Article proposé par Exponaute

Les 1000 vies calligraphiques de Yu-ichi Inoue

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Publié le , mis à jour le
Au deuxième étage de la Maison de la culture du Japon à Paris, l’atmosphère feutrée, l’obscurité entre les œuvres et les kakémonos déployés annoncent les prémices d’une exposition professorale. Et pour cause, l’ancien instituteur fut le libérateur de la calligraphie, un précurseur de l’art moderne qui se réinventa à travers sa pratique. Il était une fois… Yu-Ichi Inoue.

Yu-ichi Inoue, © UNAC TOKYO photo: Tokio Ito

Il est né en 1916 à Tokyo. Devenu instituteur en école primaire, Inoue se forme parallèlement à la peinture dans des écoles spécialisées. Il étudiera huit ans sous l’enseignement du talentueux calligraphe Ueda Sôkyû. En 1952, il fonde avec des camarades le groupe Bokunjinkai qui se préoccupe des nouvelles idées en matière d’art, de peinture mais aussi de philosophie et de littérature, en Orient et en Occident. Pierre Soulages devient un correspondant familier dans cette recherche de l’absolu par le noir, le geste et le signe.

Premiers pas, premiers chocs. Le papier japonais s’exhibe dans toute sa magnificence. L’intensité du noir jaillit. Les formes simples traduisent un geste sûr. Puis les pinceaux médusent. Ce sont de gigantesques manches en bois dotés de longs et touffus crins. On imagine la force physique, la lourde posture nécessaire au maniement. En levant les yeux, l’artiste apparaît filmé dans son atelier. Pieds nus et vêtu de noir, il tourne autour d’un immense papier posé au sol. Il trempe son énorme pinceau dans un énorme pot d’encre noire et embrasse le support d’une traite. La méthode relève de la performance. Et pourtant, lui seul médite en faisant. Lui seul se comprend en calligraphiant. 

Pour Inoue, l’art de l’écriture communément appelée calligraphie prend sens en caractère chinois. Plus tard, il y mêlera le syllabaire japonais. Sondant l’inexploré, le lien mystique entre signification et forme, il créé ses premières œuvres à partir d’un seul idéogramme. Alors il s’éprend de caractères à répéter à l’infini. Ai (Amour), Hana (Fleur) ou bien Hin (Dénuement). C’est le langage dans ce qu’il revêt d’essentiel, de primitif.

Yu-ichi Inoue, Jô (Haut), 1984, The National Museum of Modern Art, Kyoto, © UNAC TOKYO photo : Tokio Ito

Les formes abstraites jouent avec notre imagination. Les traces épaisses d’encre noir sur l’espace vide s’impriment en profondeur sans agressivité aucune. L’effet est reposant, puissant et calme tel un océan de tendresse. Parfois, le dessin s’invite parmi les signes posés verticalement. Une main, une chouette, une montagne. L’univers du conte, du haïku enfantin mais aussi le quotidien cocasse de l’artiste. Un biscuit posé sur la route ou une grenouille écrasée par une voiture ? 

Le parcours labyrinthique noie le visiteur au plus profond de la mer Inoue. Un nouveau cap  s’installe. L’artiste s’adresse à la société, s’indigne du modèle économique. Les formats se régularisent, les caractères se démultiplient et inondent l’espace, le saturent. Les tailles déterminent un rythme, les ratures traduisent la colère. C’est Augmentation des profits. Traduction sur le cartel. « Jusqu’au chant des grenouilles et au son de la cloche, tout est irradié par la pâle lueur de cette lune voilée par la brume. »

Dans un renfoncement, tout s’aggrave. C’est Ah Yokokawa Kokumin-gakkô (Ah ! l’école primaire de Yokokawa). Nous sommes le 10 mars 1945. Yu-ichi est de garde dans l’école primaire de Yokokawa. Les B-29 américains survolent Tokyo et commencent à bombarder. Peu à peu, la ville s’assombrit et plonge dans un océan de feu. Mille personnes courent alors se réfugier dans l’enceinte de l’école. Inoue est le seul survivant réveillé d’un coma. Il se souvient bien de cette nuit infernale. Les signes flottent et surviennent un à un. Les ratures saignent. Les cris des enfants fendent l’âme. L’insoutenable odeur de brûlé dégoûte.

Yu-ichi Inoue, Ah Yokokawa Kokumin-gakkô (Ah ! L’écoleprimaire de Yokokawa), 1978, The Museum of Modern Art, Gunma, © UNAC TOKYO photo : Tokio Ito

Au fil des murs, les formats se rapetissent, les couleurs même interviennent et l’outil change. Avec le crayon Conté, ce sont de doux poèmes introspectifs qui se dessinent. La fatigue mais l’envie robuste, Inoue brouillonne. On sent la fougue, le souffle du poète face à la fin du voyage. 

En 1978, une cirrhose du foi lui est diagnostiqué. Après son hospitalisation en mai 1979, Inoue se retire du groupe Bokujinkai. Dans l’impossibilité d’affronter le poids de ses pinceaux et l’énergie du grand format, il se retranche sur de plus petits papiers japonais. Et produit beaucoup, énormément. Même en épilogue, l’histoire ne finit pas. Il faut dire, continuer, transmettre.

Alors l’artiste puise son inspiration chez les moines bouddhistes et leurs œuvres testamentaires destinées à nourrir leur disciple. Une passation artistique et philosophique. Celles du XIV et XV° siècle le bouleversent. Il les recopie avant de livrer sa propre stance testamentaire. 

« Durant soixante-sept ans

Respectant un idéal de dénuement,

j’ai manié le pinceau.

Je souhaite maintenant connaître

la Vérité

Qui originellement n’est point 

dans la Loi » Yu-ichi Inoue.

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