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Politique

François Baroin : "Macron a donné les pleins pouvoirs à la haute administration"

INTERVIEW - François Baroin, le président (LR) de l'Association des maires de France (AMF), dénonce des décisions budgétaires "exclusivement comptables".

Hervé Gattegno etChristine Ollivier , Mis à jour le
François Baroin (Les Républicains), président de l'Association des maires de France, ici en mai dernier.
François Baroin (Les Républicains), président de l'Association des maires de France, ici en mai dernier. © Sipa Press

Pour François Baroin , "il y a un vrai problème de méthode et d'écoute" au plus haut niveau de l'Etat. Dans une interview au JDD, le président de l'Association des maires de France - qui n'avait plus accordé de grand entretien depuis la fin 2017 - dénonce en premier lieu les seules "préoccupations comptables" qui "animent la technostructure" actuelle. "Ce qu'Emmanuel Macron fait, "c’est donner les pleins pouvoirs à la haute administration, notamment des finances, sans filtre politique", affirme le maire de Troyes (Les Républicains). L'ancien ministre de l'Economie revient aussi sur le prélèvement à la source : "Cela donne un sentiment d'impréparation très préoccupant."

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Comment expliquez-vous les difficultés actuelles d'Emmanuel Macron?
Il y a un vrai problème de méthode et d'écoute, ainsi qu'une confusion : des corps intermédiaires représentant la nation - les territoires - et des corps intermédiaires représentant des catégories de personnes ayant des revendications légitimes - les syndicats - sont assimilés aux éléments qui bloquent la société depuis des années. Je ne connais pas un maire qui ne souhaite pas le succès de la France, quel que soit le président. Mais nous sommes face à une technostructure exclusivement animée par des préoccupations comptables. Cela aboutit à des claquements de porte lors des discussions avec les représentants des territoires, ou à la démission d'une personnalité emblématique comme Nicolas Hulot.

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Les dernières décisions budgétaires sont exclusivement comptables, sans cohérence politique

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Macron voulait concilier le meilleur de la droite et de la gauche. Cela ne marche pas?
Ce qu'il fait, c'est donner les pleins pouvoirs à la haute administration, notamment celle des finances, sans filtre politique. Les dernières décisions budgétaires sont exclusivement comptables, sans cohérence politique. Elles ne tiennent pas compte du modèle économique français. Plus de 55% du PIB repose sur la consommation et on décide de réduire les APL, d'augmenter la CSG et de désindexer les pensions, en attendant la retenue de l'impôt à la source, sans parler de la ponction supplémentaire sur les familles qui se profile. Il ne faudra pas s'étonner de l'impact négatif sur la consommation et la croissance. Il n'y a, de plus, aucune réforme structurelle de l'État.

La politique économique menée par le gouvernement est donc mauvaise?
Les bonnes mesures qui avaient été prises pour soutenir l'offre sont déjà contrariées par l'annonce du décalage de l'allégement de cotisations sociales pour les entreprises. Et pour que la mesure sur les heures supplémentaires soit efficace sur le pouvoir d'achat, il aurait aussi fallu, comme Nicolas Sarkozy l'avait fait en son temps, permettre leur défiscalisation. Le "en même temps" n'atteint donc aucune de ses cibles. Quant à la taxe d'habitation, elle n'a pas été supprimée. Elle a été nationalisée : c'est le contribuable national qui paie, avec à la clé 10 milliards de déficit supplémentaire. C'était un leurre électoral.

Faut-il, selon vous, reporter le prélèvement de l'impôt à la source ?
C'est une mesure très difficile à mettre en place et pénalisante pour les entreprises. Le plus simple serait la mensualisation ­généralisée. Alors que nous sommes à quelques encablures de la mise en œuvre de cette réforme, le président de la ­République ­demande désormais des précisions. Cela donne un sentiment d'impréparation très préoccupant. Il serait sage de trancher ce sujet avant l'ouverture du débat budgétaire, fin septembre.

