La musique permet ça.
Je connais des acteurs ou des musiciens qui lisent deux livres par semaine et qui, entre deux films, se cultivent aussi.
Oui, on a vraiment de la chance pour ça.
Mais, je le répète, il ne faut pas tomber là-dedans sinon, très facilement, on se laisse trop aller…
Je ne l'aurais pas dit il y a quinze ou vingt ans mais il faut quand même avoir un cahier de textes, un emploi du temps, un cadre.
Ça permet même de mieux analyser les choses.

MC Solaar sera en concert à Monaco le 2 août, et à Nice cet hiver. Photo Benjamin Decoin.

Sur ce dernier album, la musique est plus présente, parfois même, vos mots, votre voix disparaissent presque sous les effets sonores…
Je n'ai pas particulièrement privilégié le rap, rap, rap, c'est-à-dire le flow et la voix qui est devant.
Là, on est assez en équilibre avec la musique.
En gros, c'est un rap évolutif, où la musique prend autant d'importance.
On a fait venir des musiciens réels, des gens qui jouent des basses, des violons et donc, ça ne donne pas la même musique que lorsqu'on utilise des samples.
On va dire que c'est ma période bleue.
Oui, c'est vrai que la voix est moins mise en avant, c'est peut-être pour me ressembler en 2018, pour ne pas faire, je ne vais pas dire comme avant, mais comme l'ambiance du moment.

Et l'écriture, est-ce que ça s'est fait comme avant?
L’écriture est venue très très rapidement.
Parce qu'il y avait vraiment un manque, une frustration.
Quand j'avais un thème, j'avais aussi assez d'idées pour terminer un texte.
C'est de l'écriture automatique. Après dix ans sans avoir pris un stylo, c'était à peu près normal…

Il y a toujours beaucoup de vocabulaire dans vos textes. Vous lisez énormément tous les jours, des journaux, des magazines pour être au courant de l'actu mais aussi pour apprendre de nouveaux mots… Et avec tout cela, vous n'avez jamais pensé à écrire un livre, un film?
J'ai des idées de film. Des idées farfelues, des choses à dire.
Je crois que le meilleur moyen pour ça, c'est de faire une nouvelle ou un livre, mais ce n'est pas la même écriture.
Je me suis déjà mis un jour à un bureau et ce n'est pas du tout le même travail, il faut penser sur le long terme.
Un champion de tennis n'est pas toujours bon au ping-pong.

"Le sens est plus important que le style. Le fond et la forme"

 

Pourtant, certains de vos textes, comme Les Mirabelles, sont très visuels… Quand on les écoute, on a des images qui viennent en tête…
Certaines des musiques que je fais c'est du cinéma pour les aveugles.
Tu mets ton casque et normalement, tu as des images.
Ce sont des films qui sont racontés. Disons que si je devais écrire, ce serait plutôt des nouvelles.
Pour l'instant, je n'arrive pas à étendre le truc, à mettre l'atmosphère, les odeurs, les nuages et tout ça.
Mais un jour, j'essaierai…

Est-ce que parfois, lorsque vous écrivez, le bon mot, ou plutôt l'association de mots qui sonnent bien, prend le pas sur l'idée?
Non, je me suis interdit ça, depuis mon premier album. Le sens est toujours là.
Le sens est plus important que le style. Le fond et la forme.
Si le fond est bon et que l'on arrive à faire une forme ludique, ça va.
Mais je préfère rester cinq minutes sur une phrase pour qu'elle soit avec des jeux de mots tout en y ajoutant un sens.
Allez, je l'ai quand même fait deux ou trois fois avec certains titres, comme Lalala où j'ai laissé les mots me guider.
Mais sinon, j'aime bien qu'il y ait une histoire cohérente.

Dans Sonotone, vous abordez l'idée du temps qui passe. Dans Eksassaute, aussi avec l'importance d'en profiter. C'est de la nostalgie que vous exprimez?
Ce sont des souvenirs communs, en général.
C'est pour que le texte soit profond parce qu'on parle de souvenirs que tout le monde a eus.
Mon prof de philo m'avait dit: "C'est pas le mythe de l'âge d'or parce qu'il est passé, mais faire référence à des belles expériences dans le passé donne envie aux gens dans le présent de le rendre aussi bien".
Je crois que je devais avoir dix-sept ans.
Si on veut que les gens soient actifs, il faut leur parler d'un passé qui était positif, comme ça ils ont envie de le retrouver.
Je crois que j'ai toujours fait ça, Les temps changent, Obsolètes, Carpe Diem, Les Mirabelles
Mais c'est un peu le truc des écrivains, ils racontent souvent leurs souvenirs, mais moi il y a un but: se dire que c'était bien, pourquoi on ne refait pas pareil?

