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Geraint Thomas, le tour d’honneur de l’équipier

Le Gallois de 32 ans devait aider Chris Froome à gagner le Tour de France, mais il s’est révélé trop fort même pour son leader. La consécration d’un coureur humain avant tout, qui a accepté de vider un peu moins de pintes que quand il était jeune pour se hisser parmi les meilleurs

Geraint Thomas a gagné le Tour grâce à une régularité de métronome et sans jamais céder à un excès de confiance. — © Laurent Cipriani/AP
Geraint Thomas a gagné le Tour grâce à une régularité de métronome et sans jamais céder à un excès de confiance. — © Laurent Cipriani/AP

Dans un chapitre de son autobiographie parue en 2015 (The World of Cycling According to G), Geraint Thomas énumère les avantages inattendus qu’il existe à embrasser une carrière de cycliste professionnel. «G» y liste l’aptitude à remporter des courses de karting, grâce au choix instinctif des bonnes lignes; l’investissement financier minimal nécessaire pour se prendre une bonne cuite, «en raison d’une existence monastique une bonne partie de l’année»; le développement d’un sens de l’orientation implacable à force de longs entraînements dans des campagnes inconnues.

Et, aussi, l’apprentissage d’une capacité à endurer ce qui est pénible avec patience. «Peu importe le stress ressenti, tu peux toujours entendre dans ta tête la voix du psychologue de British Cycling Steve Peters. Peux-tu changer quelque chose à la situation actuelle? Oui? Alors fais-le. Non? Alors débrouille-toi pour vivre avec.»

Il y a trois semaines, Geraint Thomas a pris le départ du Tour de France comme lieutenant de Chris Froome. Mais, au fil des étapes, il s’est découvert les jambes d’un destin plus remarquable. Rentrer dans le rang en tenant la forme de sa vie, à 32 ans? Pénible. Dans sa tête, la voix de Steve Peters. Sa satanée question. Il a fini par répondre «oui». Oui, je peux changer quelque chose. Je peux gagner le Tour de France. Dimanche en fin d’après-midi, le Gallois a franchi la ligne d’arrivée sur les Champs-Elysées avec sur les tempes ses cheveux mal peignés et sur les épaules le maillot jaune.

Froome, rendez-vous manqué

Comme chaque année, la dernière étape de la Grande Boucle – 116 kilomètres entre Houilles et Paris – tenait davantage de la parade que de la course acharnée. Le contre-la-montre entre Saint-Pée-sur-Nivelle et Espelette avait dès samedi donné au classement général son allure quasi définitive. On pouvait y lire les performances un peu décevantes du Colombien Nairo Quintana (dixième) et du Français Romain Bardet (sixième). La confirmation de l’éclosion au premier plan de l’ancien sauteur à skis slovène Primoz Roglic, quatrième après avoir remporté le Tour de Romandie au printemps. Et puis, surtout, une passation de pouvoir au sein de l’équipe Sky, d’autant plus spectaculaire qu’elle était totalement inattendue. L’équipier a battu le leader.

Lire aussi notre interview de David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale: «Aujourd’hui, un cycliste peut gagner un grand tour en carburant à l’eau»

Ce Tour de France devait être celui de Chris Froome. Le Britannique roulait pour devenir, à 33 ans, le cinquième quintuple vainqueur de l’épreuve après Jacques Anquetil, Eddy Merckx, Bernard Hinault et Miguel Indurain. Il avait démontré son état de forme en s’imposant pour la première fois de sa carrière sur le Giro au mois de mai. Il avait fini par être blanchi par l’Union cycliste internationale dans l’affaire de son contrôle antidopage «anormal» sur la Vuelta 2017 juste à temps pour ne pas être déclaré persona non grata sur le Tour. Il disposait pour l’épauler de la formation la plus forte. Il ignorait que la menace venait de l’intérieur.

La route a décidé

Geraint Thomas n’a rien volé. Il a gagné la Grande Boucle grâce à une régularité de métronome et à deux exploits individuels consécutifs, un peu éclipsés par des événements annexes. Le mercredi 18 juillet, la France était encore obnubilée par le sacre des footballeurs bleus en Russie quand le Gallois rattrapait Tom Dumoulin dans l’ascension de La Rosière et lui faussait compagnie à un kilomètre de l’arrivée pour s’emparer du maillot jaune. Le lendemain, la grogne du public massé dans les virages de l’Alpe d’Huez poussait à son paroxysme la défiance à l’encontre de Chris Froome quand il remportait la bataille des favoris réunis aux avant-postes.

