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A Chicago, un procès inédit pour en finir avec l’impunité de la police

Jugée à partir de ce mercredi, l’affaire d’un policier blanc accusé d’avoir tué un adolescent noir risque d’enflammer une ville marquée par de nombreux cas similaires.
par Charlotte Oberti, Intérim à New York
publié le 4 septembre 2018 à 21h06

Chicago retient son souffle. Ce mercredi s’ouvre un procès dont l’issue pourrait embraser la ville de l’Illinois. Jason Van Dyke, un policier blanc de 40 ans, est jugé pour le meurtre d’un adolescent noir de 17 ans, Laquan McDonald. Parmi les chefs d’accusation : meurtre au premier degré, du jamais-vu depuis 1980 contre un policier de Chicago en service. S’il est reconnu coupable, Van Dyke encourt la prison à vie. En cas d’acquittement, la ville, déjà secouée par des semaines de manifestations liées à cette affaire, risque l’implosion.

Les faits remontent au 20 octobre 2014. Peu avant 22 heures, Jason Van Dyke et plusieurs policiers répondent à un appel signalant un adolescent ayant forcé des voitures. A leur arrivée sur les lieux, Laquan McDonald, à la démarche erratique, déambule sur un boulevard. Les images d’une caméra placée à l’intérieur d’une voiture de patrouille le montrent s’éloignant des forces de l’ordre. Malgré cela, Jason Van Dyke, à peine sorti de son véhicule, tire 16 coups de feu sur le jeune homme, non armé, qui meurt peu après.

Dans une récente interview au Chicago Tribune, Jason Van Dyke s'est dit «extrêmement nerveux» à l'approche de son procès. «Je vais peut-être passer le restant de mes jours en prison pour avoir fait le travail pour lequel on m'a formé en tant qu'agent de la police de Chicago, a-t-il affirmé. Je pense que j'ai été un très bon flic.»

Injustices. L'affaire McDonald a bien failli être étouffée et devenir un énième cas de violences policières invisibles envers des Noirs aux Etats-Unis. Ces derniers, qui représentent 13 % de la population américaine, ont trois fois plus de risques d'être tués par les forces de l'ordre qu'une personne blanche, selon le site de données MappingPoliceViolence. Et dans l'immense majorité des cas, ces affaires ne sont pas portées devant les tribunaux : en 2015, 99 % de ces violences n'ont entraîné aucune condamnation. Des situations vécues comme de profondes injustices. A Ferguson, à l'été 2014, l'affaire Michael Brown avait ainsi engendré une vague de manifestations. Simple hasard du calendrier ou début de la fin d'une culture d'impunité, quelques jours avant l'ouverture du procès Van Dyke, un autre policier blanc, Roy Oliver, a été condamné au Texas à 15 ans de prison pour le meurtre de Jordan Edwards, un adolescent noir non armé de 15 ans.

A Chicago, la police et le maire démocrate, Rahm Emanuel, alors en pleine campagne pour un second mandat, ont tout fait pour que la vidéo accablante de la mort de Laquan McDonald ne soit pas rendue publique. Elle le sera finalement plus d’un an après les faits, sur décision d’un juge. Entre-temps, Rahm Emanuel a été réélu au printemps 2015.

Dès leur diffusion, les images rallument la colère. Elles balayent en effet la thèse de la légitime défense, défendue par Van Dyke et ses collègues, qui affirmaient que l’adolescent s’était jeté sur eux avec un couteau. L’enquête démontrera qu’il tenait en fait à la main un canif fermé. Van Dyke est inculpé. La ville verse 5 millions de dollars à la famille de la victime.

«Le maire devrait être sur le banc des accusés, lui aussi. Il savait très bien qu'il y avait eu un meurtre et il a empêché la diffusion de la vidéo», s'étrangle Eric Russell, président de Tree of Life Justice League of Illinois, une association qui défend les victimes de brutalité policière. «Nous sommes choqués par cette situation. Il y a une culture de la corruption et une culture du racisme à Chicago», poursuit-il, ajoutant n'avoir jamais vu, de sa vie, un policier de la ville avoir à répondre de ses actes. Dans le dossier McDonald, trois agents ont été inculpés de conspiration et d'obstruction à la justice, accusés d'avoir cherché à intimider des témoins, fabriqué de faux témoignages, détruit des preuves et rédigé des rapports factices.

Mépris. Rahm Emanuel a, de son côté, limogé le chef de la police et mis sur pied un groupe de travail chargé d'enquêter sur les pratiques des forces de l'ordre. En 2016, ce groupe a rendu ses conclusions (et ses nombreuses recommandations, qui tardent à être mises en place) : un racisme généralisé et un mépris pour la vie des citoyens noirs infestent la police locale.

Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, 68 personnes, dont 51 Noirs, ont été tuées par la police à Chicago, selon MappingPoliceViolence. «Nous sommes heureux qu'un procès se tienne, mais nous restons prudemment optimistes, ajoute Eric Russell. Si Van Dyke est acquitté, cela va créer un tollé. Je pense que la ville va connaître des émeutes comme elle n'en a plus connu depuis longtemps.»

Très critiqué pour son rôle dans l’affaire McDonald, Rahm Emanuel a été la cible, ces dernières semaines, de plusieurs défilés appelant à sa démission. Les manifestants dénonçaient un manque de moyens, l’insécurité et la brutalité policière chroniques dans les quartiers défavorisés de Chicago. A la surprise générale, le maire a annoncé mardi, à la veille du procès Van Dyke, qu’il ne briguerait pas un troisième mandat en 2019.

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