"Avant, je voulais être un découvreur. Maintenant, on va sur des sites et on a tout"

 

En parlant du temps qui passe, en quoi le MC Solaar d'aujourd’hui est différent du MC Solaar de Bouge de là?
Je ne m'en rends pas compte mais je ne dois pas être pareil.
Les points communs: je suis toujours émerveillé par plein de choses, les gens, les rencontres, les discussions…

Vous êtes le même alors?
Oui, je crois que je suis à peu près le même.
Mais c'est le contexte qui a beaucoup changé. Avant, on était un peu des pionniers.
Maintenant, tout le monde connaît tout.
Avant, je voulais être un découvreur. Maintenant, on va sur des sites et on a tout.
On ne peut plus apprendre beaucoup de choses aux gens.

Vous êtes l'un des premiers, en France, à avoir fait découvrir le rap au grand public, vous avez ouvert une voie. Aujourd'hui, qu'est-ce que vous appréciez dans la nouvelle génération?
Elle a super-évolué. Dans le domaine, il y a Bigflo & Oli, Lomepal, Vianney, l'évolution de Gims…
J'aime bien parce que chacun arrive à mettre son identité, c'est ce que je voulais faire au départ, que chacun ait un crayon d'une couleur particulière.
Et là, les artistes arrivent à ne pas être juste dans un genre mais à porter leur identité.

"les meilleurs rappeurs aujourd'hui font du rap de vieux"

 

Parmi les critiques négatives qu'on a pu vous faire, c'est de n'avoir jamais été dans un rap d'affrontement mais plutôt de faire ce que certains ont appelé un "rap de vieux"... Aujourd'hui, vous avez au moins cette légitimité de faire du "rap de vieux"...
Je crois que dans mon rap d'avant et celui d'aujourd'hui, ce sont souvent les mêmes thèmes et le même ton.
C'est normal, ça fait plus de vingt ans que je suis là…
Et je crois que si c'est s'impliquer un peu dans la société, les meilleurs rappeurs aujourd'hui font du rap de vieux.
En tout cas, ceux que j'ai cités.
Je peux continuer avec Eddy De Pretto.

Comment tout cela se traduit sur scène?
On va faire un mélange de plusieurs périodes. On aura quelques musiciens, des choristes.
Il y aura plusieurs époques, parce que ce qui était bien avant revient aujourd'hui.
Ce sera dynamique, très heureux et tourné vers le public. Je ne veux pas le faire pour moi, je vais le faire pour eux.
Il y aura quelques effets vidéo et projections. Et beaucoup d'énergie puisque c'est l'été!

Vous serez sur la scène des Aoûtiennes, pour la deuxième édition de ce festival co-organisé par le groupe Nice-Matin…
C'était à ce festival que Véronique Sanson a joué l'année dernière? Parce que je l'ai croisée juste avant qu'elle parte pour Bandol, par hasard dans un café, et j'avais failli venir la voir chanter.
Mais ça ne s'est pas fait...
Les Aoûtiennes, c'est un jeune festival. Et qu'est-ce qu'on souhaite à une nouvelle chose: une très longue vie et toujours une programmation aussi diverse!

  • Monte-Carlo Sporting Summer Festival. Jeudi 2 août, à 20h30. Opéra Garnier, à Monaco. Tarif: 102,50€.
  • Festival Les Aoûtiennes. Stade André Deferrari (corniche Bonaparte), à Bandol. Pass 2 jours 69€, pass 3 jours 88€.
    Rens. www.lesaoutiennes.com 
    - MC Solaar + The Weird Art. Samedi 11 août, à 21 h. Tarifs: 42 et 47€, de 10 à 14 ans 24€, moins de 10 ans gratuit.
    - BB Brunes + Marina Kaye + Voodoo Story. Jeudi 9 août, à 20h30. Tarifs: 42 et 47€, de 10 à 14 ans 24€, moins de 10 ans gratuit.
    - Lost Frequencies + 2manydjs + Head On Television. Vendredi 10 août, à 20h30. Tarifs: 32 et 37€, de 10 à 14 ans 24€, moins de 10 ans gratuit.
  • Palais Nikaïa, à Nice. Vendredi 7 décembre, à 20h. Tarifs: de 35 à 59€. Rens. www.nikaia.fr

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