Mgr Barbarin poussé vers la sortie

De plus en plus de voix, même au sein du clergé, appellent à la démission de l’archevêque de Lyon poursuivi par d’anciens scouts victimes du père Preynat. Pour la première fois, un évêque, sous couvert d’anonymat, estime la situation intenable.

 La date du procès du cardinal Barbarin devrait être fixée ce lundi.
La date du procès du cardinal Barbarin devrait être fixée ce lundi. LP/Olivier Lejeune

    Il y a près de deux semaines, un prêtre demandait sa démission dans une pétition en ligne qui a, depuis, récolté quelque 102 000 signatures. Il y a quelques jours, Mgr Philippe Barbarin se retrouvait, dans une caricature choc (et donc polémique), en Une de Charlie Hebdo.

    Ce lundi, l'archevêque de Lyon est de nouveau sur le devant de la scène, judiciaire cette fois : le tribunal doit dire si oui ou non son procès, déjà repoussé une fois pour des raisons de procédures très complexes, se tiendra bien en janvier prochain. Le cardinal est poursuivi par d' anciens scouts victimes du père Preynat pour non-dénonciation d'agression sexuelle sur mineurs. Une citation directe lancée en 2017 après le classement sans suite, l'année précédente, de l'enquête ouverte par le parquet pour les mêmes faits.

    Depuis près de trois ans, l'image du primat des Gaules est indissociable de « l'affaire Barbarin », devenue le symbole d'une Église dont la hiérarchie a, parfois, fermé les yeux sur les abus sexuels commis par des membres du clergé. Le prélat a beau avoir demandé « pardon » et reconnu des « erreurs de gouvernance » tout en répétant qu'il n'avait « jamais couvert le moindre acte pédophile », le soufflet de la contestation populaire n'est jamais retombé.

    Dans ce climat très lourd, et alors que le pape François se voit reprocher son manque d'actions dans la lutte contre ce fléau, la situation est-elle encore tenable pour le prélat âgé de 67 ans?

    « Une majorité ne comprend plus son obstination »

    Au sein de l'épiscopat, certaines mitres commencent à avoir des doutes. « Je me pose des questions. Je ne pense pas que ce soit tenable objectivement. Il doit encore se sentir innocent, il spiritualise trop vite, il prend une position de martyr, il y a quelque chose qu'il n'entend plus. Il s'accroche sans se rendre compte que derrière son petit carré, une bonne majorité de gens ne comprennent plus son obstination », nous confie un évêque, sous couvert d'anonymat. Ce genre de propos très critiques est inédit. Et pour cause. « Une sorte d'habitude épiscopale veut qu'on vise plutôt la communion que la division », décrit-il.

    Mais cette fois, la fracture gagne du terrain. « Il y a des confrères qui se disent : Philippe, il serait temps qu'il remette son office au pape, il plombe un peu l'ensemble de nos missions diocésaines en France. Les prêtres lyonnais sont également un peu usés par ça, cela doit être lourd pour eux de porter ça », poursuit-il. À ses yeux, un « départ », autrement dit une démission, est « peut-être une part de la solution ». « Le peuple de Dieu attend un acte », lâche celui qui présente le cardinal comme « un homme très intelligent imprévisible par nature ».

    Pour François Devaux, président de la Parole libérée, association de victimes, « les évêques sont de plus en plus divisés » concernant l'avenir de Mgr Barbarin qui, isolé, « pourrait être lâché » par ses pairs. Mais officiellement, il n'existe aucune fronde épiscopale. À la Conférence des évêques de France (CEF), on assure qu'il n'y a « pas de mouvement pour la démission » mais « une espèce de lassitude » chez les ecclésiastiques qui en ont « marre que le cardinal Barbarin, cible à abattre, serve de bouc émissaire ».

    Ce sentiment d'acharnement, cette impression qu'il y a toujours quelqu'un pour « remettre une pièce dans le juke-box », expliquerait le « peu de réactions » de soutien en faveur du primat des Gaules.

    YVES BAUMGARTEN : « Il a la volonté de poursuivre sa mission »

    Yves Baumgarten est vicaire général du diocèse de Lyon

    Rares sont les évêques qui, aujourd'hui, prennent ouvertement la défense de Mgr Barbarin. Seule la garde rapprochée monte au créneau, sous la houlette de Mgr Jean-Pierre Batut, évêque de Blois, et Mgr Pierre-Yves Michel, à la tête du diocèse de Valence, tous deux anciens collaborateurs du cardinal. « Nous sommes témoins qu'un archevêque de Lyon, ça ne démissionne pas », martèlent-ils dans une tribune publiée la semaine dernière dans La Croix et signée également par Pierre Durieux, ex-directeur de cabinet du primat des Gaules. « Qu'il demeure archevêque de Lyon ou non est d'ailleurs une question qui le regarde », précisent-ils.

    Sollicité par nos soins pour commenter son engagement, Mgr Pierre-Yves Michel a refusé, arguant que… « tout est dans la tribune ». Le soutien public a donc des limites. Selon Pierre Vignon, le prêtre du diocèse de Valence à l'origine de la pétition en ligne contre Mgr Barbarin, cette tribune sonne comme « une oraison funèbre ». « Pour en arriver là, c'est qu'il est cuit, c'est de la sauce pour salade ecclésiastique », tacle-t-il.

    Au diocèse de Lyon, on répète qu'un départ de Mgr Barbarin n'est « pas à l'ordre du jour ». « Il a la volonté et la détermination de poursuivre sa mission », souligne Yves Baumgarten, vicaire général, assurant que « le cardinal reçoit des lettres et des mails de soutien ». La pétition appelant le prélat à quitter ses fonctions pour le bien de l'Église ne « l'impacte pas ». « On s'en tient au calendrier judiciaire », insiste le père Yves Baumgarten. Comment le primat des Gaules vit-il cette « affaire » qui lui colle à la peau ? « Humainement, c'est une épreuve. Mais il est assez serein. Je suis étonné de sa force et de sa résistance », constate-t-il, expliquant que l'archevêque « n'a jamais modifié son agenda ».

    Dans l'entourage de Mgr Barbarin, on rappelle également qu'il a, par le passé, demandé au pape François s'il devait démissionner et que le souverain pontife a répondu que non. L'archevêque de Lyon reste donc, pour l'heure, maître de son destin au sein de l'épiscopat. « Quoi qu'il arrive, c'est lui qui décidera ! » conclut-on à la CEF.