Même si l’euphorie de la Coupe du monde et la polémique de l’hostilité d’une partie des supporters ne retombent pas, les deux victoires en deux jours du lieutenant Thomas laissent une question ouverte sur les routes fermées du Tour de France: pour qui roule Sky? «Froomey» ou «G»? Les responsables de l’équipe se délectent d’avoir deux cartes à jouer. Les principaux intéressés chantent leur bonne entente et clament que «la route décidera». Pas un coup de com, la stricte réalité. La route a décidé lors de la 17e étape, avec la défaillance de Chris Froome dans l’ascension du col du Portet. Le mercredi 25 juillet au soir, tout le monde sait qu’à moins d’un gros couac, Geraint Thomas a gagné son premier Tour de France.

L’intéressé se prémunit de tout excès de confiance. «Je ne vais pas me laisser griser», dit-il. «Je ne vais pas changer d’approche mentale», répète-t-il au cas où le message n’était pas clair. Froide bête de compétition? Machine à rouler sans sentiments? Champion désincarné? Ce serait mal connaître l’animal. Les pages de sa bio, pas (encore) traduite en français, lèvent le voile sur un cycliste humain avant tout, qui manie l’humour pince-sans-rire et l’autodérision sans retenue.

Sacrifices nécessaires

Geraint Thomas, c’est un gars de Cardiff qui aime vider des pintes et regarder des matchs de rugby. C’est un fier Gallois qui se réjouit tous les quatre ans de pouvoir défendre les couleurs de son pays aux Jeux du Commonwealth et qui a le cœur gros d’y renoncer pour «risques sanitaires» en 2010 lorsqu’ils se déroulent en Inde. C’est un mari aimant doublé d’un businessman qui, après y avoir épousé Sara en 2015, décide de rénover la «Saint-Tendricks House» – belle propriété champêtre de Chepstow, pays de Galles – pour y organiser les noces des autres.

C’est aussi un gamin qui a tôt rêvé de devenir cycliste professionnel et qui, pour se hisser au plus haut niveau, a fait les sacrifices nécessaires. Vider un peu moins de pintes pour atteindre un poids compatible avec ses ambitions. Quitter son pays natal pour s’établir à Monaco où la vie est douce et les conditions d’entraînement idéales. S’éloigner régulièrement de Sara pour des camps d’entraînement et des compétitions. Samedi, lorsqu’il s’est rendu compte qu’elle était à l’arrivée du contre-la-montre, il a eu beaucoup de peine à contenir son émotion.

Double champion olympique

Comme Bradley Wiggins (vainqueur du Tour en 2012) avant lui, Geraint Thomas a commencé le vélo par la piste. Il a donné ses premiers coups de pédale au vélodrome de Maindy, à Cardiff, vers l’âge de 10 ans. Dès les compétitions espoirs, il se distingue avec plusieurs titres britanniques M14 et M16, et il confirmera ses prédispositions sur l’anneau en remportant deux titres de champion olympique en poursuites par équipes, avec la Grande-Bretagne (2008 et 2012). Dès 2013, il choisit de se consacrer exclusivement au cyclisme sur route.

Même si sa notoriété auprès du grand public était relativement limitée jusqu’à cet été et son triomphe sur la plus prestigieuse des épreuves, il compte déjà un palmarès riche de plusieurs résultats majeurs depuis 2007. Cette année-là, il passe professionnel au sein de l’équipe Barloworld, qui aura également révélé Chris Froome avant de disparaître fin 2009, et dispute la Grande Boucle pour la première fois. Il y prend l’avant-dernière place, à 3 heures, 46 minutes et 51 secondes du vainqueur Alberto Contador.

Geraint Thomas en dates

1986 Naissance à Cardiff, au pays de Galles.

1996 Premiers tours de vélodrome.

2007 Devient cycliste professionnel au sein de l’équipe Barloworld.

2010 Rejoint la nouvelle formation britannique Sky.

2012 Deuxième titre olympique sur piste (poursuite par équipes).

2018 Victoire sur le Tour de France.