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MAROC

Déplacés de force, le périple de migrants subsahariens dans le sud du Maroc

Des migrants subsahariens déplacés vers le sud du Maroc. Photos de nos Observateurs.
Des migrants subsahariens déplacés vers le sud du Maroc. Photos de nos Observateurs.
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Pour lutter contre l’immigration illégale vers l’Europe, des centaines de migrants subsahariens ont été déplacés de force du nord au sud du Maroc. Plusieurs d'entre eux nous ont raconté leur périple.

Depuis le début du mois d’août 2018, les autorités marocaines mènent des “éloignements de migrants clandestins”. Le but : éviter qu’ils ne traversent la frontière espagnole à partir de Tanger. Selon les autorités, ils sont plus de 1 700 à avoir été déplacés de force vers le sud du pays.

En 2014, le royaume avait lancé une vaste politique de régularisation des migrants illégaux sur le sol marocain. Mais, depuis juin 2018, les passages maritimes clandestins sur le détroit de Gibraltar se sont intensifiés. Car depuis le durcissement de la politique migratoire de l'Italie en Méditerranée, le couloir Maroc-Espagne a redoublé d’activité.

Près de 23 000 migrants sont arrivés entre janvier et août par la mer Méditerranée en Espagne, selon le dernier bilan de l'Organisation internationale pour les migrants. Ces dernières semaines, plusieurs centaines de migrants avaient réussi à entrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Selon les témoignages de nos Observateurs et d'associations sur place, les autorités ne font pas de distinction entre les migrants en règle et ceux qui ne le sont pas lorsqu'ils les déplacent de force vers le sud du pays. 

“Les forces auxiliaires ont dit qu’il s’agissait d’un simple contrôle de routine”

Omar Y. (pseudonyme) est malien. Cela fait trois ans qu’il réside au Maroc. Depuis deux ans, il possède un titre de séjour, lui permettant de travailler légalement sur des chantiers. Mais le 12 août dernier, à cinq heures du matin, alors qu'il dormait dans son domicile tangérois, la police est arrivée. Il raconte son arrestation :

 

Lorsqu’ils ont toqué à ma porte, les forces auxiliaires [forces d’appui militaire à la police marocaine, NDLR] ont dit qu’il s’agissait d’un simple contrôle de routine. Avec les autres locataires, nous n'avons pas tout de suite ouvert, par panique. Mais ils ont continué à frapper, jusqu’à enfoncer la porte.

Rondes des convois des forces auxiliaires marocaines, dans la région de Nador, le 17 août 2018. Photos de l'association l'AMDH-Nador.

 

Une fois dans l’appartement, ils ont tout pris : titre de séjour, argent, mêmes nos téléviseurs ! En arrivant au commissariat, les policiers ont vidé nos poches, pris nos empreintes puis nous ont embarqués par convois. D’autres migrants qui avaient été arrêtés dans d’autres quartiers nous y attendaient. Nous étions une vingtaine par bus.”

Selon les autorités marocaines, ces opérations ont pour objectif de “lutter contre les réseaux de trafic humain” et de “déplacer ces migrants dans des villes où les conditions de vie sont meilleures”. Mais selon les témoins, lors de ces arrestations, les policiers ne dressent aucun procès-verbal pouvant comporter l'ensemble des objets saisis (argent, téléphones...).

Comme le montrent ces photos, prises par nos Observateurs, les biens des migrants sont jetés à la rue, laissant libre court aux pillages.

Pillages des appartements habités par les migrants dans les quartiers de Mesnana et Branès, à Tanger. Photos obtenues par l'association l'AMDH-Nador.

 

Dans le convoi, les migrants étaient menottés par deux. Nous avons essayé de comprendre le motif de nos arrestations vu que nous étions en règle. Mais ils ont refusé de nous expliquer et les choses se sont corsées. Au bout de quelques minutes, j’ai eu une crise de panique et j’ai tenté de sortir du bus. Le conducteur a répondu en m’assénant un coup au ventre."

“S’enfuir pour éviter d’être piégé"

Des migrants menottés par deux dans un bus en direction du sud du Maroc. Photos de notre Observateur.

 

À l’intérieur du bus, j’ai réussi à enlever une main de mes menottes et nous avons discuté avec d’autres migrants. On voulait faire en sorte que le bus s’arrête pour qu’on puisse s’échapper. Il y avait à l’intérieur du groupe un malien et un sénégalais qui avaient réussi à se détacher de leurs menottes. Les fenêtres ayant été remplacées par des plaquettes en bois, ils ont décidé de taper dessus avec leurs pieds. Le bois a cédé, ils ont sauté par la fenêtre, et ont atterri sur le goudron."

“Ils m’ont déposé au milieu de nulle part”

 

J’ai crié pour que le conducteur s’arrête car les deux hommes étaient dans un état lamentable. Le chauffeur a fini par se garer, très loin derrière les corps. Des touristes européens passaient en voiture et filmaient. Les jeunes hommes ont fini par succomber à leurs blessures. La gendarmerie semblait paniquée. Deux morts sur une autoroute, visiblement pas marocains, près d’un convoi policier : le calcul peut vite être fait. Avec les autres migrants, nous avons saisi l’occasion pour fuir, pour éviter d’être piégés. Nous avons commencé à courir dans la forêt, des heures et des heures."

Captures d'écran de vidéos prises par des migrants et des touristes, présents lors de la mort de deux migrants, le 12 août 2018, près d'Oujda.

 

Au bout de cinq heures de périple, nous sommes arrivés à Rabat. Mais une fois à la gare, la police nous attendait. Ils nous ont menottés et attachés aux sièges des bus pour éviter que ces menottes ne cèdent comme les précédentes, et à partir d’Oujda, ils ont commencé à nous faire sortir par deux, nous disséminant en plein milieu de nulle part. Heureusement que j’avais caché de l’argent dans mes chaussures. Cela m’a permis de retourner à Tanger.”

“Dans le convoi, il y avait dix policiers pour 25 civils”

Boubakar B. (pseudonyme) est d’origine ivoirienne. Il avait déposé sa demande d’asile, mais le 9 août, il a été arrêté au petit matin et reconduit au sud du pays.

 

Dans le convoi, il y avait dix policiers pour 25 civils. Les mains liés, j’ai demandé où l’on se rendait. Ils m’ont dit Rabat. Nous avons supplié les gendarmes de venir en aide à une des femmes qui était enceinte, qu’elle ne pouvait pas subir un voyage comme ça. Finalement ils ne se sont pas arrêtés à Rabat et nous sommes passés par Marrakech, puis Agadir. Avant même d’arriver à Tiznit, ils ont ouvert le convoi et nous ont lâché au milieu de nulle part, en pleine chaleur. Nous sommes arrivés à Tiznit à six heures du matin, alors qu’on avait quitté Tanger à midi, la veille.”

“Nous vivons aujourd’hui dans la peur”

Tous ne peuvent pas espérer revenir à Tanger. Faute de moyens, la plupart de ces migrants doivent s’installer dans le sud du royaume.

Abu H. (pseudonyme) est guinéen. Venu à Tanger avec un visa touriste, cela fait presque trois semaines qu’il est au Maroc. Ce lundi 13, il a été réveillé à quatre heures du matin avant d’être conduit dans le sud du pays. N’ayant pas les moyens de retenter une traversée du pays, il s’est installé aux alentours de Tiznit.

 

Ils nous ont déposé à 30 km de Tiznit, au beau milieu de nulle part. Aujourd’hui nous dormons dans la forêt, dans la crainte de nouvelles expulsions plus au sud encore. Nous recevons régulièrement la visite de locaux ou policiers qui nous précisent que nous ne sommes pas censés rester éternellement sur les lieux. Nous comptons donc sur l’aide de certaines associations pour nous nourrir. Nous sommes devenus des illégaux alors même que nous étions en règle, et nous ne pouvons rien faire à cela. Nous vivons dans la peur.”

Réfugiés dans les forêts près de Tiznit, au sud du royaume, des migrants construisent des campements de fortune, régulièrement détruits par les gendarmes locaux.

Des migrants, dormant dans les rues de Tanger. Photos de nos Observateurs.

Contactés par la rédaction des Observateurs de France 24, les gendarmeries de Tanger et Nador n’ont pas donné suite à nos questions. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.

“Le rôle du Maroc est celui de gendarme”

Omar Naji est président de l’AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) à Nador. Selon lui, les migrants sont victimes d’une traque.

 

Les refoulements se sont automatisés. Régularisés ou non, les migrants sont déplacés, sans aucune possibilité de déposer plainte ou répliquer. C’est une politique arbitraire clairement destinée à montrer aux pays européens que le Maroc assure son rôle de gendarme. C’est assez paradoxal, car en parallèle, les autorités ferment les yeux sur les grands trafiquants et passeurs qui servent de plaque tournante à l’immigration clandestine à partir de Nador.”

Article écrit par Kenza Safi-Eddine

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