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TribuneÉnergie

Route solaire : le grand gaspillage

Les expériences de routes solaires développés par Colas, filiale routière de la multinationale Bouygues, se révèlent extrêmement coûteuses. Mieux vaudrait se focaliser sur le solaire rentable.... et sur les économies d’énergie.

Olivier Daniélo a un DESS Environnement ; il est rédacteur énergie.


L’hélioroute normande, inaugurée par Ségolène Royal le 22 décembre 2016, a produit deux fois moins d’électricité que prévu durant l’année 2017. Elle a coûté 5 millions d’euros. Celle qui était prévue sur la rocade marseillaise et annoncée par Ségolène Royal en 2016 a semble-t-il été abandonnée. Tout comme celle qui devait être installée sur une route régionale bretonne.

L’hélioroute parisienne, installée à Boulogne, « manque de... soleil », a titré le journal Le Parisien le 26 juillet 2018. Le même journal titrait un an plus tôt que cette route « faisait des étincelles ». Elle devait chauffer la piscine mais, en définitive, elle « cherche désespérément du soleil » confirme le média Voltage.fr. Les experts auraient découvert que les camions, voitures, motos, vélos et piétons qui passent sur la route font davantage d’ombre que prévu. Sans parler des salissures, qui font obstacle au passage de la lumière. Vincent Boulanger, spécialiste du solaire basé en Allemagne et conseiller éditorial du Journal des énergies renouvelables (Observ’ER), a résumé ainsi la performance de ce projet sur son compte Twitter personnel : « Impressionnant ! 100 m2 de Wattway produit 7 kWh/jour, soit 2.500 kWh/an, soit 5 fois moins que 100 m2 photovoltaïques sur un toit ! » 



La performance de l’hélioroute occitane, inaugurée le 3 mai 2018 par le Sicoval, fait l’objet d’un fil de discussion dédié sur le site forum-photovoltaïque.fr. Le créateur de ce fil de discussion, Trebosc, indique habiter juste à côté de cette réalisation et déclare : « Et oui, malgré l’aberration de la réalisation (des voitures passent dessus, salissent...), le peu de performance du système (3 fois moins que des panneaux sur un toit) et le coût exorbitant (10 fois plus cher que des panneaux sur un toit), de l’argent public (le vôtre, le mien) a été gaspillé », regrette ce citoyen occitan.

Le projet d’hélioroute en Ardèche a de son côté suscité la publication d’un communiqué cinglant de la part d’EELV-Ardèche dont ont fait écho Le Dauphiné et RCF : « Projet de route solaire à Privas : Du photovoltaïque 20 fois trop cher : un [écoblanchiment] coûteux et contre-productif (…). EELV Ardèche est clairement contre ce miroir aux alouettes (…). L’électricité produite en photovoltaïque coûte aujourd’hui moins cher que l’électricité nucléaire. Mais si on voulait prouver que les énergies renouvelables coûtent trop cher, on ne s’y prendrait pas autrement qu’avec une telle route photovoltaïque (…). La route est l’un des pires endroits pour l’installation de cellules photovoltaïques (…). Le coût à l’installation est énorme et il ira à l’entreprise Colas, filière de Bouygues. C’est une très bonne manière de subventionner les grands groupes, sans retour pour les populations. »

La route solaire de Tourouvre-au-Perche : 5 millions d’euros.


Et en Vendée ? L’hélioroute installée juste devant le collège Saint-Exupéry, à Bellevigny, était morte au bout de 18 mois d’agonie physique. Une durée de vie aussi courte est vraiment rédhibitoire pour l’Eroi (taux de retour énergétique) du système : il est fort probable que davantage d’énergie ait été consommée pour construire cette route solaire scolaire qu’elle n’a délivré d’énergie électrique durant les 18 mois en question.

Elle a été intégralement retirée par Colas et une nouvelle, de « 10e génération », a été installée début mai 2018 à la place. Contacté par Techniques de l’ingénieur, le département de la Vendée a indiqué qu’il n’avait pas déboursé un seul euro pour ce projet de remplacement. Il semble que cette remplaçante donne des signes inquiétants de vétusté après seulement quelques mois de service, selon le témoignage d’Écoguique publié le 16 juin 2018 sur le site Forum-Photovoltaïque.fr dans un fil de discussion intitulé « Route solaire... ça continue... » : « Dernières nouvelles de Bellevigny en Vendée. Petit rappel : les panneaux ont été changés début mai après avoir servi seulement 18 mois. Les nouveaux panneaux sont selon Colas de la 10e génération. Voyez le résultat après un mois et demi [Ecoguique a publié ses photos]. Premier constat : les panneaux Wattway sont toujours aussi bruyants. Ils sont déjà sales et les joints prennent l’eau à deux endroits. On voit même un genre de masticage... »  


Le fracassant échec vendéen n’a manifestement pas conduit Colas a revoir ses plans s(c)olaires. En Picardie, il a en effet installé durant l’été 2018 une route solaire non pas devant mais au cœur même du collège Édouard-Lucas, à Amiens. Un investissement de 122.000 euros TTC (soit 5.083 € le mètre carré), assuré à 100 % par de l’argent public, pour une production estimée de 1.800 kWh par an. Même si ces 24 mètres carrés d’hélioroute de 10e génération s’avéraient capables de produire pendant 20 ans sans aucune dégradation de rendement, seulement 36.000 kWh seraient délivrés. Ce qui ferait un coût de 3,4 euros par kWh. Le coût du solaire standard est à présent de 0,052 €/kWh en France, ce qui est 65 fois moins élevé.

« Ce dispositif pourrait être reconduit dans d’autres établissements, a expliqué au Courrier picard le 31 août 2018 Françoise Maille-Barbare, professeur retraitée et vice-présidente chargée des collèges et de la réussite scolaire, département de la Somme.  Mais, ce qui m’intéresse aussi, c’est la dimension pédagogique de ce dispositif innovant. Un totem donne des informations sur la production d’électricité de façon instantanée et en cumulé. »

« La route solaire est un cas d’école, observe Olivier Appert, délégué général de l’Académie des technologies et ex-président du comité français du Conseil mondial de l’énergie. Rares sont les acteurs du secteur de l’énergie qui ont osé émettre publiquement un avis critique sur ce concept, qui est économiquement et énergétiquement absurde. Le raccordement de la route solaire normande a été effectué gratuitement par Enedis, qui a offert le service. Les 5 M € n’intègrent donc pas ce coût. Pour les établissements scolaires, un projet véritablement pédagogique serait d’inciter les élèves à avoir un comportement économe, ensuite d’isoler les bâtiments en privilégiant les approches rationnelles coût/bénéfice. »


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