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«Libé» des océans

David Cormand : «Nos océans ne sont pas un espace à coloniser mais à protéger»

Pour l’écologiste David Cormand, la mer ne doit pas être vue comme un espace économique et devrait être mieux protégée par le droit international.
par Lilian Alemagna
publié le 30 août 2018 à 20h27

Le secrétaire national d'Europe Ecologie-les Verts, David Cormand, met en garde contre ceux, à gauche, qui voient les mers comme un «nouvel eldorado» et demande à «sortir ces espaces de la logique mercantile».

Les océans doivent-ils rester un espace préservé ou bien sont-ils finalement un espace économique comme un autre ?

Nous faisons parfois l’erreur de croire que les océans sont relati­vement préservés de l’activité ­humaine : c’est faux. Ils sont déjà l’objet de prédations importantes : surpêche – que ce soit en eaux profondes ou électrique – au détriment de la pêche artisanale, exploitations pétrolières (les gisements terrestres facilement accessibles sont en train d’être asséchés et il y a la tentation d’aller plus loin dans l’extrême ­forage) et minière, trafic commercial et touristique, surexploitation des littoraux… Sans parler de la question des déchets : en 2050, il y aura, dans nos océans, autant de plastique que de poissons. Les océans sont des territoires sur lesquels nous ne devons pas avoir de vision anthropocentrée. Ce ne doit pas être un lieu de soumissions à nos besoins.

Au-delà du constat, il faut donc prendre des mesures. Les insoumis proposent de «planifier» la politique de la mer. Qu’est-ce qui vous dérange dans leur position ?

Nous partageons des constats et certaines propositions, mais évoquer la mer comme «la nouvelle frontière de l'humanité» comme ils le font, c'est poser justement une vision anthropocentrée de la nature. Attention à ne pas concevoir la mer comme un nouvel eldorado de l'expansion humaine où il s'agirait de trouver de nouveaux relais de croissance en y recueillant «l'or bleu». Nos océans ne sont pas un espace à coloniser mais à protéger. C'est une différence d'approche que nous avons avec les insoumis.

C’est-à-dire ?

Pour eux, l’utilisation de l’espace océanique serait une manière de ­régler nos problèmes énergétiques en «diluant» la production en mer. Pour nous, il s’agit avant tout de ­réduire la consommation énergétique de l’humanité. Ne faisons pas porter aux océans les turpitudes de notre modèle de développement. Penser qu’en optimisant l’espace océanique d’un point de vue économique, on pourra régler nos problèmes de croissance, c’est en quelque sorte une nouvelle vision colonisatrice. Les parcs éoliens offshores ou l’énergie marémotrice sont une partie de la solution à condition qu’elles s’inscrivent dans une logique globale de changement de modèle de développement compatible avec la protection du milieu marin.

Parlons solutions : que préconisez-vous pour protéger les océans de «l’expansion humaine» ?

Il faut pour ces espaces naturels prévoir un statut particulier qui les mettrait sous protection du droit international. Cela aurait pour objectif de préserver leur état naturel. C’est dans ce cadre-là qu’il faut ­réguler les activités humaines qu’il serait possible d’exercer dans les océans. Plutôt que de les accentuer, il s’agit désormais de les réduire et de les exercer autrement.

C’est-à-dire ?

Il faut par exemple interdire toute exploitation non-renouvelable des espaces océaniques comme l’exploitation minière : que ce soit des métaux rares, du sable ou des énergies fossiles comme le pétrole ou le gaz. Il faut avoir une approche renouvelable de l’océan, ce qui serait cohérent avec ce que les insoumis appellent «la règle verte» et que l’on nomme depuis longtemps le «développement durable», même si l’expression a depuis été galvaudée…

Vous avez porté des combats européens…

Et nous en avons gagné certains ! Le chalutage en eaux profondes, malgré l’intervention de lobbys extrêmement puissants, a fini par être interdit.

Est-ce alors le bon niveau politique pour protéger les océans ?

Plus nous aurons une logique transnationale de ces enjeux et mieux ce sera. Le problème est qu’aujour­d’hui la logique reste de se partager le gâteau des océans entre Etats plutôt que d’avoir une gestion partagée de ces espaces-là. La gestion par les Etats des océans n’offre aucune garantie sur la protection de l’environnement. Bien souvent, les Etats concèdent ces espaces à des entreprises privées : c’est exactement ce que fait la France au large de la Guyane avec l’autorisation accordée à Total. Ce n’est pas parce que l’Etat a la propriété et le droit d’exploitation des océans que comme par magie la «prédation ­libérale» s’effacerait. Depuis soixante ans, 40 % des espaces océaniques ont été rattachés à un pays. C’est la plus vaste et la plus rapide appropriation territoriale de l’histoire ! Et que s’est-il passé depuis soixante ans dans les océans ? Il faut sortir ces espaces de la logique mercantile.

Faut-il en passer par une loi française ou une décision européenne ?

Les deux. L’Europe peut et doit le faire. Elle doit pour cela fermer la porte aux lobbys et concevoir l’océan comme un bien commun. Mais la France toute seule aussi ! Un gouvernement peut très bien décider que sur les espaces dont il a la gestion – nous avons le deuxième territoire maritime au monde – plus personne ne peut exploiter des matières premières non renouvelables. Aujourd’hui, la France ne le fait pas. Pire : elle fragilise la loi littoral.

Comment expliquer que la mer et la protection des océans ont été jusqu’ici des sujets très peu présents dans le discours politique ?

Je ne crois pas que ce soit un sujet en dehors des préoccupations politiques. Certes, d'une manière générale, la question écologique a été sous-traitée par les gouvernements successifs. C'est le cas encore aujourd'hui malgré la présence de Nicolas Hulot. Résultat, la question des océans reste encore aujour­d'hui un sujet peu traité. En revanche, lorsqu'elle est abordée, c'est exclusivement sous l'angle des opportunités économiques et non comme celui d'espace naturel à protéger.

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