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Ce qu'Emmanuel Macron nous propose, c'est une recentralisation accélérée. Mais les communes ne sont pas des filiales de l'Etat

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Que pensez-vous de la désindexation des pensions par le gouvernement?
L'impact de l'augmentation de 20% de la CSG était déjà considérable. La désindexation en période de hausse de l'inflation, c'est un coup de ­massue qui s'additionne à un autre coup de massue. Cela va faire des bosses pour une catégorie de personnes qui ne mérite pas ce ­traitement fiscal injuste.

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Ce budget inquiète-t‑il les collectivités locales?
La baisse des APL en 2017 était déjà une mesure absurde. La poursuite de cette politique est une grave erreur. Notre grande inquiétude, c'est la chute de l'investissement local. La vraie question derrière ces décisions, qui s'ajoutent à la suppression de la taxe d'habitation et à la réduction des dotations des collectivités, est celle de l'avenir du modèle territorial français. Ce qu'Emmanuel Macron nous propose, c'est une recentralisation accélérée. Mais les communes ne sont pas des filiales de l'Etat. Les élus ne sont pas des fonctionnaires d'Etat. Sur le volet fiscal comme sur la révision constitutionnelle, pour laquelle nous avions proposé des amendements, nous n'avons pas eu de réponse. Sur la politique de la Ville, il ne se passe plus rien. Etre parvenu en un an à une telle impasse est aussi surprenant que décevant. Le président de la République doit rapidement reprendre la main.

Les démissions de maires sont en forte progression…
Il y a un ras-le-bol des maires plus que préoccupant. Ils ont le ­sentiment de gérer la pénurie alors qu'ils assument une tâche difficile, souvent seuls. Ils sont les acteurs de la République du quotidien. La France ne peut pas se résumer à un État, une capitale, six métropoles européennes et le vide autour. On ne peut pas accepter cette érosion de la République de proximité. Nous allons prendre des initiatives pour mobiliser les Français autour de nous. La perspective d'une ­République abîmée, dans tous les sens du terme, c'est-à-dire fatiguée ou en passe de s'échouer, m'est insupportable.

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Il n'y a aucun avenir à droite si on se contente d'un discours contre le pouvoir en place

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Faut-il, comme Laurent Wauquiez le dit, "rendre l'argent aux Français"?
Il faut surtout arrêter de leur en prendre! Mais il n'y a aucun avenir à droite si on se contente d'un discours contre le pouvoir en place. La division et l'antimacronisme ne feront pas un cocktail gagnant pour la présidentielle. Nous devons surmonter notre éloignement des responsabilités depuis dix ans et nos deux défaites à l'élection présidentielle, sans cultiver un passéisme qui ne nous mènera nulle part. Au contraire, il faudra faire des propositions adaptées à la réalité d'un pays beaucoup plus complexe que ne le laissent croire les discours trop faciles.

La droite est un peu au pouvoir, à Matignon et à Bercy…
Il faut être clair : la hausse de la CSG et la forte baisse du pouvoir d'achat qui en découle ne sont pas des mesures de droite.

Quelle ligne la droite doit-elle défendre aux européennes?
Il ne faut pas avoir peur de soutenir le Président quand il reprend des idées que nous avions nous-mêmes introduites : la convergence fiscale franco-allemande, l'union bancaire, le gouvernement économique de la zone euro… Aujourd'hui, les flux migratoires peuvent véritablement faire éclater l'Europe. Dans le même esprit que ce que nous avions impulsé avec un gouvernement de la zone euro, nous devons mettre en place une action intergouvernementale sur ce défi humain fondamental et majeur, qui concerne toutes les nations membres de l'Union. Il n'y a pas d'un côté les progressistes et de l'autre, les nationalistes. Il faut sortir de ce simplisme. On peut être profondément européen et lucide, et cette ligne peut être portée par les Républicains, le centre droit ou le centre gauche. Ce que je ne souhaite pas, c'est que ce soit la porte ouverte à tous les dérapages pour des raisons électorales. Les débats internes sur l'Europe ont toujours existé chez les gaullistes. Nous avons su, en leur temps, les dépasser. C'est encore possible, à condition que de part et d'autre on n'agite pas des chiffons rouges. 

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