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L’eau sur Mars, une épopée légendaire et scientifique

La semaine dernière, des scientifiques italiens ont annoncé avoir découvert un lac souterrain sur Mars. Entre mythes et controverse scientifique, la quête d’eau sur la planète passionne depuis 150 ans

Vue d'artiste de la surface martienne il y a plusieurs milliards d'années, selon les données géologiques récoltées par le Mars Orbiter Laser Altimeter (MOLA) — © dr
Vue d'artiste de la surface martienne il y a plusieurs milliards d'années, selon les données géologiques récoltées par le Mars Orbiter Laser Altimeter (MOLA) — © dr

L’eau n’est pas forcément synonyme de vie. Mais la vie est forcément synonyme d’eau. Forts de ce constat, les scientifiques poursuivent depuis plus d’un siècle la quête d’or bleu sur la planète rouge. Une épopée où se mêlent mythes, légende et controverse scientifique.

Lire aussi le post de blog : Un petit peu d’eau liquide sous la calotte polaire australe de Mars

Des canaux légendaires

Une planète rouge recouverte de vastes océans. C’est ainsi que les observateurs du XIXe siècle voyaient Mars, interprétant les zones foncées de la planète (encore dénommées «océans») comme autant de mers. Cette conception va se développer et, à cause d’une traduction malheureuse, donner naissance à un ensemble de théories fantaisistes.

Pendant la grande opposition (période pendant laquelle Mars est particulièrement proche de la Terre) de 1877, Giovanni Virginio Schiaparelli, directeur de l’Observatoire de Milan, remarque de longues lignes noires qui relient entre eux les supposés océans. Il les cartographie en détail et leur donne le nom de canali, qui signifie «bras de mer» en italien. Cependant, l’appellation est rapidement traduite par «canaux», glissement malheureux qui ouvre la porte à de nombreux mythes spéculant sur la vie martienne.

La science des canaux est loufoque et honteuse pour l’humanité. Finalement, cet épisode pseudo-scientifique est plus intéressant du point de vue sociologique que scientifique

Georges Meylan, professeur de cosmologie à l’EPFL

C’est tout d’abord l’astronome américain William Pickering qui s’empare de ces supposés canaux extraterrestres. Il est convaincu de leur existence mais observe une anomalie: il semblerait que les canaux traversent les océans. Une absurdité. Il détermine donc qu’il ne s’agit pas d’océans mais de forêts. Ensuite, Percival Lowell, autre astronome américain, s’engouffre dans la brèche et affirme que ces canaux sont construits par les Martiens pour irriguer de grandes zones sèches rongées par une désertification rampante. Drôle de parallèle avec une autre planète, actuellement…

Au début du XXe siècle, d’autres astronomes réfutent ces théories et affirment ne rien voir qui ressemble de près ou de loin à des canaux. On convoque alors une toute nouvelle technologie afin de trancher la question: la photographie. Cependant, les appareils précurseurs pointés vers Mars nécessitent des temps de pose de plusieurs heures et donnent des clichés flous. On y voit bien de vagues traits (en fait de simples alignements de grains sur les clichés), mais pas les nettes lignes noires décrites par Lowell. Défenseurs et opposants aux canaux martiens continuent donc de s’écharper. Toujours est-il que le Wall Street Journal y voit une preuve de la vie sur Mars et fait de la découverte un des événements extraordinaires de l’année 1907.

Toute une communauté de penseurs, menée par Camille Flammarion, imaginent en outre la société qui vit sur Mars. «La science des canaux est loufoque et honteuse pour l’humanité, estime Georges Meylan, professeur de cosmologie à l’EPFL. Finalement, cet épisode pseudo-scientifique est plus intéressant du point de vue sociologique que scientifique.»

Premières sondes, premières déceptions

Au cours du XXe siècle, les télescopes se font plus gros et mettent fin aux rumeurs d’océans et de canalisations sur Mars. Il faudra toutefois attendre les années 1960 et les premières sondes pour obtenir des clichés de la surface martienne. Le 15 juillet 1965, la sonde Mariner 4, lancée par la NASA pour l’observation interplanétaire, passe à 9846 km de Mars. Elle en rapporte les premiers clichés rapprochés de la planète, mais aussi les premières déceptions. La surface s’avère désertique, parcourue de cratères et sans aucune trace d’eau.

