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L’aide au suicide frappe aux portes des prisons

Le cas d’un détenu de la prison de Bostadel à Menzingen, qui souhaite mettre fin à ses jours en faisant appel à Exit, place les autorités et les organisations d’aide au suicide devant des questions délicates

Alors que la population carcérale vieillit, la question pourrait se poser avec plus d’insistance à l’avenir: l’aide au suicide est-elle admissible en détention? — © Alessandro Della Bella/Keystone ©
Alors que la population carcérale vieillit, la question pourrait se poser avec plus d’insistance à l’avenir: l’aide au suicide est-elle admissible en détention? — © Alessandro Della Bella/Keystone ©

Hans*, détenu depuis 24 ans dans la prison de Bostadel à Menzingen, souhaite faire appel à Exit. «Ma vie a perdu toute valeur», explique-t-il dans une lettre datée du 9 juillet, adressée à l’organisation d’aide au suicide alémanique. L’homme a été condamné par la justice bernoise il y a un quart de siècle pour de multiples violences et délits sexuels.

Il fait l’objet d’un internement, une mesure sécuritaire prononcée pour des détenus jugés particulièrement dangereux pour la société. Sa demande place Exit devant une décision délicate. Si l’organisation d’aide au suicide entrait en matière, ce pourrait être la première fois en Suisse que les autorités auront à se prononcer sur l’aide au suicide en milieu carcéral.

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Trois raisons de mourir

Dans sa lettre à Exit, le détenu avance trois raisons pour lesquelles il souhaite mettre fin à son existence. Son état corporel, d’abord. Souffrant d’une atteinte sévère des poumons et d’arthrose, il a vu son état physique se détériorer. Il mentionne aussi le «trouble psychique» lourd et incurable que lui ont diagnostiqué les psychiatres. «La perte de qualité de vie a depuis longtemps dépassé le supportable», écrit-il.

Enfin, il dénonce ce qu’il considère comme une «torture psychique permanente» depuis 2012 de la part des autorités cantonales bernoises chargées de l’exécution des peines et des mesures. Depuis 2012, ses demandes de sorties accompagnées pour rendre visite à sa maman, octogénaire résidant en Autriche, n’essuient que des refus. «Me priver de toute perspective d’amélioration de ma situation représente une forme de torture», dit-il.

Un cas romand

«Nous prenons votre demande très au sérieux, mais votre statut nous place devant des circonstances qui nécessitent davantage d’approfondissement», écrit l’organisation alémanique le 18 juillet dans sa réponse à Hans*, lui promettant des nouvelles «au plus tard fin août». Exit ne s’exprime pas davantage sur des cas particuliers et n’indique pas non plus si elle a déjà reçu des demandes similaires par le passé, ni selon quels critères elle prendra position.

Exit Suisse romande, de son côté, n’a connaissance que d’une demande similaire. Le 14 novembre 2016, l’organisation recevait une lettre d’un octogénaire détenu à la prison de Brénaz. Il réclamait des «documents» sur le droit au suicide. «Vu mon âge et le nombre d’années après ma condamnation, je préfère mourir», avait-il ajouté, sans davantage d’explications. L’affaire s’est arrêtée là: l’organisation d’aide au suicide lui a répondu ne pas pouvoir entrer en matière.

Hans*, lui, est membre d’Exit depuis deux ans, souligne Peter Zimmermann, de l’association Reform 91, qui soutient le détenu dans ses démarches. «Il a toute sa tête et il est capable d’argumenter. C’est son corps qui ne suit plus. Il y a de nombreux suicides en prison. Sa démarche est plus honnête que de se mettre un sac en plastique sur la tête.» Hans* se bat depuis plusieurs années pour lever son interdiction de sortir. Et si le détenu cherchait de cette façon à instrumentaliser l’aide au suicide, pour infléchir la décision de la justice sur ses demandes de sortie? «Non, je ne le crois pas, répond Peter Zimmermann. Hans* va extrêmement mal. C’est la raison de sa demande.»

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«Comparable à une peine de mort»

La loi reconnaît un certain nombre de droits en prison, comme ceux de se marier ou d’avoir des enfants. Rien en revanche n’indique comment traiter la demande d’un prisonnier qui souhaite mourir. De manière générale, le Code pénal admet l’assistance au suicide – le fait de fournir à une personne le moyen de mettre fin à ses jours – à condition qu’elle ne réponde à aucun mobile égoïste. La personne mourante ou atteinte d’une maladie incurable doit être capable de discernement, exprimer un désir de suicide «réfléchi et persistant» et pouvoir elle-même absorber la solution létale.

Alors que la population carcérale vieillit, la question pourrait se poser avec plus d’insistance à l’avenir: l’aide au suicide est-elle admissible en détention? Oui, répond André Kuhn, professeur de droit pénal à Lausanne. Une personne enfermée doit pouvoir bénéficier des mêmes droits qu’une personne libre, mais «à condition que les motifs soient liés à une maladie ou une grande souffrance.»

La situation est tout autre si les raisons de la demande d’aide au suicide sont liées à l’incarcération, précise le spécialiste: «Dans ce cas, tolérer le suicide reviendrait à accepter que la sanction pénale conduise à la mort. Cela s’apparente à une peine de mort.» Il en va de même pour la grève de la faim, ajoute André Kuhn: «L’Etat ne peut laisser mourir, car il est responsable de la situation qui déclenche la réaction du détenu. Et il a les moyens d’y mettre fin.»

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Une évasion?

Le vice-président d’Exit Suisse romande, Pierre Beck, n’exclut pas la possibilité d’intervenir en prison, mais il appelle de ses vœux la création d’un cadre légal pour ce type d’accompagnement. Comme c’est actuellement le cas pour ceux qui se produisent dans les hôpitaux ou les EMS, prévus par les lois cantonales vaudoise, neuchâteloise, et désormais aussi genevoise.

«Nous pourrions imaginer un système similaire, avec l’intervention d’un conseil d’éthique clinique pour évaluer chaque cas», souligne Pierre Beck. Toutefois, le médecin ne cache pas sa réserve à l’idée de franchir le seuil des prisons. Le contexte carcéral soulève des questions qui ne se posent pas dans le cas d’accompagnement de personnes libres, dit-il: «Certains détenus pourraient vouloir écourter leur peine. Accorder le droit de mourir en prison pourrait dans ce cas être vu comme une possibilité d’évasion.»

Le conseiller d’Etat zougois Beat Villiger souhaite lui aussi y voir plus clair: «Dans le cas de cette personne, très malade, qui a purgé sa peine et reste en prison en raison de mesures sécuritaires, je suis plutôt libéral. Nous devons évaluer cette situation.» L’élu PDC compte amener la question de l’aide au suicide dans les prisons en automne au sein de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de justice et police, dont il est vice-président.

* Prénom fictif.