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Le défi des couples à double-carrière : "L'homme a encore un droit plus naturel à la carrière que la femme"
Le ministre norvégien des Transports démissionne pour suivre sa femme qui a obtenu un poste aux Etats-Unis. Une parfaite mise en pratique de "l'alternance" pour un cas de double-carrière dans un couple.

Le défi des couples à double-carrière : "L'homme a encore un droit plus naturel à la carrière que la femme"

Égalité femmes-hommes

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En démissionnant ce 30 août pour soutenir sa femme dans sa carrière, le ministre norvégien des Transports relève ce que l'on appelle le "défi des couples à double-carrière". Un modèle encore difficile à mettre en place dans nos sociétés pourtant toujours plus égalitaires.

Ketil Solvik-Olsen, le ministre norvégien des Transports, a donné sa démission ce jeudi 30 août. Contrairement à Nicolas Hulot, ce n'est pas un ras-le-bol du gouvernement qui a motivé sa décision, mais son couple. "Je suis maintenant arrivé à un carrefour dans la vie où c'est au tour de ma femme de poursuivre son rêve", a ainsi déclaré Ketil Solvik-Olsen à la chaîne TV2 Nyhetskanalen. Il va suivre son épouse, Tone Solvik-Olsen, aux États-Unis, où elle a été acceptée pour un poste de médecin dans un hôpital pour enfants. "C'est un accord que nous avions conclu il y a de nombreuses années", a expliqué Ketil Solvik-Olsen. Une parfaite illustration du défi dit "de double-carrière" pour les couples.

C'est à cet enjeu de société que sensibilise Avivah Wittenberg-Cox, la présidente franco-canado-suisse de la société de conseil en égalité femmes-hommes 20-first et auteure du livre Seven Steps to Leading a Gender-Balanced Business. Rencontre au dernier forum JUMP intitulé "Et si on partageait enfin le pouvoir ?".

Marianne : Le couple à double-carrière est un modèle qui semble classique puisqu'il s'agit d'un couple où deux personnes mènent une carrière. Pourquoi sensibiliser sur le sujet ?

Avivah Wittenberg-Cox : Parce que les étapes d’une carrière sont pour le moment très masculines et qu'il faut faire évoluer cette réalité. L'image de la femme qui sert la carrière de son conjoint, en se mettant à temps partiel pour s'occuper de ses enfants par exemple, domine encore chez certains. Et c'est bien le problème : jusqu’à présent, les femmes n'ont pas souvent reçu de soutien professionnel de la part de leurs conjoints. Beaucoup d'entre elles ne se sentent pas suffisamment légitimes pour demander une promotion ou un meilleur salaire au travail, et n'osent pas non plus communiquer avec leur conjoint sur ce qu'il leur faudrait pour s'épanouir d'un point de vue professionnel.

Quelle serait la configuration idéale ?

Un bon couple, c'est un couple dans lequel les conjoints sont aussi investis dans l’autre que dans eux-mêmes, aussi bien d'un point de vue personnel que professionnel. Il faut faire évoluer la conception de cette relation couple-travail, et cela passe par trouver un équilibre chez soi : tout le monde a besoin de mieux comprendre et gérer sa relation.

Pourquoi parler de défi ?

Car il y a encore peu d’éducation, d’instruction et de conseils pour les couples sur la manière de gérer une quasi-impossibilité. Ils se retrouvent pris à la gorge entre une carrière ambitieuse, une demande de présence des entreprises approchant parfois le 7 jours sur 7, leur investissement en tant que parents pour ceux qui ont des enfants, l'envie d'avoir une vie sociale, de sortir, d'être sportif…

Le défi que les couples à double-carrière doivent relever consiste à gérer deux séries de priorité, en sachant que les conjoints ne sont pas toujours très bien équipés pour négocier entre eux et qu'ils évoluent dans un contexte de traditions selon lequel une personne a un droit un peu plus naturel à la carrière que l’autre.

Comment relever le défi des couples à double-carrière ?

En construisant sa vie à deux en y intégrant pleinement les carrières de chacun. Il s'agit de les dessiner de sorte à ce qu'elles servent les objectifs d’une vie. Cela s'oppose à ce qui est fait actuellement : comme on se marie plus tard, on a deux carrières bien établies. On essaie de s’associer ensemble mais sans s'adapter, et on se retrouve avec des conjoints qui continuent à maximiser des carrières individuelles.

Tout le monde a des idées, des ambitions, des priorités, mais si on ne les exprime pas clairement dans un couple, c'est difficile de tout concilier. La clé, c'est la communication : il faut se poser, réfléchir, définir qui veut quoi et quelles sont les priorités de chacun.

Comment s'organiser concrètement pour gérer une double-carrière ?

Il y a la configuration où un conjoint travaille et l’autre est à mi-temps. Il y a aussi la configuration des alternants où on fonctionne chacun son tour : l'un a une promotion donc l'autre lui laisse deux ou trois ans avant de faire de nouveau passer sa carrière en priorité, et ainsi de suite. La configuration des parallélogrammes n'est pas évidente car il s'agit de deux carrières très fortes où il est plus dur de trouver de la flexibilité dans le couple. Mais rien n'est impossible, tous les modèles peuvent évoluer.

Êtes-vous optimiste quant à l'évolution des couples à double-carrière dans les années à venir ?

Oui, très. Je crois sincèrement qu’on commence à voir la naissance des couples les mieux équilibrés que le monde n’ait jamais vu. Après, relever le défi du couple à double-carrière dépend énormément de l’intention que l’on y met : combien de personnes investissent réellement leur couple ?

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne