Sexualité, liberté, chirurgie esthétique : des Iraniennes se confient en selfies

Elles ont entre 22 et 32 ans, vivent plus ou moins bien sous la loi de la République islamique d’Iran. Reprenant les codes visuels de Youtube, la websérie “Selfiraniennes” recueille la parole intime deonze femmes. Rencontre avec les réalisatrices.

Par Annabelle Chauvet

Publié le 26 juillet 2018 à 11h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h19

Un téléphone portable en mode selfie, est accroché sur un miroir. Face à lui, des jeunes Iraniennes se racontent dans leurs chambres ou leurs salles de bain à Téhéran. Elles ont entre 22 et 32 ans et, sur le ton d’une discussion entre copines, expriment leur vision de la beauté, leurs expériences sexuelles ou leurs désirs pour l’avenir. La websérie documentaire, co-produite par France TV Nouvelles Ecritures et inFocus, est en ligne depuis début juillet. Le dispositif fait étrangement écho aux vidéos d’Iraniennes défiant les règles imposées par le gouvernement inondent les réseaux sociaux. Une jeune femme, Maedeh Hojabri, a été arrêtée il y a quelques jours en Iran pour avoir posté sur Instagram une vidéo dans laquelle elle danse chez elle, sans voile. Or en Iran, le port de ce dernier est obligatoire dans l’espace public et celles qui se révoltent s’exposent à de lourdes peines (excuses publiques, coups de fouet, prison). Dans un pays où la liberté des femmes est balbutiante, les Françaises Charlie Dupiot, journaliste, et Ségolène Davin, vidéaste, accueillent, en six courts épisodes, la parole intime, joyeuse, parfois grave, de onze Iraniennes.

Quelle était votre ambition avec ce projet ?

Charlie Dupiot : Notre idée était d’entendre la pluralité des voix féminines, sans prétendre que nous allions représenter la totalité de l’Iran parce qu’évidemment c’est impossible. Nous avons essayé d’être fidèles à la diversité des témoignages recueillis et à la réalité qu’elle recouvre. Le défi était de mettre en confiance les femmes du même âge que nous, chez elles, et de discuter comme des amies le feraient. Pour cela, nous avons mis en place un dispositif vidéo simple, créant une atmosphère intime pour capter une parole authentique.

Ségolène Davin : Nous nous sommes efforcées d’être le plus objectives possibles, en laissant le spectateur seul juge. Le choix d’un habillage simple dans l’esprit des tutoriels sur Youtube s’est imposé.

C’est pour cette raison que vous avez choisi un format conçu pour les réseaux sociaux?

S. D. : Oui, les vidéos sont tournées en plan fixe, face caméra, comme si les Iraniennes les avaient elles-mêmes réalisé. Même si Facebook et Twitter sont officiellement interdits en Iran, tout le monde utilise ces sites et consulte ce type de contenus. Par exemple, Instagram, seul réseau autorisé, compte 25 millions d’abonnés iraniens. Elles connaissent donc bien les codes de ces plateformes.

C. D. : Les épisodes sont courts, faits pour être diffusés sur les réseaux sociaux. Ils s’adaptent au jeune public français que nous visons. En revanche, comme les vidéos sont géobloquées en France, selon une demande expresse de France TV pour des raisons de sécurité, les Iraniennes ne pourront pas les voir.

“Ce qui fait peur aux participantes, c’est leur famille plus que le gouvernement”

Les femmes se mettent-elles en danger en participant à Selfiraniennes ?

C. D. : En plus du géoblocage, nous avons pris des précautions. Les femmes ont utilisé des pseudos et nous avons essayé de donner le moins de détails sur elles. Plus que le gouvernement, qui ne légifère pas clairement la parole sur internet, ce qui fait peur aux participantes, c’est leur famille.

S.D. : Surtout celles issues de milieux traditionnels, où l’honneur et la réputation sont très importants.

C. D. : Elles craignent qu’un proche de leurs parents tombent sur les vidéos et leur disent « ah regarde ta fille parle de sexualité ». Elles sont tout à fait conscientes que quelqu’un puisse tomber sur les vidéos et des risques liés, mais elles étaient toutes très impliquées dans le projet.

Votre websérie est-elle politique ?

C. D. : Pour protéger les participantes mais aussi parce que c’était notre envie, nous ne voulions pas faire quelque chose de politique ou militant. D’ailleurs aucune des personnes interrogées n’est engagée politiquement.

S. D. : Notre objectif était de rapprocher les spectateurs de ces femmes plutôt que de faire un documentaire « exotique » sur les Iraniennes qui est soit dans le fantasme soit dans le drame, sur les dessous de la république islamique. Nous voulons juste montrer, grâce une approche authentique et simple, que grâce à internet, nous nous ressemblons tous. Nous partageons les mêmes usages des réseaux sociaux, les mêmes imaginaires, questionnements, mais aussi une ouverture sur le monde et une réflexion sur nous-mêmes. Notre souhait était de montrer cette proximité.

C. D. : Après les entretiens, les Iraniennes nous posaient les mêmes questions. Elles avaient aussi très envie de savoir comment nous nous maquillons, quelles sont nos expériences amoureuses, etc.

“Nous aimerions le décliner ailleurs, comme en Côte d’Ivoire ou en Inde, pour mieux comprendre le monde.”

Vous avez envie d’aller à la rencontre d’autres femmes ?

S. D. : Nous aimerions le faire aussi dans des régions occidentales, au Texas par exemple, pour nous confronter à nos paradoxes et à nos jugements.

C. D. : Ces femmes que nous avons rencontré se posent les mêmes interrogations que nous mais dans un contexte différent, et pour cette raison, nous aimerions le décliner ailleurs, comme en Côte d’Ivoire ou en Inde, pour mieux comprendre le monde. Elles ont répondu à nos questions avec leurs ressentis et leurs vécus, c’est éclairant pour les comprendre mais cela dit surtout des choses sur la société dans laquelle elles évoluent, notamment sur les contraintes sociales qui pèsent sur elles.

S. D. : En filmant dans leur salle de bain ou leur chambre, nous donnons l’impression au spectateur d’être vraiment dans l’intimité des femmes. C’est un espace peu accessible, surtout pour les hommes en Iran. Comme la parole n’est libre qu’à l’intérieur, on pourrait croire que c’est un lieu d’enfermement, or nous en faisons un lieu de prise de parole libre, de pouvoir.

 

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