Mariner 9, en 1971, devient la première sonde à se mettre en orbite autour de Mars. Elle en cartographie 70% de la surface et redonne de l’espoir aux scientifiques. La surface semble porter les traces d’une présence massive d’eau dans le passé. D’anciens lacs, deltas et vallées alluviales constellent la planète, pensent les scientifiques, sans en avoir de preuve formelle. Quelques années plus tard, Viking 1 et 2, les deux premiers modules d’atterrissage touchant la surface martienne, récoltent de nombreuses données permettant de comprendre l’atmosphère martienne, mais aucune certitude quant à la présence d’eau actuelle ou passée. Cette déconvenue, combinée aux échecs de grands projets américains et russes dans les années 1980, sape les ambitions martiennes des agences spatiales, qui préfèrent se concentrer sur d’autres missions.

En 2003, la NASA lance les Mars Exploration Rovers (MER) Spirit et Opportunity à la recherche de traces d’eau. Les deux petits robots font une analyse minéralogique et permettent de confirmer que des roches ont été hydratées. C’est la première preuve formelle de la présence antérieure d’eau sur Mars. En 2008, un atterrisseur construit à partir des restes d’un ancien engin spatial se pose sur une calotte glaciaire. Le bien nommé Phoenix devient le premier engin à récolter de la glace d’eau martienne. C’est officiel, il y a bien eu de l’eau en masse à la surface de Mars. Selon les mesures atmosphériques, elle remonte à au moins 4,5 milliards d’années.

© NASA/JPL-Caltech
© NASA/JPL-Caltech

Espoirs déçus d’écoulements

En raison de la température et de la pression à la surface de Mars, il est impossible que de l’eau liquide stagne à sa surface de manière continue. Toutefois, des expériences montrent qu’en conditions favorables, elle peut théoriquement s’écouler momentanément avant de se sublimer dans l’atmosphère. A partir d’images de sondes, la recherche s’active dès la fin des années 2000 à trouver des traces de tels phénomènes.

Lire aussi : De l’eau liquide repérée sur les pentes martiennes

Le déclic vient d’un étudiant de premier cycle à l’Université de l’Arizona, en 2010. Alors qu’il étudie des images rapportées par la sonde Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) de la NASA, il repère par hasard d’étranges traînées sombres sur les parois de volcans. L’équipe de MRO analyse le cas et conclut en 2015 qu’il ne peut s’agir que d’eau. Mais en 2018, une étude prouve qu’il s’agit en fait d’avalanches de sables provoquées par du gaz interstitiel qui déstabilise les graviers. Même l’équipe de MRO conclut que ce ne pouvait être de l’eau.

© NASA/JPL-Caltech
© NASA/JPL-Caltech

Dernier espoir: les lacs souterrains

Ces dernières années, les espoirs de trouver de l’eau liquide se sont concentrés sur le sous-sol martien, où les conditions de pression et de température sont plus favorables. Le 25 juillet 2018, des chercheurs italiens, se basant sur les données du radar MARSIS, annoncent finalement la nouvelle tant attendue: de l’eau liquide se trouve sous la surface de Mars. Une nouvelle qui reste toutefois à confirmer à l’aide d’un autre instrument. Il s’agit d’un cas particulier: cette masse d’eau est due à la pression engendrée par la grande masse de glace au-dessus d'elle. Sous son propre poids, la glace se mue en eau. De plus, cette eau ne peut qu’être très salée pour exister, ce qui réduit les chances d’y trouver une forme de vie.

© ESA/NASA/JPL/ASI/Univ. Rome
© ESA/NASA/JPL/ASI/Univ. Rome

«On exagère toujours un peu les découvertes», estime Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland. Selon lui, on pourrait cependant trouver dans ce lac des molécules prébiotiques: «Le but n’est plus tant de montrer une seconde ligne de vie mais de mieux comprendre la longue ligne qui mène à la vie.»