Transition alimentaire : le temps des actes

Transition alimentaire : le temps des actes

La terre offre à l’homme dans l’harmonie des trois règnes un spectacle plein de vie, d’intérêt et de charmes, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son cœur ne se lassent jamais [1].

Les trois règnes dont le promeneur Rousseau célèbre l’épanouissement – animal, végétal et minéral – sont aujourd’hui incontestablement en péril. Nul besoin d’être scientifique pour en attester, puisque ce phénomène s’impose désormais visuellement. En flammes, craquelée, fondante, asséchée, la terre intensifie ses signaux.

Le règne animal subit une irrémédiable extinction : 32 % des espèces de vertébrés sont en déclin, 80 % des insectes volatiles ont disparu en un siècle. On parle d’une sixième extinction de masse, alors que la surface sur laquelle ces animaux évoluent s’est réduite de plus de trois quarts. Les règnes végétal et minéral sont aussi menacés : 75% des terres du globe sont irrémédiablement dégradées – ce sera 90% d’entre elles d’ici 2050[2].

Dans ce contexte, c’est bien l’avenir de la terre et - par voie de conséquence – des hommes qui la peuplent qui est en question. La raréfaction des ressources animales et végétales se double de dérèglements climatiques déstabilisateurs. Et 800 millions d’êtres humains sont aujourd’hui dans une situation de sous-alimentation. En 2050, la population mondiale sera de près de 10 milliards d’habitants. L’effet ciseaux est puissant : moins de ressources pour une population dont la croissance galopante explique aujourd’hui la résurgence de débats malthusiens.

Alors que les Etats peinent à offrir une réponse coordonnée et suffisamment puissante pour assurer la réversibilité de ces inexorables tendances, c’est plus que jamais à la société civile de prendre ses responsabilités et notamment aux entreprises qui contribuent à cet écosystème d’agir à leur échelle pour la protection de la planète. 

Car de la survie des trois règnes dépend notre destin. La transformation de notre modèle alimentaire est assurément au cœur de ce défi. En maîtrisant mieux la chaîne allant de la production à la consommation, pour cesser de gâcher 1,3 milliards de tonnes par an. En repensant notre alimentation, ensuite, pour réduire son impact environnemental et améliorer le bien-être animal. En adaptant le modèle économique, pour que la production redevienne rémunératrice pour ceux qui l’assument. Et en nous protégeant, enfin, des risques pour notre santé.

Ces défis sont ceux de la transition alimentaire. Un mouvement irrépressible qui percute l’ensemble des acquis industriels, commerciaux et sociétaux inhérents à notre alimentation. Brillat-Savarin, prophète du goût des Lumières, ne se trompait pas : la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.

Cette vérité nous oblige. Notre responsabilité sociétale est engagée. Pour l’honorer, Carrefour porte de son côté une ambition : celle de devenir le leader mondial de la transition alimentaire pour tous. Notre entreprise, au contact de millions de clients chaque jour partout dans le monde, en a les moyens.

Nous ne sommes pas les seuls à vouloir contribuer, et je me félicite qu’une grande partie de notre secteur se mette désormais en ordre de marche.

Pour notre part, nous agissons chez Carrefour sur plusieurs fronts.

Celui de la traçabilité, socle indispensable pour garantir à nos clients que nous mettons tout en œuvre pour préserver leur santé, en étant les premiers à avoir recours à la blockchain afin de fiabiliser l’ensemble de la chaîne de production et de faciliter les rappels de produits en cas de crises.

Nous améliorons la qualité de nos produits, filière par filière, produit par produit, notamment en supprimant les substances controversées, en développant massivement le bio français, en élargissant nos gammes de produits sains, sans gluten, veggie. Nous lançons d’ailleurs très prochainement un programme mondial sur ces thèmes. 

Car notre engagement ne peut pas être une abstraction, encore moins une posture de communication. Nous ne pouvons vivre ici-bas que du pain des actes, pas de beau langage.

Tout notre secteur est aujourd’hui appelé à la responsabilité, pour une plus juste répartition de la valeur avec les producteurs.

Nous devons sortir de l’ambiguïté, en résolvant l’équation impossible des deux aspirations profondes de nos clients : des prix toujours plus attractifs ; et de l’autre côté, une volonté d’assurer aux agriculteurs une rémunération plus juste. À nous de concilier ces deux exigences, en sortant d’un modèle où les prix cassés et les promotions folles sont des coûts de canifs pour le monde agricole.

Les Etats généraux de l’alimentation, en repartant des coûts de production, sont une première étape, et la démultiplication des marques producteurs et la transparence accrue sur la chaîne de valeur, à l’image du succès de « C’est qui le Patron », doivent être poursuivies.

