C’est la troisième année consécutive que le ministère de l’éducation nationale mène sa campagne de communication « 100 % #colo ». Une campagne qui n’a pourtant pas le succès escompté, si l’on en croit les chiffres de fréquentation : en 2016, environ 800 000 enfants ont été accueillis dans des colonies de vacances contre plus d’un million en 2007. Ils étaient deux fois plus nombreux dans les années 1980.
Outre cette baisse de popularité des « colos », c’est une autre question qui agite les acteurs de l’accueil collectif des mineurs (ACM) : la privatisation du secteur et l’exclusion consécutive d’une partie de la population.
« Le modèle des colonies généralistes de la période 1960-1980, dans lesquelles on envoyait ses enfants pendant deux à quatre semaines l’été quel que soit son milieu social, a quasiment disparu. Or, celles-ci mélangeaient beaucoup plus les classes sociales, les âges et les sexes. A quelques exceptions près, la colo n’est plus ce lieu de brassage social des jeunes », juge Yves Raibaud, spécialiste de la géographie des discriminations et des loisirs des jeunes et coauteur d’un rapport collectif sur la question en 2016.
Les députés interpellés
En effet, parmi les trois types de colonies de vacances, celles organisées par les collectivités – en général le département – ou par des associations (plus de 90 % de l’offre totale) ont du plomb dans l’aile. Elles sont moins fréquentées donc doivent monter en gamme et engager des frais pour mener des actions commerciales.
Et les collectivités territoriales et les associations ont du mal à maintenir leurs offres compétitives : stagnation des subventions et mise en place de normes de plus en plus strictes imposées aux organisateurs (en matière d’accessibilité, d’hygiène, d’encadrement, etc.) font encore augmenter le coût des colonies.
Résultat, les enfants qui partent en colonies de vacances sont ceux dont les parents bénéficient d’aides, ou ceux des familles à hauts revenus, alors que le coût moyen d’une semaine en colonie oscille entre 400 et 600 euros en moyenne (et jusqu’à 2 000 euros dans le privé).
« Les organisateurs de séjours ont particulièrement souligné la responsabilité des caisses d’allocations familiales et, dans une moindre mesure, celle de la politique commerciale de la SNCF dans la baisse des aides directes et indirectes au départ en colonies depuis les années 1990 », soulignait le député socialiste Michel Ménard dans un rapport de 2013.
La Jeunesse au plein air (JPA), un organisme qui soutient financièrement les départs, a interpellé les députés sur ce qu’elle considère être une atteinte à la mixité sociale, le 21 juillet. « La dégradation du pouvoir d’achat des familles a rendu l’accès aux colonies de vacances plus difficile, notamment pour les enfants des familles à revenus moyens », analyse l’organisme, selon qui les familles de classe moyenne sont les plus touchées par cette évolution.
Segmentation concurrentielle
Progressivement investi par les entreprises privées, le marché des colonies de vacances a vu se multiplier les offres de séjours thématiques, ce qui participe à augmenter la segmentation. « Il existe une gamme large et variée de colonies, spécialisées par thème : sports, nature, sciences, arts… Cette spécialisation, qui est apparue à la fin des années 1980, a conduit à séparer les enfants, selon Yves Raibaud. Les colos sont entrées dans un champ concurrentiel où, pour capter les enfants, il faut surenchérir dans l’offre d’activités : équitation, orchestre, plongée sous-marine, astronomie… Caractéristiques des classes supérieures, ces activités de loisirs consacrent la séparation des publics et discriminent les enfants de milieux populaires. »
Le résultat d’une telle multiplication de l’offre est d’augmenter l’exclusion. Comme le décrit Jean-Michel Bocquet, doctorant en sciences de l’éducation et coauteur du rapport de 2016, ce qui prévaut aujourd’hui est « un modèle pédagogique et économique produisant de l’exclusion ».
