Comment la tribune anonyme du “résistant” de la Maison Blanche est arrivée au “New York Times”

La tribune anonyme publiée sur le site du quotidien et écrite par un proche collaborateur de Donald Trump fait l’effet d’une bombe. Mais comment ce texte est-il sorti de la Maison-Blanche ? Et qu’en pense le reste du journal ?

Par Jérémie Maire

Publié le 06 septembre 2018 à 14h50

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h17

Il est un peu tôt pour en mesurer les futures retombées, mais il est sûr que la tribune anonyme publiée sur le site du New York Times fait déjà beaucoup parler. En quelques paragraphes, un membre de l’administration Trump y avoue être entré en « résistance », avec d’autres « adultes dans la pièce », afin de « contrecarrer » les plans du président, jugé « amoral », « erratique » et « anti-démocratique ». Il évoque même une possibilité de destitution et annonce continuer à agir en sous-main « jusqu’à ce qu’il ne soit plus au pouvoir » : « Nous croyons que notre devoir envers notre pays doit primer, surtout si le président continue à entreprendre des actions au détriment de la santé de notre république. »

Outre l’aspect incroyable de ce discours, il y a aussi la façon rocambolesque dont il est arrivé aux yeux du public. James Dao, rédacteur en chef de la rubrique Opinion du New York Times, où ce texte a été publié, a expliqué à CNN comment s’est déroulée la publication du texte.

Comment et quand le texte leur est parvenu ?

« Cette personne m’a contacté via un intermédiaire, il y a quelques jours », a-t-il expliqué à CNN, sans plus de précisions. On ne sait pas, non plus, comment le Times a correspondu avec cette source : discussions de vive-voix ? Réunion autour d’une table ? Messagerie cryptée ? Rendez-vous dans un parking, comme à l’époque du Watergate ?

La veille, le Washington Post publiait des extraits d’une autre bombe, issus de Fear, le livre-enquête de Bob Woodward, qui révèle que le président Trump ne serait pas capable d’assurer son poste. Mais Dao explique que les deux publications quasi-simultanées ne sont qu’un hasard.

Qui est l’auteur de la tribune ?

En répondant à l’entretien, James Dao s’est montré très prudent. Il n’a évidemment pas révélé l’identité de ce « résistant », ni même son genre. Seul élément, cette personne est un membre officiel du staff, qualifié de « senior ». Ce qualificatif s’applique à de nombreux employés de l’administration, y compris pour ceux et celles qui ne travaillent pas directement dans la fameuse West Wing ou au contact de Trump. Cependant, l’auteur explique bien être en rapport direct avec Donald Trump.

Qui connaît son identité ?

« Nous avons simplement respecté les standards que le Times utilise en général quand le journal s’adresse à quelqu’un qui ne révèle pas son nom », précise Dao. Au sein du journal, « un très petit nombre de personnes connaissent son identité », une mesure de sécurité rendue possible notamment parce que les bureaux de sa rubrique sont séparés de la salle de rédaction.

Quel travail le journal a-t-il réalisé sur le texte ?

La tribune est-elle passée entre les mains des services de correction et d’édition, comme c’est le cas normalement dans la presse ? Dao assure que le style n’a pas été modifié, afin, par exemple, de déguiser la plume de l’auteur du texte. « Nous éditons tout ce que nous publions », raconte Dao, mais simplement, écrit CNN, afin de rendre le propos « plus clair » et pour qu’il « colle au style et au calibre » du New York Times. Mais, dans un podcast réalisé pour son journal, James Dao se fait plus clair : « Il ne m’est jamais venu à l’idée de changer ne serait-ce qu’un mot pour cacher l’identité de cette personne. Ce serait l’antithèse de ce que nous faisons : laisser les gens s’exprimer. »

Pourquoi l’anonymat ?

Peu coutumier du fait, le New York Times a effectivement choisi de publier cette tribune de manière anonyme. « Cela a été fait à la demande de l’auteur », parce que l’emploi de celui-ci « aurait été mis en danger par cette révélation » : « Nous avons constaté que cette tribune était puissante et écrite par quelqu’un qui avait quelque chose d’important à dire. Voilà ce que nous avions en tête », dit-il, ajoutant que l’équipe du Times a « fait tous les efforts possibles pour vérifier les faits avancés ».

Dans le podcast du Times, James Dao explique aussi quil n’y a que l’anonymat qui « garantit » ce genre de révélations.

Pourquoi le New York Times a-t-il été choisi ?

Dans le même podcast, on se demande aussi pourquoi l’auteur a choisi le quotidien basé à New York pour publier son texte. Le journal fait effectivement partie des cibles préférées du président (et donc de ses supporters), qu’il qualifie à longueur de tweets de « fake news », de « mauvais » ou de « défaillant ». Y publier une telle tribune pourrait en diminuer l’effet.

Le rédacteur en chef des pages Opinion explique que son journal est connu pour son « honnêteté, son intégrité » et que son interlocueur devait savoir que « nous ferions tout pour protéger son anonymat » : « Nous sommes aussi très écoutés, nous faisons du bruit et nous sommes la meilleure des plateformes », dit-il, avant d’avouer qu’il n’a pas posé cette question du choix à l’auteur.

Qu’en pense le reste du journal ?

Au vu de ce que dit Dao, la majorité de la rédaction a découvert cette tribune comme tout le monde, au moment de sa publication. « Les gens hallucinent, explique l’un des journalistes dans Vanity Fair. Tout le monde essaie de savoir. »

Dans un tweet, le journaliste politique Astead W. Herndon a incité ses amis, avec humour, à ne pas lui demander qui était cet auteur, car il n’en savait rien non plus.

Dans une série de messages, Jodi Kantor, journaliste, avec Megan Twohey, à l’origine des révélations contre Harvey Weinstein, s’est demandée s’il était désormais du devoir des journalistes du Times d’enquêter sur l’identité de l’auteur... dont ses collègues ont juré de protéger l’anonymat.

« Le journal entier est-il désormais lié à cette promesse ? Je n’en suis pas sûre, mais c’est fascinant. Je ne pense pas qu’il y ait de précédent. » Réponse d’un des journalistes de la rubrique Opinion : « Je suis évidemment soucieux de la préservation de l’anonymat de l’auteur…. Mais je comprends que les journalistes fassent leur travail. » A la Maison-Blanche, on doit aussi activement rechercher l’identité de ce « résistant » ou de cette taupe – question de point de vue.

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