Cabaret puis multiplex porno, la mythique Scala renaît de ses cendres

Ancien cabaret grivois devenu le premier multiplex porno de Paris avant d'être tué par la VHS, la salle de spectacles renaît sous le parrainage d'un gratin arty.
La mythique salle de spectacles parisienne La Scala renaît de ses cendres
La Scala

Ils s’appelaient « Flamme de punch » et « Roi de la scie », des artistes qui firent les belles heures de La Scala, boulevard de Strasbourg, à Paris. À compter du 11 septembre, cette drôle d’adresse secouera – grâce à ses nouveaux propriétaires (le producteur Frédéric Bissey et son épouse Mélanie, finan­cière à succès) et à un gratin arty (Yasmina Reza, Yoann Bourgeois, Annette Messager...), ce coin du Xe arron­dis­sement où les cantines bios fricotent avec les coiffeurs afros. Cette nouvelle Scala – « La Scala Paris » – n’est pas seulement un complexe high-tech et multidisciplinaire, équipé d’un gradin modulable et d’une acoustique variable, mis en scène par le scénographe Richard Peduzzi. C’est aussi un extraordinaire roman urbain, auquel Olivier Schmitt, son conseiller artistique, vient de consacrer un livre, L’Intégrale des ombres.

L’adresse a été ouverte en 1873 par une dame bluffée par l’opéra de Milan du même nom. La Scala va faire un tabac : grisettes et gommeux dans la galerie, aristos au parterre, on vient de partout pour assister aux prestations des « supervedettes », dont nos « Flamme de punch » et « Roi de la scie », mais aussi Yvette Guilbert et le chanteur Félix Mayol dont Marcel Proust était raide dingue. « La Scala, c’était chic », se souviendra plus tard Mistinguett, même si « Paris, fin de sexe », l’un des spectacles de 1895, laisse entendre que dès ses ­débuts, la classe à La Scala va de pair avec le grivois. Transformée par l’architecte Maurice Gridaine (auteur du premier palais des festivals à Cannes) en cinéma art déco en 1936 et passé également par l’état de café-théâtre, La Scala devient – « avec le même haut degré d’exigence », note mali­cieu­sement Olivier Schmitt – le premier multiplexe porno de la capitale dans les années 1970. Pas une ni deux mais cinq salles vouées aux chefs-d’œuvre du genre qui ont pour titre Nadia la jouisseuse ou La comtesse est une pute. Pendant une vingtaine d’années, ça tripote sex dans les rangées. La Scala reste fidèle à sa vocation de lieu de rencontres et de mélanges sociaux. Messieurs solitaires, tapins et hétéros curieux entretiennent désormais la flamme des « grandes horizontales » d’autrefois.

La mythique salle de spectacles parisienne La Scala renaît de ses cendres

La Scala

L’avènement de la VHS va pourtant tuer le business. À l’aube de l’an 2000, La Scala met la clé sous la porte. Un drôle de nouveau propriétaire, l’Église universelle du royaume de Dieu, va susciter le branle-bas de combat dans le petit milieu du septième art et à la mairie de Paris. Manifestation, refus de permis de construire... ça s’agite à tous les étages, mais aucun projet n’arrive à voir le jour après que l’église évangélique brésilienne a mis en 2006 la clé sous la porte.

Malgré les visites du comédien James Thierrée, un temps inté­ressé, La Scala entre en léthargie. Mais avec une détermination inouïe et sur des fonds très largement personnels, les Bissey, tombés amoureux du lieu, déjouent chausse-trapes administratives et architecturales pour réveiller la belle endormie. Et la réinventer : théâtre, musique et arts plastiques irriguent une programmation aussi pointue qu’éclectique. Esprit de famille oblige, le restaurant est confié aux parents de Mélanie, anciens propriétaires du gastro strasbourgeois Zimmer-Sengel. Une ritournelle de 1877, pourrait bien résonner devant les fourneaux : « Vous voudriez bien maintenant / La morale de l’histoire / (...) La morale de c’te chanson là / C’est qu’il faut venir à La Scala. »

La Scala Paris, 13, boulevard de Strasbourg, Paris Xe. lascala-paris.com. Ouverture le 11 septembre.
L’Intégrale des ombres d’Olivier Schmitt (Actes Sud). Sortie le 5 septembre.