Pour le chercheur, le premier élément est « le basculement des colos dans le domaine de la gestion hôtelière : on monte en gamme pour aller chercher des clients haut de gamme, ce qui augmente les investissements ». Une évolution qui va de pair avec « le fantasme du zéro risque, qui maintient un haut niveau de normes de sécurité, parfois inaccessible ».
Des centres de vacances sur Leboncoin.fr
Public et privé confondus, les séjours sont aussi très inégalement répartis sur le territoire : outre l’attrait touristique de certaines régions, ce sont souvent les départements les plus riches qui concentrent le plus de séjours en colonies de vacances.
« L’implantation d’acteurs commerciaux dans les départements riches, avec le soutien des collectivités locales, n’est pas due au hasard. Les publics fréquentant ces séjours sont très ciblés. Les séjours sont proposés à des tarifs élevés qui excluent les enfants des milieux modestes et des classes moyennes », décrit le rapport parlementaire de 2013.
Côté infrastructures, il ne reste aujourd’hui qu’un tiers du patrimoine des colonies publiques en fonction en Loire-Atlantique et en Vendée. La situation est encore plus dramatique dans les Alpes-Maritimes, qui n’ont gardé qu’un centre sur les cinquante qu’elles détenaient au début des années 1960.
En Savoie, le maire de Roissy-en-Brie a déclassé du domaine communal le chalet de Champagny-en-Vanoise, situé à côté de La Plagne et propriété de la ville depuis 1978. Il est en vente sur le site Leboncoin.fr pour plus d’un million d’euros.
Un choix politique
A l’image de nombreux connaisseurs du secteur, Bertrand Réau, du Centre européen de sociologie et de science politique (université Paris 1-Panthéon Sorbonne) estime que la mixité dans les vacances des enfants relève d’un « choix politique ».
La question n’est toutefois pas forcément bien intégrée par les pouvoirs publics. Le rapport du collectif, qui était censé évaluer le dispositif « Génération Camp Colo », a été refusé par le ministre de l’éducation de l’époque. « L’innovation est portée par des expérimentations ultra-locales, qui ne sont pas toujours repérées par les grands organisateurs, ni par le ministère qui ne fait plus que du contrôle, sans accompagnement. C’est ce qu’on a écrit dans notre rapport, et c’est ce qui ne leur a pas plu », justifie Jean-Michel Bocquet.
Interrogé par Le Monde, le ministère dont dépend désormais le sujet (la thématique jeunesse a été reprise par l’éducation nationale) n’a pas répondu à nos questions sur l’évolution éventuelle de dispositifs visant à réinjecter de la mixité.
Mise à jour jeudi 3 août 17 h : le ministère de l’éducation précise qu’un bilan du dispositif de 2016 sera réalisé par la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA). Par ailleurs, une pré-étude économique sur le secteur des colonies de vacances a été réalisée en 2016, qui n’est pas encore publiée. « Les préconisations avancées sont aujourd’hui à l’étude afin de proposer aux partenaires du secteur les outils permettant de développer une offre de séjour à la fois de qualité, tenant compte des mutations du secteur et viable économiquement pour les opérateurs », précise le ministère.
Dans le cadre de sa campagne, la JPA, elle, propose plusieurs pistes pour que les « colos » renouent avec le brassage social : elle milite pour que les parents puissent ouvrir un « compte épargne colos » qui ne serait pas soumis aux impôts, et sollicite, pour aider les familles qui en ont besoin, la création d’un « chèque colo ».
Elle reprend aussi la proposition du député socialiste Michel Ménard, qui appelait à la création d’un fonds national de solidarité, alimenté par une taxe sur l’hôtellerie de luxe et destiné à financer le départ d’enfants qui ne partent jamais en vacances. Selon l’Insee, chaque année, près de 3 millions d’enfants et adolescents, soit un quart des 6-18 ans, restent en effet chez eux lors des congés scolaires.
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