Enfin, pour influencer le cours du monde, la transition alimentaire ne doit pas être celle d’une élite. La transformation doit toucher toutes les assiettes : nous devons convaincre le plus grand nombre, partout où nous sommes en contact avec nos clients.

Le constat ne serait pas complet s’il ne traitait pas de l’utilisation de nos ressources : nous devons accroître la part des emballages durables, c’est évident. Mais l’enjeu est beaucoup plus grand : c’est celui de concevoir l’après plastique. Pour cette bataille aussi, nous devons agir tous ensemble, PME, producteurs, distributeurs et ONG.

Cette croisade ne se mène pas en solitaire et nous devons inventer de nouvelles formes de collaborations. C’est pourquoi nous annoncerons cette semaine la composition de notre Comité d’orientation alimentaire, qui rassemble des experts indépendants – scientifique, responsable d’ONG, économiste, industriel, producteur ou encore chefs cuisinier, à la croisée de tous ces enjeux. Ils ont pour mission de nous engager à être toujours plus ambitieux, à dépasser l’horizon de temps d’une entreprise. 

Car le temps nous est compté, et Carrefour entend être de ceux qui relèveront le grand défi de notre siècle.

Alexandre Bompard

[1] Jean-Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, Septième promenade.

[2] Atlas mondial de désertification, Commission Européenne, Juin 2018.8.

Alexandre Bompard secoue les puces du groupe Carrefour depuis quelques temps. Améliorer les marges des producteurs, réduire les emballages, améliorer la qualité des produits et la traçabilité : c'est très bien.  Mais ça reste dans le schéma de distribution actuel. Une VRAIE transition permettrait de s'adapter aux contraintes à venir (peak oil, peak everything, pollution, changements climatiques) et nécessiterait de relocaliser la production et de distribuer principalement des produits locaux. Et pour ce faire, il faudrait ouvrir des centaines de points de vente de taille limitée (Carrefour Contact) dans des communes qui en sont dépourvues, mettre en place les filières courtes qui vont bien et d'encourager l'installation de producteurs locaux avec des pratiques durables (semis direct, agroforesterie, maraîchage intensif en permaculture). Il faudrait probablement à terme basculer progressivement le réseau de distribution des hypermarchés à des magasins plus petits. Ce serait un projet passionnant, qui permettrait peut être à Carrefour de survivre aux périodes agitées qui se profilent à l'horizon, mais il relève autant de l'aménagement du territoire et du changement des pratiques agricoles que d'une politique d'un distributeur, fut il aussi puissant que le groupe Carrefour.

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Fabien Jean

enseignant chez Education Nationale

5y

C'est une plaisanterie ! Le seul objectif de Carrefour c'est de faire de l'argent quelque soit le moyen. Ou alors on attend des actes : supprimer 80% de ce qu'ils vendent pour réellement sauver l’humanité. Car la plupart de ce qui est vendu ne sert à rien : rayon cosmétique, produit chimiques en tout genre, viande (et oui, le corps n'en a pas besoin, juste des protéines que l'on trouve dans les végétaux), aliments transformés, ... La grande distribution ne comprend pas ce qui se passe car les gens achètent moins et en parallèle, les ventes de vinaigre ménagé et bicarbonate de soude explosent ! Les gens qui y travaillent sont d'autre part confrontés à des phénomènes de dissonance cognitive : je fais des choses que mon manager me pousse à faire parce que les actionnaires n'en ont jamais assez et je sais que c'est pas bien pour la planète et mes enfants que je rentre élever le soir en leur disant de ne pas trop consommer ni de boire du coca !!! Je ne peux que vous suggérer d'explorer dans votre navigateur favori les termes d'effondrement de civilisation et de pic pétrolier ainsi que les auteurs : Pablo Servigne, Jean Marc Jancovici et Emmanuel Prado entre autres pour bien comprendre de quoi il s'agit. Mais en fait, je suis sur que vous connaissez déjà !  Et c'est ça qui fait vraiment flipper les actionnaires. Moi aussi en fait.

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Patrick Puel

Product Marketing Manager @ SLIB | Innovation@ESCP Business School certification

5y

Alexandre, nous travaillons à construire, avec des acteurs responsables comme vous, une plateforme commune de valorisation du travail des agriculteurs qui allie traçabilité, experience client, promotion des circuits courts, ... Seriez-vous prêt à ouvrir votre réflexion pour défendre l'intérêt de la filière et proposer une vraie démarche militante qui profitait aux producteurs, aux distributeus et au consomateur au final ? Bravo pour votre article qui est on ne peut plus représentatif de la situation.

Marie-Frederique Ruyant

Rédactrice -Assistante de rédaction

5y

On ne peut que se réjouir et encourager ce type de décision qui est une nécessité absolue. Pourvu effectivement que cela ne reste pas au stade de l'annonce. Et que chacun puisse, à son échelle, participer à ce defi

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